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FRANCE

Élection présidentielle : comment fonctionnent les sondages

En cette année d’élection présidentielle, les sondages sont omniprésents. Une importance dont la légitimité n’est pas acquise, compte tenu de l’évolution des opinions.
VICE News

La France est le pays d'Europe qui aime le plus les enquêtes d'opinion, ou sondages, que l'on soit en période d'élection ou non. À l'approche des primaires et de la présidentielle de 2017, pourcentages, diagrammes et graphiques envahissent les Unes médiatiques, amorcent le jeu des commentaires de commentaires dans les matinales radio, font et défont les favoris dans les courses à l'Élysée.

Cette importance donnée aux sondages en période d'élection présidentielle est-elle justifiée ?

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« Les sondages vont dicter le résultat des prochaines élections », déplore pour sa part Alain Garrigou, politologue et professeur à l'Université de Paris X-Nanterre. « On ne peut pas prendre pour élément clé quelque chose qui est en réalité faux : il n'y a aucune légitimité dans les sondages, vu comment ils sont réalisés. »

Les hommes politiques donnent pourtant l'impression de faire exactement le contraire. L'État lui-même ne donne pas un exemple de mesure sur la question. En avril dernier, l'Assemblée nationale a approuvé la nouvelle réforme du temps de parole. D'après le texte, le temps d'intervention directe de chaque candidat aux élections sera désormais établi en suivant plusieurs paramètres : les résultats de son parti lors des derniers scrutins, sa contribution au débat électoral, mais aussi en fonction des sondages portant sur les intentions de vote.

« Avec cette réforme, on accorde un rôle institutionnel au travail des statisticiens, qui n'est absolument pas contrôlé », estime Alain Garrigou. Ce fondateur de l'Observatoire des sondages est très critique de l'usage qui est fait des études d'opinion.

« Il faut arrêter de faire autant attention aux sondages, notamment les médias qui traitent la campagne comme une course hippique », résume Anne Jadot, maître de conférences en science politique à l'Université de Lorraine. Elle se définit comme une praticienne lucide sur les limites des sondages.

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Selon cette politiste, qui fut associée aux grandes enquêtes électorales du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) conduites de 2002 à 2012, « leur publication peut influencer l'opinion d'une partie des citoyens. Il s'agit d'une photographie de l'opinion qui était peut-être valable à un moment donné. Mais ce n'est pas forcément le cas par la suite, comme les instituts aiment le rappeler pour se 'dédouaner' en cas de décalage avec le résultat final. »

Les instituts de sondages que nous avons contactés pour cet article n'ont pas donné suite à nos demandes d'entretien.

Une méthode utilisée depuis 1936

Les sondages présidentiels suivent le même modèle depuis leur invention, en 1936. On estime que c'est cette année-là que le statisticien américain George Gallup a pour la première fois appliqué les règles des enquêtes de statistique démographique à une élection présidentielle. Concrètement, il a interrogé un échantillon représentatif de la population des électeurs américains pour savoir qui l'emporterait entre Roosevelt et Landon.

Pour qu'un sondage soit représentatif, il faut que chaque couleur politique y figure dans des proportions qui reflètent son poids dans l'ensemble du paysage politique.

Deux ans après sa naissance aux USA, le modèle s'exporte en France. Jean Stoetzel fonde l'Institut français d'opinion publique (Ifop) et réalise la première enquête d'opinion de façon représentative : un an avant la Seconde Guerre mondiale, les Français approuvaient majoritairement les accords de Munich.

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Mais aujourd'hui cette méthode n'est pas exempte de critiques. Dernièrement, les résultats d'élections ou de référendums ont été présentés comme des « surprises », parce qu'ils allaient à l'encontre de ce que les sondages prévoyaient.

« 75 pour cent des sondages sont réalisés par internet, actuellement », explique Alain Garrigou. « C'est fâcheux, parce qu'il n'y a pas moins fiable ». Si le questionnaire en « face à face » est la meilleure méthode selon lui, les enquêtes sur internet se sont imposées à cause de leur bas coût et leur vitesse d'exécution.

« Les gens ne répondent plus par téléphone », indique le chercheur.

« Les gens ont tendance à surévaluer leur participation sur internet. De plus, [sur le web] on touche à deux catégories : les gens spécialement motivés — notamment sympathisants de l'extrême droite — ou les gens qui veulent gagner des prix », explique-t-il. En effet, de nombreux instituts de sondage privés offrent des prix à ceux qui ont répondu à un certain nombre d'enquêtes.

Le recours à Internet, s'il est pratique, semble donc fragiliser le caractère représentatif de l'échantillon.

Des approximations et des hypothèses

Comment font les instituts de sondage lorsqu'ils n'arrivent pas à respecter les quotas assurant la représentativité ? Ils utilisent ce que l'on appelle la technique du redressement.

« Ils affectent à chaque répondant un poids selon la qualité de représentation dans l'échantillon de ses catégories d'appartenance (par exemple âge, CSP, niveau de diplôme) par rapport à leur proportion réelle dans la population. Et on prend simultanément en compte plusieurs de ces critères sociodémographiques avant de publier des chiffres dits 'redressés' », explique Anne Jadot. « Pour corriger les biais sur le plan politique, on prend en compte les déclarations sur les votes passés, qu'on 'redresse' par rapport aux résultats réels de ces précédentes élections. C'est la seule possibilité, mais c'est une base fragile car les souvenirs de vote ne sont pas forcément fiables. »

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Les primaires encore à venir peuvent également fausser les enquêtes d'opinion. « On ne peut pas faire un sondage aussi longtemps avant la présidentielle », explique la maître de conférences à l'Université de Lorraine. « Ces enquêtes sont très fragiles car basées sur des hypothèses de candidatures. » Pour avoir des intentions de vote crédibles, les instituts sont donc obligés de soumettre plusieurs scénarios hypothétiques aux sondés.

