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Laissez tomber votre job et vendez du muguet à chaque 1er-Mai

Je m’appelle Patrick Randall, j’ai 24 ans et je suis aussi anglais que Sir Paul McCartney et le libéralisme.

Je m’appelle Patrick Randall, j’ai 24 ans et je suis aussi anglais que Sir Paul McCartney et le libéralisme. Mes deux parents sont d’origine britannique et pour moi, le premier mai a toujours été synonyme de beuveries longues d’une journée qui se terminent par de grandes effusions sentimentales où moi et mon peuple, nous nous lamentons sur notre réseau ferroviaire qui ne marche pas et nous consolons en nous disant que ça aurait pu être pire, qu’on aurait pu financer les services publics avec l’argent des impôts.

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Aussi, j’ai toujours été surpris par les 1er-Mai que j’ai passés en France. J’ai l’impression que ce jour-là, tous les Français sont soit en train de manifester, soit en train de vendre des petits grelots blancs qui ne sentent rien. Je me suis renseigné sur cette curieuse tradition et j’ai découvert que la Fête du travail était l’occasion de faire du profit en toute légalité. La loi française, ce jour-là, autorise quiconque à monter son petit commerce de muguet, du moment que ce quiconque se trouve à plus de 40 mètres d’un fleuriste.

Pour 0,36 € le brin de muguet acheté la veille au marché de Rungis ou cueilli dans la forêt de Rambouillet, le particulier peut ainsi le revendre entre 0,50 € (pour le muguet « 1ère catégorie ») et 3 € (pour le muguet « extra »). La recette finale peut grimper jusqu’à 900 € pour les plus chanceux. Du Marais à Bastille en passant par la rue Montorgueil, j'ai écumé les rues pour aller à la rencontre des opportunistes printaniers. Le temps était merdique mais j'ai rencontré plein de gens que ça n’avait pas découragés.

Johanna, 32 ans

VICE : Pourquoi vendre du muguet aujourd’hui ?
Johanna : On espère gagner un peu d’argent pour payer les factures, mais surtout parce qu’on veut partir au Brésil, et ça nous permettra de payer au moins un billet.

Vous pensez faire beaucoup de bénéfices ?
Moins que l’année dernière. C’est sûrement une histoire de crise et de mauvais temps combinés. L’an dernier on avait gagné 900 € en ayant dépensé 220 €, c’est pour ça qu’on le refait.

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Vous avez des conseils pour être le meilleur vendeur de muguet à Paris ?
Le problème, maintenant, c’est qu’il y en a trop. Mais pour se démarquer, il faut avoir un stand plein de couleurs, être souriant et privilégier les bouquets à un ou deux brins.

Qu’allez-vous faire des muguets invendus, s’il y en a ?
À la toute fin, on les donnera aux gens. Mais avant ça, on baisse les prix au fur et à mesure de la journée, et on fera une grosse promotion en fin d’après-midi.

Clément, 28 ans

VICE : Pourquoi vendez-vous du muguet aujourd’hui ?
Clément : Pour passer un bon moment avec mes copains parisiens dans le Marais. Je viens chaque année de Nantes jusqu’à Paris avec mon muguet. Tout le monde est de bonne humeur, moi aussi, il y a une bonne ambiance.

Ça vous rapporte beaucoup d’argent ?
Oui, chaque année je rembourse les plantes que j’ai achetées, le billet de train et les rubans pour faire les bouquets. En général, je triple ce que j’ai dépensé. Je pense gagner environ 500 €.

Il y a beaucoup de concurrence ?
Oui, la place à côté est infestée de fleuristes. Tout le monde va vers les stands plus professionnels. Le mien est certes très mignon, mais on ne le voit pas de loin. Pour que le muguet tienne bien, je le garde dans un frigo situé dans un appartement pas loin d’ici. Je le sors au fur et à mesure par bottes – il y a 50 brins par botte. Quand le muguet est au frais, il est un peu ramolli, mais une fois dans l’eau, à l’extérieur, il bande. Des amis gays viennent m’aider aussi, et eux alpaguent les couples homosexuels, leurs vendent du muguet et me font beaucoup rire.

