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Crime

Du cannabis à l’héroïne, comment le Portugal a dépénalisé toutes les drogues

Ce pays est un exemple de ce que la dépénalisation de la consommation de drogues peut accomplir, alors que les leaders du monde entier se réunissent cette semaine au siège des Nations Unies à New York pour discuter du futur des politiques de lutte...
Photo par Paul Bradbury/Getty Images

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Alors que les diplomates de l'ONU se réunissent cette semaine [cet article a d'abord été publié en avril 2016] au siège des Nations Unies à New York pour discuter du futur des politiques de lutte contre la drogue, un représentant du Portugal, João Goulão, va sûrement attirer l'attention. Cela est dû au fait qu'il y a 16 ans, le Portugal a fait un bond en avant et a dépénalisé la possession de toute drogue — de la marijuana à l'héroïne. À bien des égards, cette stratégie a fini par payer.

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À l'heure actuelle, les autorités portugaises n'arrêtent pas ceux qui transportent de la drogue, tant qu'il s'agit de l'équivalent d'une consommation hebdomadaire — soit un gramme d'héroïne, d'ecstasy ou d'amphétamine, deux grammes de cocaïne, ou 25 grammes de cannabis. À la place, les usagers se voient remettre une convocation et doivent se présenter devant un « panel de dissuasion » composé d'experts juridiques, psychologiques et de travailleurs sociaux. La plupart des prévenus sont finalement relaxés. Les individus qui reviennent plusieurs fois devant le panel peuvent se voir prescrire une thérapie ou un traitement de substitution aux opiacés.

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« Nous avons eu beaucoup de critiques dans un premier temps », s'est rappelé Goulão, médecin de formation, spécialisé dans le traitement de la toxicomanie. Il est aujourd'hui le coordonnateur national sur la drogue au Portugal. Son travail avait conduit son pays à réformer ses lois sur les drogues en 2000. Suite à la dépénalisation, les premières questions que le Portugal a reçues émanaient du Conseil international de contrôle des narcotiques — l'organisme de surveillance des Nations Unies établi par le système de la convention de l'ONU sur les drogues — elles étaient froides et sur le ton de la réprimande.

« Désormais, les choses ont complètement changé », a-t-il ajouté. « Nous sommes montrés comme un exemple des meilleures pratiques respectant l'esprit des conventions. » En effet, c'est en substance ce que Werner Sipp, le nouveau chef du conseil d'administration, a déclaré face à la commission de l'ONU sur les stupéfiants à Vienne plus tôt cette année.

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Bien que souvent ramenée à sa loi sur la dépénalisation, l'expérience du Portugal au cours de la dernière décennie et demie repose aussi sur son système de santé public gratuit, ses vastes programmes de traitement, et sur les effets ricochets de sa législation — qui sont plus difficiles à quantifier. Dans une société où les drogues sont moins stigmatisées, les utilisateurs à problèmes sont plus susceptibles de chercher à se soigner. La police, même quand elle suspecte quelqu'un de se droguer, est moins susceptible de lui causer des problèmes. Même si au moins 25 pays ont mis en place une certaine forme de dépénalisation, le Portugal se distingue par son approche globale et son recours aux panels de dissuasion.

Le taux de nouvelles infections au VIH au Portugal a chuté abruptement depuis 2001, l'année où sa loi a pris effet, passant de 1 016 cas à seulement 56 cas en 2012. Les décès par overdose sont passés de 80 en 2001 à seulement 16 décès en 2012. Aux États-Unis, à titre de comparaison, plus de 14 000 personnes sont mortes d'overdose en 2014 — un chiffre qui ne concerne que les opioïdes disponibles sur prescription. Le taux de décès causé par la drogue au Portugal, soit trois décès par million d'habitants, est plus de cinq fois inférieur à la moyenne de l'Union Européenne, qui est de 17,3 décès par millions d'habitants d'après des chiffres officiels.

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Lorsque le Portugal a décidé de dépénaliser la drogue en 2000, de nombreux sceptiques ont supposé que le nombre d'utilisateurs monterait en flèche. Cela n'a pas été le cas. À quelques exceptions près — comme une augmentation marginale chez les adolescents — l'usage de drogues a diminué au cours des 15 dernières années et oscille maintenant au gré des tendances générales en Europe. Les autorités portugaises estiment qu'à la fin des années 1990, environ un pour cent de la population du Portugal, environ 100 000 personnes, était des consommateurs d'héroïne.

