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FRANCE

L’Égypte veut acheter des armes à la France, vite, et pas cher si possible

Le président égyptien souhaite accélérer la mise en place d’un accord de ventes d’armes entre son pays et la France. Officiellement les armes doivent servir à répondre à la menace djihadiste dans la région du Sinaï.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via ministère de la Défense / R. Connan/DICoD

L'Égypte souhaite une livraison d'armes françaises expresse pour combattre la menace terroriste a annoncé le président Abdel Fattah Al-Sissi dimanche 1er février lors d'une allocution au Caire. Cette déclaration fait suite à deux rencontres avec son homologue français, François Hollande, d'abord au siège des Nations-Unies il y a plusieurs mois, et ensuite la semaine dernière, à l'occasion des funérailles du roi Abdallah d'Arabie Saoudite. Des officiels militaires égyptiens se seraient rendus à Paris pour conclure l'accord. Al-Sissi a précisé qu'il avait appelé un accord qui devait être trouvé « rapidement » et « avec des conditions financières avantageuses. »

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Une source militaire égyptienne jointe par VICE News nous a confirmé ce lundi matin que la France a effectivement collaboré avec l'Égypte pour la livraison d'armes dans des « délais très confortables » (comprendre favorables aux impératifs de rapidité de l'Égypte). Cette source proche du dossier a invoqué une nécessité de « consolider l'armée égyptienne. » Aucune information n'a par contre ne nous a été donnée sur le contenu précis de l'accord - notamment en termes d'armes et d'usages futurs de celles-ci - ni même s'il avait été officiellement signé par les deux parties. Côté français, même souci de discrétion, une source diplomatique française jointe aujourd'hui nous a tout de même confirmé que la coopération de la France avec l'Égypte dans le domaine de l'armement et du maintien de l'ordre « n'est pas nouvelle », elle nous assure qu'en vertu de la Position commune européenne, aucune arme utilisable dans des actions de répression de la population ne peut être livrée par la France à l'Égypte.

Joint par VICE News, l'Élysée n'a pas pu répondre à nos questions sur cette vente dans les temps de la publication de cet article.

Des négociations au long cours

Sophie Pommier, directrice du cabinet de conseil Méroé, spécialiste du monde arabe, nous confiait ce matin que cette annonce s'inscrit « dans le prolongement d'un processus entamé il y a plusieurs mois. »

Le quotidien La Tribune rapportait courant juillet 2014 que la marine égyptienne avait acheté à la France quatre corvettes — la plus petite classe des navires de guerre. En décembre dernier, après le passage du président Al-Sissi à l'Élysée, des militaires égyptiens avaient été reçus à Paris pour négocier l'achat d'avions Rafale et de frégates.

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Si le contenu de l'accord évoqué hier n'a pas encore été dévoilé, Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions de Défense, « doute que la France fournisse de l'armement lourd à l'Égypte », type avions ou navires de guerre, comme les discussions de décembre pouvaient le laisser penser. Joint par VICE News, l'expert estime que « l'Égypte a besoin de moyens technologiques pour assurer le combat de façon plus permanente et surtout de renseignement, » afin de lutter contre cette menace diffuse que sont les groupes djihadistes, « qui mettent à mal une armée aux normes classiques. »

Sophie Pommier va dans le sens de Jean-Claude Allard et doute de la probabilité d'une livraison de Rafale qui sont « un peu hors-budget » pour l'Égypte, d'autant plus que « Les États-Unis fournissent déjà des avions F-16 et des hélicoptères à l'armée égyptienne, qui est le deuxième pays derrière Israël à bénéficier de l'aide américaine, avec un volet militaire à hauteur de 1,3 milliard de dollar, » rappelle Pommier. La spécialiste estime que la décision d'Al-Sissi de solliciter l'aide française lui permet surtout « de laisser entendre que si on ne trouve pas de solution au problème djihadiste au Sinaï c'est une question de moyens. »

Une double menace djihadiste

Courant novembre 2014, le groupe djihadiste Ansar Beit al-Maqdis qui opère principalement dans le Sinaï a annoncé plaider allégeance à l'organisation État islamique. Stéphane Lacroix est professeur à Sciences Po et auteur avec Bernard Rougier de L'Egypte en révolutions. Lacroix explique à VICE News que cette nouvelle faction de l'EI, baptisée Province du Sinaï, qui compterait « au moins des centaines de personnes, s'est établie dans le Sinaï [NDLR, au moins depuis 2011]. Le Sinaï, où des pans entiers de la région échappent au contrôle de l'État égyptien. » Jeudi 29 janvier, ce nouveau groupe a revendiqué des bombardements qui ont fait 45 morts à Al-Arish, la capitale du Sinaï.

Si l'attention se focalise principalement sur cette région, Sophie Pommier s'inquiète également de la « recrudescence, partout dans le pays, de petites attaques artisanales contre des postes militaires, des bâtiments publics ou dans les transports. » Lacroix note ainsi la montée d'une deuxième force djihadiste dans le pays, peut être composée de plusieurs dizaines de personnes : « Les Soldats d'Égypte qui sont principalement présents dans les villes et dont Le Caire est le centre de gravité. » Ce groupe clandestin, sans leader identifié « ne vient pas du djihadisme international, mais se réclame de la révolution égyptienne et prône des actions violentes contre la police et l'armée, » détaille Lacroix. Ce spécialiste de l'Égypte pense que des jeunes de la confrérie des Frères musulmans ont pu rejoindre leurs rangs.

La branche politique de la confrérie islamiste des Frères musulmans s'était emparée du pouvoir début 2012 suite à une révolte populaire contre Hosni Moubarak, avant d'être à son tour renversée en juillet 2013 par la rue, l'accusant de vouloir islamiser la société égyptienne. Les Frères musulmans a été décrétée « organisation terroriste » en décembre 2013 par le gouvernement d'Al-Sissi. « La hiérarchie de la confrérie est désormais détruite, la direction qui tient un discours pacifique n'a plus aucune prise sur sa base dont une partie tend à se radicaliser, » note Stéphane Lacroix.

« Le pouvoir instrumentalise le terme de terrorisme pour criminaliser une partie de l'opposition et joue de la confusion avec de vrais groupes djihadistes, » note Lacroix qui estime que cela peut permettre au pouvoir de faire une utilisation extensive de la force lors de manifestations qui commémorent le soulèvement de 2011, comme le week-end dernier où un bilan du ministère de la Santé a fait état de plus d'une douzaine de morts au Caire.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray