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Crime

En Ouzbékistan, les forçats « volontaires » de la récolte du coton

Le gouvernement ouzbek aimerait faire croire à la communauté internationale que les lycéens et étudiants qui participent chaque année à la récolte obligatoire du coton le font de leur plein gré.
Photo par Mikhail Metzel/AP

Le gouvernement ouzbek aimerait faire croire à la communauté internationale que les lycéens et étudiants qui participent chaque année à la récolte obligatoire du coton le font de leur plein gré.

Les autorités seraient même allées jusqu'à faire signer des "contrats de volontariat" aux travailleurs qu'elles expédient aux champs.

L'Ouzbékistan est le 5e exportateur mondial de coton. Chaque année, l'État réquisitionne plus d'un million de ses citoyens pour assurer la récolte. Ces travailleurs forcés bossent pour rien, ou presque rien. Le gouvernement rachète ensuite la récolte à un taux inférieur à celui du marché, ce qui lui permet de se remplir les poches lors de la revente.

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Cela fait des années que les défenseurs des droits de l'homme mettent la pression sur le gouvernement ouzbek pour qu'il mette fin à ces pratiques, et en particulier à l'exploitation des enfants, qui sont souvent enrôlés pour atteindre les quotas de production assignés à chaque région.

La Cotton Campaign (Campagne du Coton) — un collectif d'associations qui luttent contre le travail forcé dans les champs de coton en Ouzbékistan et au Turkménistan — a pu mettre la main sur des contrats octroyés à certains étudiants en Ouzbékistan par leurs universités.

Portés volontaires par le gouvernement

Les étudiants qui refusent de signer ces déclarations sur leur participation volontaire à la récolte — qui dure de septembre à la mi-novembre — risqueraient un renvoi.

Et les étudiants ne sont pas les seuls à être portés « volontaires » par le gouvernement. Selon les militants des organisations qui travaillent sur le sujet, les autorités ouzbeks ont systématiquement recours à ce genre de tactique pour envoyer aux champs des employés du secteur public et privé, y compris des médecins, des infirmières, des enseignants et même des soldats.

"On a vu de nombreux contrats comme ceux-ci," explique Steve Swerdlow, spécialiste de l'Asie centrale et ancien responsable du bureau de Human Watch Rights (HRW), qui travaille avec les associations de la Cotton Campaign. "Parfois, c'est sous forme de promesses écrites qui disent que l'individu s'engage à travailler volontairement, ce qui n'est pas le cas puisque les autorités locales — pas seulement les policiers, mais également les représentant locaux du gouvernement — font du porte-à-porte et forcent de nombreux adultes [à travailler] dans les champs en leur faisant signer des contrats soi-disant volontaires."

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"C'est une forme d'esclavage moderne," ajoute-t-il.

Ceux qui sont trop âgés ou trop infirmes pour travailler sont obligés d'embaucher un travailleur journalier pour aller aux champs à leur place. Ces journaliers touchent un salaire moyen situé entre $7.66 et $11.49 par jour. En comparaison, le salaire moyen d'un enseignant de maternelle est de $77 à $153 par mois, explique un Ouzbek à la BBC.

Un cas unique dans le monde

Matthew Fischer-Daly, de la Cotton Campaign, explique que de nombreuses institutions sont "tenues de contribuer à la récolte, sinon… Soit ils cèdent leurs employés à la récolte du coton, soit ils apportent une contribution financière, soit ils ferment leurs entreprises […] pour ne pas interférer avec la récolte."

Certains fonctionnaires du gouvernement vendent même des dispenses à ceux qui peuvent se le permettre.

"C'est un racket. C'est de l'extorsion," remarque Fischer-Daly. "Cela fait partie de la corruption qui gangrène l'Ouzbékistan et qui est certainement profondément ancrée dans le secteur du coton. Quand on considère le secteur du coton, on s'aperçoit que ce n'est pas un système de production logique. Il existe parce que c'est un système de patronage qui profite aux membres du gouvernement. Les fermiers et la population n'en profitent pas."

La pratique quasi féodale qui consiste à envoyer les gens aux champs date de l'époque soviétique. Même si aujourd'hui, les fermiers sont propriétaires de leurs terres, l'État leur dit ce qu'ils doivent cultiver et il peut les expulser de leurs terres s'ils ne remplissent pas les quotas fixés par le gouvernement.