« [Aujourd'hui] nous estimons que nous en avons 50 000, la plupart d'entre eux sous traitement de substitution », a déclaré Goulão, avant d'ajouter qu'il a récemment observé une légère hausse de la consommation de cette drogue, surtout chez les anciens toxicomanes. Cela reflète la situation économique précaire du Portugal d'après lui.

« Les gens consomment des drogues pour deux raisons — soit se donner du plaisir soit soulager un mal-être — et les types de drogue et le type de personnes qui en consomment varient beaucoup selon les conditions de vie dans le pays », a-t-il fait remarquer.

Selon lui, les mesures de réduction des risques, comme les échanges de seringues et les traitements de substitution aux opiacés en utilisant des médicaments comme la méthadone et la buprénorphine permettent de prévenir la propagation des maladies transmissibles et la hausse des overdoses, même si le nombre d'usagers qui s'injectent de l'héroïne augmente pour une période de temps.

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La dépénalisation et la réduction des risques font plus attention aux droits des usagers, tout en permettant aux forces de l'ordre d'engager leurs ressources ailleurs. Et si elle représente un changement majeur, la dépénalisation portugaise n'est pas une révolution en termes de droit international.

Les drogues sont toujours illégales au Portugal, les trafiquants de drogue et les trafiquants sont toujours envoyés en prison, et le pays a pris soin de ne pas dépasser les limites des conventions sur la drogue de l'ONU, sur lesquelles reposent les lois nationales dans ce domaine. Des experts ont longtemps soutenu — et les gouvernements reconnaissent maintenant de plus en plus — que ces traités donnent aux pays signataires une grande latitude dans la façon de traiter et de gérer les consommateurs de drogue.

Lorsque le Portugal a commencé à dépénaliser, les États membres de l'ONU sortaient à peine d'une session extraordinaire de l'Assemblée générale convoquée en 1998 sous le prétexte fantaisiste d'éliminer la consommation de drogue dans le monde entier. Ce mardi, les États membres ont adopté un nouveau document final qui doit réorienter la politique en matière de drogue. Au grand dam de nombreux groupes d'intérêt, ce texte ne comporte pas les mots « réduction des risques » et ne se penche pas sur le recours à la peine de mort pour les toxicomanes ou leurs fournisseurs, ce que des États membres ont souligné à plusieurs reprises ce mardi. Ce document reflète à la fois une évolution dans la politique de la lutte contre la drogue dans de nombreuses régions du monde au cours des deux dernières décennies, ainsi que l'influence des pays conservateurs qui continuent de militer en faveur de la prohibition.

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Goulão est lui-même sceptique à propos de certains aspects de la réforme concernant la marijuana dans des endroits comme les États-Unis, où cela peut, d'après lui, favoriser l'amalgame entre les usages médicaux et les usages récréatifs. « Parfois, je pense que les moteurs de ce débat mélangent les choses à cause d'un manque de sérieux intellectuel », a-t-il déclaré.

Bien que l'exemple consommation de l'héroïne soit souvent mise en évidence pour montrer l'efficacité du modèle portugais, la plupart des usagers d'aujourd'hui qui se retrouvent devant les panels de dissuasion ont en fait été pris soit avec du haschich, soit avec du cannabis, explique Nuno Capaz, un sociologue qui siège au panel de dissuasion de Lisbonne. Entre 80 et 85 pour cent de toutes les personnes qui comparaissent devant ces panels sont des primo-délinquants considérés comme ayant consommé dans un but récréatif, ce qui veut dire que les poursuites contre eux sont suspendues.

Pour ceux qui ont été pris à plusieurs reprises ou qui sont identifiés comme étant des toxicomanes, les panels peuvent ordonner des sanctions ou des traitements. Ceux qui consomment pour leur loisir peuvent se voir infliger des amendes ou être réquisitionnés pour des travaux d'intérêt général. Si un toxicomane refuse le traitement, il est tenu de consulter régulièrement son « médecin de famille ».