Des effets imprévisibles sur le vote final

Un sondage peut-il dicter un vote ? « On ne maîtrise pas ses effets », admet Anne Jadot. « C'est juste un raisonnement hypothétique, mais si j'étais conseillère d'un candidat et pouvais manipuler les résultats d'une enquête pour l'avantager, je ne sais pas dans quel sens je changerais ses chiffres. »

Cette incertitude est liée à deux effets connus dans les sciences sociales. Le premier c'est le « bandwagon » (ou « prendre le train en marche »), quand un électeur rejoint le vainqueur annoncé. Le deuxième, c'est l'effet contraire, le « underdog » (l'« outsider »). Dans ce dernier cas, le citoyen se reporte sur un « outsider ».

Il y a aussi deux autres effets moins connus mais qui peuvent avoir leur importance. Des sympathisants peuvent ne pas aller voter pour leur candidat, si celui-ci est donné gagnant dans les sondages, estimant que la victoire est déjà acquise. Il peut aussi y avoir un effet « spirale du silence » : le sondé peut ne pas « avouer » pour qui il va voter, s'il juge que son choix est mal vu (dans le cas d'un vote à l'extrême droite par exemple).

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Ce caractère imprévisible des effets des sondages a été visible lors de la présidentielle de 2002, « typiquement l'élection des sondages », selon Alain Garrigou. « Lionel Jospin était donné finaliste avec Jacques Chirac, dans tous les sondages, voire devant le président. »

« Avec nos collègues, nous avions mené un panel dont la première vague était réalisée avant le premier tour », raconte Anne Jadot. « Parmi ceux qui espéraient une victoire finale de Lionel Jospin et qui déclaraient avoir l'intention de lui accorder leur voix au second tour, moins de la moitié ont voté pour lui au premier tour ; la plupart n'allaient pas voter du tout ou alors pour des petits candidats. Ils se disaient probablement que tout était joué d'avance. » Au lieu du socialiste, c'est Jean-Marie Le Pen qui a été présent au second tour face à Jacques Chirac.

Selon la chercheuse, les sondages pourraient avant tout pousser les électeurs à aller voter ou, au contraire, à se démobiliser. « On peut avoir envie de se dire "il faut que j'aille voter" ou "c'est perdu d'avance, ce n'est pas la peine d'y aller". Ou bien voter pour un autre candidat du même camp », par exemple pour exprimer un soutien à un petit candidat dont on pense qu'il ne représente pas de risque pour le favori du camp qu'on préfère.

D'autre part, pour la chercheuse, les enquêtes d'opinion peuvent envoyer un message utile aux candidats lorsqu'elles portent sur le fond. « On a réalisé plusieurs études avec des questions ouvertes sur la perception de la campagne et du débat entre les deux tours. Les interrogés ont déploré que les médias ou les hommes politiques n'aient pas assez parlé de tel ou tel aspect. Ils avaient une attente non satisfaite sur les enjeux du scrutin », explique-t-elle.

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Mais quelles alternatives ?

Si ces enquêtes posent de nombreux problèmes, pourquoi ne pas simplement les abandonner au profit d'autres moyens pour scanner l'opinion publique ?

Parce qu'« il n'y a pas d'alternative », martèle Alain Garrigou.

« La France est beaucoup plus obsédée par les enquêtes d'opinion que nos voisins européens », explique-t-il.

« Si tous les pays sont friands de sondages en période électorale, en France, il y a une plus grande demande en période non-électorale qu'ailleurs », nuance Anne Jadot.

Pour le fondateur de l'Observatoire des sondages, « le premier remède à l'euphorie des sondages est d'avoir l'esprit critique ». Car ils sont en fin de compte utiles et « font partie de la rationalisation de la vie politique », selon le politologue.

Pour réduire les incertitudes, « le meilleur moyen serait de mieux analyser [les sondages], de mieux les faire et de mieux les couvrir dans les médias », résume Anne Jadot. Pour la chercheuse, les instituts de sondage français et la presse devraient se poser davantage de questions, à l'image du Royaume-Uni.

« Quand les instituts de sondage britanniques se sont rendu compte qu'ils s'étaient complètement trompés en 1992 et en 2015 [NDLR - dans les deux cas, les instituts avaient donné le parti travailliste gagnant ou à égalité, alors que les conservateurs l'ont largement remporté], ils ont mené des investigations en commun pour comprendre ce qui s'était passé », explique la chercheuse qui a également travaillé outre-Manche. Les instituts ont alors conçu un ensemble de suggestions.

La chaîne britannique BBC a également publié une directive sur le traitement des sondages que les médias de référence ont suivie. Ces « guidelines » exigent, entre autres, que les simples résultats d'un sondage ne puissent faire l'ouverture d'un journal télévisé ou d'un bulletin d'actualités ; ou qu'ils doivent être inclus dans une analyse à l'intérieur d'un texte au lieu du sujet principal d'un article.


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