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"L'Ouzbékistan est un cas unique dans le monde parce que c'est le gouvernement lui-même qui est le trafiquant," explique Swerdlow. "Ce ne sont pas des passeurs ou des mafieux ou des criminels qui font ça. C'est le gouvernement qui, d'une manière très centralisée, envoie des millions de personnes aux champs."

Au cours des trois dernières années, une campagne de sensibilisation a forcé le gouvernement à réduire la part d'enfants associés ce travail forcé. Certains des enfants qui assurent la récolte n'ont que 7 ans.

"L'utilisation des écoles par le gouvernement pour des raisons autres que pour l'éducation continue d'être un sérieux problème," explique Fischer-Daly. "La plupart des enfants qui sont scolarisés en Ouzbékistan ne reçoivent pas une véritable éducation parce que leurs enseignants ont été envoyés aux champs pour cueillir le coton."

L'exemple turkmène

On retrouve les mêmes pratiques au Turkménistan, le 7e exportateur mondial de coton.

Fischer-Daly explique que la Cotton Campaign a indiqué à une dizaine de compagnies — dont H&M et Inditex, qui possède la chaîne Zara — que l'un de leurs fabricants de vêtements bénéficiait du travail forcé. Suite à ces accusations, le gouvernement turkmène a invité des représentants de la Cotton Campaign à visiter l'usine du fabricant en question —Turkmenbashi Jeans Complex, une entreprise dont le gouvernement est actionnaire.

Jointe par VICE News mercredi, la compagnie H&M a nié entretenir une relation professionnelle directe avec l'entreprise concernée, Turkmenbashi Jeans Complex. Elle a également indiqué qu'elle cherchait à déterminer si "un fournisseur de H&M était associé à l'entreprise en question ou bien au coton d'une région interdite."

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"H&M ne tolère pas le travail forcé au sein de sa chaîne d'approvisionnement, et nous n'utilisons pas de coton venu d'Ouzbékistan dans nos produits," a souligné la compagnie dans un communiqué. "Au début de l'année 2013, nous avons renforcé l'interdiction d'utiliser le coton ouzbek en demandant à tous nos fournisseurs de signer une déclaration s'engageant à ne pas utiliser ce coton, de manière directe ou indirecte, s'ils souhaitent continuer à être un de nos fournisseurs."

Inditex n'a pas pu répondre à VICE News dans les délais de parution de cet article.

Les militants appellent également les autres grandes institutions internationales — comme la Banque Mondiale — à exercer une pression sur le gouvernement Ouzbek pour mettre fin au travail forcé.

"La Banque Mondiale a donné le feu vert à des millions de dollars d'investissement qui étaient auparavant gelés, sous prétexte que l'Ouzbékistan a modifié ou amélioré son comportement," explique Swerdlow.

En février, le comité d'inspection de la Banque Mondiale a dit qu'il n'ouvrirait pas d'enquête sur le lien entre les prêts au gouvernement ouzbek et la pratique du travail forcé dans les zones concernées par le projet d'investissement.

La Banque Mondiale n'a pas pu répondre à VICE News dans les délais de parution de cet article.

Pressions sur les militants et journalistes

L'ONG Human Rights Watch a souligné le problème de la violence et des menaces exercées par l'État contre les militants et les journalistes qui tentent de sensibiliser le public au phénomène du travail forcé dans les champs de coton du pays.

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En juin, l'ONG a publié un rapport sur Elena Urlaeva, une militante ouzbek interrogée pendant 18 heures et soumise à un examen vaginal et à un examen anal, à cause de son travail sur le travail forcé. Swerdlow explique qu'Urlaeva a été à nouveau arrêtée plusieurs mois après par un policier qui lui a cassé le bras.

D'autre cas d'abus ont également été signalés par des observateurs indépendants, explique Serdlow.

"Presque tous les défenseurs des droits de l'homme avec qui nous travaillons en Ouzbékistan ont, à un moment ou un autre, été menacés," explique Swerdlow.

Suivez Liz Fields sur Twitter: @lianzifields