Parfois, les rédacteurs en chef de Gabrielle lui rappellent la chance qu’elle a de pouvoir être correspondant pour eux : « Quand on me donne de l’argent pour un reportage on me dit que je vais bien m’amuser, comme si on me faisait une fleur. Ça rend dingue quand on te dit c’est ça l’aventure alors que t’es dans une situation de merde et que tu es pigiste. »Gabrielle sait déjà qu’elle ne sera pas correspondante toute sa vie. Le stress prend de plus en plus le pas sur le plaisir que lui apporte son métier. Qu’elle soit en repos, en train de dormir ou de fêter un anniversaire, son portable est toujours chargé, prêt à sonner et l’envoyer en mission. Lorsqu’elle part en week-end, ce n’est jamais sans son matériel et sans calculer le temps de trajet pour revenir dans la ville où elle est basée « au cas où ». Pour l’instant, elle profite. Jusqu’au jour où elle n’en pourra plus.« Quand on me donne de l’argent pour un reportage on me dit que je vais bien m’amuser, comme si on me faisait une fleur »
Lorsqu’on est correspondant, le plus dur n’est pas la grosse période de travail que représente une actualité mais plutôt celle qui suit. En dehors des pics d’actualité, Alexandros Kottis passe son temps à relancer des médias dans l’espoir d’obtenir une réponse à ses propositions. « Je pense à peine exagérer en disant que tu es une variable d’ajustement dont on se sert pour remplir les cases vides de temps en temps. »« Je pense à peine exagérer en disant que tu es une variable d’ajustement dont on se sert pour remplir les cases vides de temps en temps »
L’AFP (Agence France Presse), l’une des plus grosses agences de presse mondiales, fait partie de ces médias. « Tu n’as aucun contrat avec l’AFP, on te fait simplement des virements Western Union ou des règlements directement en cash. Il n’y a pas de traçabilité. J’ai déjà demandé des fiches de paie, ils ont refusé sans m’expliquer pourquoi. » Cette raison relèverait d’une décision de mettre les correspondants locaux et les Français sur le même pied d’égalité. Ce qui implique une précarité inégalée pour ceux qui reviendront un jour en France sans pouvoir justifier de plusieurs années de travail à l’étranger.« Tu n’as aucun contrat avec l’AFP, on te fait simplement des virements Western Union ou des règlements directement en cash »
« Je suis arrivée à un point où je ne prenais que le petit déjeuner, c'était mon seul repas »
En quelques années, Quentin Ariès a vu le métier de correspondant évoluer. Alors que le journaliste correspondant est essentiel à la couverture médiatique internationale, le journaliste s’inquiète de voir disparaître des postes de journalistes permanents au profit de pigistes moins chers et plus corvéables. « Certains médias n’hésitent pas à dire “notre correspondant X ou Y” alors qu’il s’agit d’un freelance qui bosse pour plusieurs médias. Ça leur coûte moins cher. »« Certains médias n’hésitent pas à dire “notre correspondant X ou Y” alors qu’il s’agit d’un freelance qui bosse pour plusieurs médias »
Alors Marc tente de mettre fin à ses jours. « J’avais envie de mourir. J’avais l’impression que j’avais ruiné mon rêve, que tout était de ma faute. J’avais trop de dettes et personne à qui en parler. » Heureusement, son colocataire rentre plus tôt du travail et le sauve. Peu de temps après, Marc a tout abandonné et est retourné vivre en France auprès de sa soeur. Il a tiré un trait sur le métier de journaliste et se reconstruit petit à petit.Sara, correspondante au Royaume-UniSara s’est envolée pour le Royaume-Uni un an après la fin de ses études pour « ne surtout pas bâtonner de la dépêche à Paris ». Après quelques mois de galère, elle a créé son petit réseau et pu piger régulièrement pour différents médias. La jeune correspondante savait où elle allait et ce qui l’attendait : « Je n'y suis pas allée pour vivre la grande vie, c'était surtout le moyen de faire du terrain et de continuer le journalisme. »« J’avais envie de mourir. J’avais l’impression que j’avais ruiné mon rêve, que tout était de ma faute. J’avais trop de dettes et personne à qui en parler »
Sara tient à le dire, elle est plus qu’épanouie dans son travail. Mais la plus grande difficulté qu’elle rencontre reste la précarité, accentuée par le fait d’être à l’étranger. « Je gagne en moyenne 1 000 euros par mois dans le journalisme. Je m’en sors parce que je suis auto-entrepreneuse et qu’à côté j’écris pour de la communication. » Alors qu’elle gagne en moyenne 200 euros brut pour un article qu’elle va mettre deux jours à écrire, la communication lui permet de gagner 300 euros en trois heures. Dur de résister.Pour être opérationnelle et travailler régulièrement, Sara a dû investir dans un véhicule. « C’est normal d’avoir une voiture mais je me retrouve à finalement payer de ma poche certaines choses qui sont acquises pour les journalistes en France. » Des frais qu’elle ne pourrait pas se permettre de payer en travaillant uniquement dans le journalisme.Les médias étant réticents à rembourser des frais (hôtel, déplacement, traducteur), les correspondants tentent toujours de réduire les dépenses au point de parfois mettre de côté leur éthique. « L’office de tourisme m’a déjà proposé plusieurs fois de me payer mes voyages. Je ne le fais pas mais je comprends ceux qui le font. On est souvent dans une position de vulnérabilité. »« Je gagne en moyenne 1 000€ par mois dans le journalisme. je m’en sors parce que je suis auto-entrepreneuse et qu’à côté j’écris pour de la communication »