« Si la personne ne se présente pas chez le médecin, nous demandons à la police de leur remettre personnellement une notification afin qu'ils sachent qu'ils sont censés être dans un endroit précis », a déclaré Capaz. « L'important, c'est de maintenir le lien avec système de traitement. »

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Le rôle de la police — qui se coordonne avec les autorités sanitaires pour assurer un traitement — montre le changement de relation entre les forces de l'ordre et les consommateurs de drogue au cours des quinze dernières années, un rôle qui contraste radicalement avec le chemin pris par la police dans des pays comme les États-Unis.

« Ce petit changement est en fait un changement énorme en termes de travail des agents de police », a déclaré Capaz, en faisant référence à la dépénalisation. « Bien sûr, chaque agent de police sait où les gens traînent pour fumer des joints. S'ils voulaient, ils n'auraient qu'à aller là-bas et attraper le même gars à plusieurs reprises. Cela n'arrive pas. »

En parallèle des efforts du gouvernement, des groupes à but non lucratif jouent un rôle dans la fourniture de seringues propres et même dans la distribution de pipes à crack, afin d'inciter les usagers de drogues à entrer dans le réseau des fournisseurs sous contrat avec l'État.

Ricardo Fuertes, coordinateur du projet au GAT — un groupe de sensibilisation fondé par des personnes atteintes du VIH — travaille dans l'un des centres d'accueil de ce groupe, installé dans un immeuble résidentiel à Lisbonne. D'après lui, cet emplacement montre que les petits consommateurs de drogues sont peu stigmatisés.

« C'est vraiment évident qu'il s'agit d'un endroit pour ceux qui se droguent. Il est très ouvert, mais nous n'avons aucune plainte », a déclaré Fuertes, en parlant de centre. « La population générale vient même y faire des tests. Je pense que cela montre qu'il ne s'agit pas d'un service de ghetto. »

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Toutefois, les fournisseurs de soins, les groupes de sensibilisation et les personnes qu'ils aident ont tout ressenti les effets des difficultés économiques du Portugal. En 2011, le pays a été renfloué par l'Union européenne et le FMI, et a ensuite adopté des mesures d'austérité qui ont imposé des réductions considérables pour les services publics.

D'après Goulão, les programmes de traitement de la toxicomanie ont été relativement épargnés, mais les fonds pour les programmes d'emploi qui aidaient les employeurs à payer les salaires des consommateurs de drogue ont diminué.

« C'est difficile pour beaucoup de gens, et bien sûr les personnes qui prennent de la drogue ne sont pas une exception. »

Le personnel de santé portugais voit le cas de la Grèce comme un avertissement. Ravagée par une crise budgétaire et par les conditions d'austérité des renflouements répétés, la Grèce a connu une explosion des taux de transmission du VIH suite aux coupes budgétaires qui ont considérablement attaqué le financement des programmes de santé. Selon les chiffres de l'UE, seules la Grèce et la Lettonie ont connu des restrictions de leur système de santé plus importantes que le Portugal, entre 2005 et 2007, puis entre 2009 et 2012.

Et pourtant, le Portugal n'a connu aucune augmentation perceptible dans la transmission du VIH.

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« Habituellement, l'accent est mis sur la dépénalisation elle-même, mais cela a fonctionné parce qu'il y avait d'autres services, et la couverture a augmenté pour le remplacement des aiguilles, pour la désintoxication, dans les milieux thérapeutiques, ainsi que les possibilités d'emploi pour les personnes qui se droguent », a déclaré Fuertes. « Ce fut la combinaison de la loi et de ces services qui en ont fait un succès. Il est très difficile de trouver des gens au Portugal qui sont en désaccord avec ce modèle. »

En vue de la session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'ONU, Goulão a déclaré que les pays devaient d'abord considérer leurs propres environnements nationaux avant de s'inspirer de l'expérience du Portugal.

« Nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'un remède miracle, mais à mon avis, cela a été très important car [cette stratégie] a apporté de la cohérence dans l'ensemble du système », a-t-il dit. « Si nos réponses sont basées sur l'idée que nous parlons la dépendance, que nous parlons de maladies chroniques, que nous parlons d'un problème de santé, sortir tout cela du système pénal c'est une nette amélioration. C'était vraiment important pour notre société, car cela nous a permis de laisser tomber la stigmatisation. »


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Cet article est d'abord paru sur la version anglophone de VICE News

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