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Vous avez déjà pensé à faire une pancarte « mu-gay » ?
Non, mais je fais des chansons avec ma guitare, justement sur le « mu-gay ».

Vous allez faire quoi des bénéfices ?
Je vais inviter mes amis au restaurant, on va bien manger et se mettre une bonne bouteille.

Manal, 28 ans

VICE : Pourquoi vendez-vous du muguet ?
Manal : Pour me faire de l’argent de poche.

Vous pensez gagner beaucoup ?
Là, non. Ça ne marche pas du tout. Je pense que je suis mal placée à l’Hôtel de ville. Il n’y a presque que des touristes qui ne connaissent pas forcément le 1er-Mai. En plus, avec la crise, acheter des fleurs n’est pas vraiment une priorité. La météo n’aide pas non plus. Là, je tourne autour de 70 € de bénéfice, j’ai juste envie de remballer et de rentrer chez moi.

C’est la première fois que vous vendez du muguet ?
Je l’avais déjà fait l’an dernier et il faisait super beau. Du coup, il y avait beaucoup plus de monde. Cette année, je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression d’être un guide touristique. Tous les touristes viennent me demander des indications ou ce qu’est tel ou tel monument.

Vous avez cueilli le muguet vous-même ?
Non, je travaille pour un fleuriste. Il me reverse un pourcentage de ce que je gagne. Encore heureux, je ne vais pas faire ça gratuitement avec un temps aussi pourri.

J’ai envie d’être le meilleur vendeur de muguet de Paris l’année prochaine, vous avez des conseils ?
Il faut être très patient. Question technique de présentation, je n’en sais rien du tout. J’ai tout mis au pif sur la table, je ne sais même pas si c’est beau. Du moment que ça tient, c’est bon.

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Jules, 27 ans

VICE : Que fait la Croix-Rouge pour vendre le plus de muguet possible ?
Jules : Il y a environ 700 bénévoles mobilisés dans tout Paris. On a ramené 7 tonnes de muguet de Nantes à l’aide d’un semi-remorque et d’une camionnette. On le trouve chez un producteur qui nous fait un tarif très préférentiel parce que c’est pour la Croix-Rouge.

Vous faites beaucoup de bénéfices ?
Ce n’est pas tellement le but, même si les bénéfices servent à financer nos actions sur Paris. Mais la vente de muguet est avant tout un moyen d’entrer en contact avec le grand public.

Comment puis-je devenir le meilleur vendeur de muguet de Paris ?
Il faut tout simplement avoir le sourire et ne pas faire de vente agressive. L’emblème de la Croix-Rouge est plutôt utile aussi, les gens sont contents de donner de l’argent à notre association.

Georges-Adrien, 26 ans

VICE : Ça se vend bien le muguet ?
Georges-Adrien : Pas vraiment, on attend encore que ça décolle. Il n’y a pas eu beaucoup de muguet cette année. Mais dans l’après-midi, je devrais en vendre plus.

Vous pensez faire un bon bénéfice en fin de journée?
J’espère faire jusqu’à 500 €.

Où avez-vous trouvé votre muguet ?
Je l’ai cueilli dans la forêt d’Ory-la-Ville.

Vous avez des conseils pour être le meilleur vendeur de muguet de la rue ?
Il faut bien le décorer et le présenter dans de beaux emballages avec des rubans. Mais cette année, ce n’est pas évident parce que le muguet n’est pas tout à fait mûr et n’est donc pas si beau en présentation.

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Sophie, 38 ans

VICE : Pourquoi vendez-vous du muguet aujourd’hui ?
Sophie : Pour gagner de l’argent et nourrir mes enfants. Je l’ai acheté au marché de Rungis hier matin.

Ça se vend bien ?
C’est pas trop mal.

Combien ça vous a coûté au marché de Rungis ?
J’ai payé 7 € la botte de 50 brins, je mets deux brins par bouquet, ce qui fait 25 bouquets. Je le vends 2 €, et j’espère gagner environ 300 € à la fin de la journée.

Comment faites-vous face à la concurrence autour de vous ?
C’est au petit bonheur la chance. Il y a toujours plus de vendeurs chaque 1er-Mai.