Un système qui déplaît particulièrement à Romane qui a pris le temps d’apprendre la langue du pays dans lequel elle travaille. On peut alors leur demander de partager des piges avec un nouvel arrivant qui devient numéro 1 sans même connaître le pays. « Les médias font du copinage alors qu’ils devraient s’entourer de ceux qui connaissent le pays et proposent des sujets qui changent. »Pour ne pas se laisser envahir par le stress, la correspondante s’entoure d’amis qui ne sont pas journalistes. Il s’agit de l’un des rares moyens pour éviter le burn out et la dépression selon elle. « Vu qu’on est tout seul, il faut rencontrer d’autres gens qui ne sont pas dans notre domaine. Ça fait beaucoup de bien. » Romane garde les pieds sur terre et prend beaucoup de recul sur son métier.« Les médias font du copinage alors qu’ils devraient s’entourer de ceux qui connaissent le pays et proposent des sujets qui changent »
Mais malgré tout ce soutien, cette expérience reste dure à vivre pour Geoffroy. « Si j'avais su avant de partir à quel point c'était difficile d'être freelance je ne l'aurais pas fait. Mais maintenant je suis satisfait de mon parcours et ça m'a ouvert plein de portes. » La solitude et la précarité lui pèsent. La vie aux États-Unis étant très chère, Geoffroy angoissait lorsqu’il était pigiste à chaque fin de mois.« J'ai la chance de venir d'une famille qui pouvait assurer les arrières en cas de difficultés financières mais la boule au ventre était quand même là. » Des médias profitent de cette précarité et payent au lance-pierre. Une radio propose, par exemple, depuis maintenant 10 ans des tarifs indécents aux correspondants : 28 euros le reportage.Depuis la signature de son CDI, Geoffroy encourage les journalistes à poursuivre dans la voie de la correspondance même s’il ne s’agit pas d’une promenade de santé. « Ce n’est pas impossible mais il n’y a pas d’illusions à se faire, c’est un combat de tous les jours. » Est-ce qu’il compte arrêter ? Il se pose la question toutes les semaines. Même si ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant, il garde dans un coin de sa tête l’envie d’un jour peut-être devenir professeur d’histoire nord-américaine.Charlotte, correspondante en Amérique latinePour Charlotte, l’avantage a toujours été d’être dans un pays où la vie est moins chère. Elle a toujours gagné suffisamment pour ne pas s’inquiéter à l’idée de payer son loyer ou rentrer en France. La jeune femme travaille sur des reportages fascinants et réalise des interviews qu’elle n’aurait jamais pu faire en France. Mais avec le temps, le verre à moitié plein devient à moitié vide.Comme pour beaucoup de correspondants, son principal employeur lui a supprimé ses cotisations santé et retraite. Ce n’est que lorsqu’elle a eu un grave problème de santé qu’elle a réalisé l’importance d’être mieux couverte. Alors que son opération coûtait plusieurs milliers d’euros dans le pays dans lequel elle exerce, en France cette même opération n’en coûtait que vingt euros.« Je me suis fait opérer en France et j’ai compris à ce moment-là qu’il fallait que je sois affiliée à la CFE pour pouvoir me faire rapatrier en cas d’accident grave. » Une affiliation qui lui coûte 816€ par an et qui s’ajoutent à sa mutuelle à 1 116€. Le seul moyen pour elle de se garantir une couverture santé à l’étranger et de ne pas perdre sa cotisation retraite.À mesure que le temps passe Charlotte se lasse de l’instabilité de la vie de correspondant. L’obligation à couvrir certains événements sous peine de ne plus jamais être appelée par ses rédacteurs en chef et les retards interminables de paiement ont eu raison d’elle. « Tu as souvent plusieurs paiements en attente et tu dois quand même continuer à avancer des frais pour réaliser tes reportages. »Le retard le plus long auquel elle a dû faire face ? Six mois. Une rédaction l’avait confondu avec une autre pigiste et malgré ses mails quotidiens, le média a pris tout son temps pour la rembourser. Dans les mois à venir, la correspondante compte rentrer en France pour redevenir journaliste dans l’Hexagone. Travailler à l’étranger ne suffit pas à oublier la précarité.Justine est sur Twitter.VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.« Si j'avais su avant de partir à quel point c'était difficile d'être freelance je ne l'aurais pas fait. Mais maintenant je suis satisfait de mon parcours et ça m'a ouvert plein de portes »