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Société

En Inde, les Jaïns se battent pour pouvoir continuer à se laisser mourir de faim au nom de leur religion

Suite à un verdict rendu le 10 août dernier par la justice indienne, le Santhara — une tradition ancestrale de la communauté jaïn — est considéré comme une tentative de suicide, ce qui est puni par la loi dans ce pays.
Photo via Flickr / Arian Zwegers

Près de 2 500 hommes et femmes appartenant à la communauté jaïn ont défilé silencieusement dans la ville de Kanpur (au nord de l'Inde) ce lundi. Cette marche était organisée en signe de protestation contre le récent verdict d'une cour de justice indienne qui va à l'encontre de l'une de leurs traditions ancestrales, le Santhara — une pratique de jeûne jusqu'à la mort, à laquelle se livrent notamment les personnes âgées de cette communauté. D'autres manifestations ont également eu lieu à travers l'Inde, où habitent plus de 4 millions de Jaïns.

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La décision de justice à laquelle s'oppose une partie de la communauté jaïn a été rendue par la Haute cour de justice du Rajasthan (nord ouest de l'Inde) le 10 août dernier. À l'origine de ce jugement, une plainte publique déposée il y a neuf ans par un militant des droits de l'homme indien, Nikhil Soni. Pour lui, ce rituel est un « fléau social et devrait être considéré comme du suicide ». En Inde, une tentative de suicide est punie par la loi. D'après Soni et son avocat, « autoriser une personne âgée à souffrir » sans eau ni nourriture relève d'un comportement « inhumain ».

À l'instar de leurs concitoyens hindous — la religion la plus répandue en Inde — les Jaïns croient en la réincarnation. Cette religion est aussi basée sur d'autres piliers qui vantent les mérites de la non-violence et du contrôle de soi, notamment l'ascétisme.

D'après les préceptes du jaïnisme, qui est considérée comme l'une des plus anciennes religions du monde, il est également possible pour un individu d'arrêter de s'alimenter, de boire et de recevoir de l'aide médicale en vue de mourir plus rapidement. Connu sous le nom de Santhara, ce rituel est présenté par certains gourous comme un moyen d'atteindre l'état de « moksha », un terme qui désigne la libération du cycle de la vie.

Le rituel du Santhara

Le voeu de Santhara peut être exprimé par une personne âgée ou par quelqu'un atteint d'une maladie grave. Cette pratique est complètement acceptée par les familles jaïns qui tolèrent généralement la présence de visiteurs au chevet de la personne mourante.

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« Ce rituel a été instauré pour les saints qui voulaient déserter leur corps physique pour atteindre le moksha, » expliquait le gourou jaïn Acharya Dr. Lokesh Munisagar au journal Hindustan Times, juste après le jugement du 10 août.« La décision de la Haute cour va à l'encontre de la sensibilité de la communauté jaïn, » avait-il déclaré.

Protest against Rajsthan Highcourt descision on Sallekhna.— prachi jain (@ciprachi)25 Août 2015

Des images des manifestations de ce lundi.

« Le Santhara n'a rien à voir avec le suicide, c'est au contraire une chance pour ceux qui y parviennent, » explique à VICE News l'un des responsables de l'Organisation internationale de la jeunesse jaïn (JIYO), contacté ce mardi après-midi par téléphone. Habitant Bombay, il a souhaité rester anonyme. « C'est un rituel qui n'est pas pratiqué partout, » nous rappelle-t-il, « car il s'adresse surtout aux personnes âgées et concerne majoritairement les populations jaïns les plus orthodoxes. »

En 2006, cette pratique avait provoqué un débat national autour de Kaila Devi Hirawat, une Indienne jaïn âgée de 93 ans qui avait fait voeu de Santhara. Cette affaire très médiatisée avait attiré l'attention du pays tout entier sur cette pratique religieuse, alors que l'euthanasie et les tentatives de suicide sont punies par la loi indienne.

À l'époque, l'un des avocats représentant la communauté jaïn avait décrit cette pratique comme un choix « conscient ». « Ce n'est pas fait de manière secrète, c'est une pratique religieuse, » avait-il déclaré avant le procès qui allait s'ouvrir à Jaipur, capitale du Rajasthan, l'un des foyers de la communauté jaïn.

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Neuf ans plus tard, la justice indienne considère finalement que le Santhara doit être condamné au nom de la section 309 du Code pénal indien, car relevant du suicide. L'assistance fournie à celles et ceux qui font voeu de Santhara devient également un acte puni par la loi, en vertu de la section 306 du Code pénal indien.

La Haute cour du Rajasthan a par ailleurs appelé les autorités de cet état fédéral à « arrêter et abolir » cette pratique, en insistant pour que toute plainte à propos de cette pratique fasse l'objet d'une « enquête de police ».

De nombreuses manifestations

Quatre jours après le verdict de la Haute cour du Rajasthan, des groupes de jeunes Jaïns ont manifesté leur mécontentement en faisant circuler une pétition sur une toile longue de plus de 30 mètres. La consigne a également été donnée aux autres membres de cette communauté de porter des bracelets noirs en signe de protestation.

« Pour la plupart d'entre nous, le Santhara est une manière très pure de quitter cette vie, » nous explique le responsable de la JIYO. « Cette décision de la cour [du Rajasthan] est mal acceptée, beaucoup trouvent que c'est une atteinte à notre liberté religieuse, » nous indique-t-il.

D'après le journal indien Times of India, près de 400 personnes sont décédées après avoir fait voeu de Santhara en l'espace de sept ans à Bombay (ouest du pays).

Des leaders religieux de cette communauté ont annoncé qu'un appel de la décision de justice sera déposé devant la Cour suprême indienne, d'après des informations données par la radio RFI.

« Pour l'instant, nous ne savons pas ce qui va se passer pour ceux qui veulent faire voeu de Santhara, » déplore le responsable de la JIYO. « Certaines familles vont peut-être se retrouver accusées de complicité, d'assistance au suicide, c'est très préoccupant, » nous explique-t-il.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c

Des femmes de la communauté jaïn descendant les marches d'un temple de Palitana (ouest de l'Inde) en 2012. Photo via Flickr / Arian Zwegers.