Je vois que vous vendez aussi du lilas, c’est pas interdit ?
Si, mais bon, ça se vend bien. Ma voisine en avait dans son jardin et elle m’en a donné.

Anne, 29 ans, 2ème à partir de la gauche

VICE : Pourquoi le Parti communiste vend-il du muguet ?
Anne : Parce que c’est une tradition qui vient de toute l’histoire du mouvement ouvrier, et nous voulons profiter du 1er-Mai pour porter ces valeurs.

Le muguet représente la révolution ?
C’est le printemps donc il y a évidemment des références historiques, mais il ne représente pas plus la révolution que les autres actions que nous menons.

Où trouvez-vous le muguet ?
La fédération l’achète à des petits producteurs. Nous le vendons à 2 € le brin, deux brins coûtent 2,50 € et le pot est à 10 €.

Ils sont très bien décorés, vous l’avez fait vous-mêmes ?
Oui, nous avons tout fait à la main. Nous avons collé des petits autocollants « L’humain d’abord ».

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Vous avez le droit d’être compétitifs face aux autres vendeurs de muguet ?
Nous avons l’avantage de représenter l’histoire du Parti communiste, et certaines personnes viennent d’abord vers nous. Notre muguet est peut-être un peu plus cher, mais les gens achètent le muguet des travailleurs.

Vanessa, 35 ans

VICE : Pourquoi vous vendez du muguet ?
Vanessa : Pour le plaisir, parce que c’est une tradition familiale depuis plus de dix ans. C’est aussi assez lucratif.

C’est très lucratif cette année ?
Oui, bien que la météo ne nous gâte pas. L’année dernière, on avait fait entre 700 et 800 € de recettes.

D’où vient votre muguet ?
Du lac de la forêt d’Orléans, on a fait quatre jours de cueillette. On le vend 1 €, c’est symbolique.

Comment vous faites face à la concurrence ? Elle a l'air rude.
On s’en moque. On est au même endroit depuis dix ans, on l’a toujours vendu 1 €, et ça a toujours marché. Après, le muguet qui provient du marché de Rungis est très industriel et a donc des clochettes très blanches. Notre muguet est naturel, les clochettes sont forcément moins belles, mais au moins il est pur.

Rolande, 65 ans

VICE : C’est une tradition pour vous de vendre du muguet ?
Rolande : Oui, et uniquement du muguet des bois, comme la loi le stipule.

D’où vient votre muguet ?
Des forêts autour d’Auxerre. On a eu du mal à le trouver cette année, il n’a pas assez fleuri à cause de l'hiver très long. On a passé une dizaine d’heures à le cueillir, sans compter la préparation. On s’est levés à 2 heures du matin pour faire 400 km en voiture. On espère donc en vendre un bon nombre et faire autour de 400 € de recettes.

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Vous vendez du muguet tous les ans ?
Ça va faire cinq ans que je le fais. Je le faisais déjà quand j’avais 13 ans avec mon père. On prenait le train et on vendait du muguet sur le boulevard Sébastopol, ce sont de bons souvenirs.

Qu’est-ce que je dois faire pour être le meilleur vendeur de muguet de Paris ?
Il faut rester avec moi, j’ai beaucoup d’expérience. Les autres sont tellement écœurés de mon succès qu’ils ne veulent pas venir à proximité [rires].

Isaak, 17 ans

VICE : Pourquoi vendez-vous du muguet aujourd’hui ?
Isaak : Pour gagner un peu d’argent. J’ai acheté mon muguet 100 € pour une botte au marché de Rungis pour le revendre à Paris.

Vous pensez gagner combien d’argent d’ici la fin de la journée ?
Entre 30 et 40 €. Ça ne marche pas très bien pour le moment, il ne fait pas beau et personne n’achète.

Vous avez vendu beaucoup de muguet depuis ce matin ?
Pas beaucoup, non. Je suis là depuis 10 h et je n’ai vendu que pour 10 €. Je pense rester jusqu’à 16 heures environ.

Qu’allez-vous faire de vos bénéfices ?
Je le donnerai à ceux qui n’ont pas d’argent, les orphelins et les SDF.

OK Isaak, à plus.

Suivez Patrick sur Twitter @patricknrandall

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