FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

En route vers la Caroline du Sud avec le « nouveau » Ku Klux Klan

Le week-end dernier, le KKK s’est rassemblé devant le Capitole de l’État de la côte Est pour manifester contre le retrait du drapeau confédéré qui flottait au-dessus du bâtiment. VICE News a fait la route avec deux membres du KKK.
Photo par Lewis Rapkin / VICE News

Will Quigg est un type qui a un titre à rallonge : « Grand Dragon de Californie, King Keagle de la Côte Ouest des Loyaux Chevaliers Blancs du Ku Klux Klan ». On appelle King Keagle, les chefs du KKK qui sont chargés de recruter de nouveaux membres pour l'organisation qui prône la suprématie des blancs. Le titre de "Grand Dragon" est donné aux responsables du KKK au niveau des États américains.

En clair, Will Quigg est le chef du KKK sur une zone qui court de l'océan Pacifique jusqu'au Texas.

Publicité

Quigg et les Loyaux Chevaliers Blancs ont vu dans le massacre perpétré par Dylann Roof dans l'Église de Charleston en Caroline du Sud — où 9 croyants noirs ont été assassinés — une opportunité pour recruter de nouveaux membres. Des clichés du jeune meurtrier de 21 ans ont rapidement circulé sur Internet à la suite de la tuerie du 17 juin dernier, où il pose avec le drapeau confédéré. Les autorités de Caroline du Sud ont décidé, il y a quelques jours, de retirer le drapeau confédéré qui flottait au-dessus du Capitole de l'État de la côte Est américaine.

Cette décision n'a pas forcément été du goût du KKK qui a estimé que le retrait de la bannière était une attaque contre la « culture blanche ». Les membres de l'organisation ont alors convergé le week-end dernier devant les marches du Capitole de Caroline du Sud pour manifester.

À lire : En photos : le rassemblement du Ku Klux Klan suite au retrait du drapeau confédéré du Capitole de Caroline du Sud

Le week-end dernier, le Grand Dragon de Californie m'a autorisé à faire la route avec lui entre le Piedmont Triad International Airport de Greensboro en Caroline du Nord, où il atterrissait, jusqu'à Columbia, en Caroline du Sud, où se tenait la « klonvocation » — le nom donné aux rassemblements du KKK.

La semaine passée, quand il a accepté que je le suive, je lui ai demandé pourquoi il voulait bien que je fasse les trois heures de voiture avec lui.

Publicité

« Je vous utilise pour faire de la propagande, » m'avait expliqué le Grand Dragon, Will Quigg, par téléphone.

Il voudrait montrer aux gens que le KKK a changé, du moins en apparence — un nouveau look pour une nouvelle vie ?

« Vous connaissez quoi du KKK ? » me demande Quigg, lors de notre entretien téléphonique, précédant notre rencontre du week-end dernier.

« Les robes. Les bombes dans les églises. Les lynchages, » je réponds.

« Vous voyez ? Vous avez une mauvaise image de l'ancien KKK qui traînait des nègres sur le bitume d'un parking de supermarché en les attachant avec une corde autour du cou, qu'ils reliaient à l'arrière de leur pick-up. Le nouveau Klan est différent : nous sommes un mouvement non-violent de défense des droits civiques des Blancs. Le seul en Amérique. »

À lire : Fusillade dans une église : 9 personnes tuées dans un lieu historique de la communauté noire en Caroline du Sud

Quigg est arrivé à la nuit tombée à Greensboro. Au moment de récupérer ses bagages, Calvin Simpson, un membre local du Klan, l'attendait. Simpson est un type grand et mince, avec une longue queue-de-cheval blonde. Il porte des lunettes de soleil malgré l'heure, et sa veste arbore un écusson du KKK au niveau du coeur.

Alors que le Grand Dragon, lunettes aux verres fumés et tenue khaki du KKK, arrivait par un escalator, Simpson s'est placé en bas des marches déroulantes et l'a salué avec le bras tendu, paume de main dirigée vers le sol. Les deux hommes se sont étreints alors qu'une dame qui portait le voile regardait la scène d'un drôle d'air.

Publicité

Le Southern Poverty Law Center — une organisation américaine spécialisée dans les droits civiques — estime qu'il y a un peu mois de 5 000 membres du KKK sur le territoire américain, répartis dans des myriades de « klaverns » (groupes du KKK) non-affiliées.

Dans les années 1920, 4 millions de personnes appartenaient à l'organisation suprématiste — mais il est difficile d'imaginer que le nombre de membres va augmenter à nouveau. L'organisation n'a pas de véritable philosophie à part un argumentaire en trois temps, « Les Mexicains au Mexique, les Noirs en Afrique, les États-Unis pour les chrétiens blancs. »

Mais en écoutant parler Simpson alors qu'on attendait les bagages de Quigg j'ai retrouvé chez lui un discours qu'une partie de la classe ouvrière américaine développe, sans pour autant passer leurs week-ends et soirées en toges à capuche.

« Vous faites quoi comme job ? » je demande à Simpson.

« Pour le moment, grâce aux Mexicains, je suis au chômage. »

« Comment vous faites pour manger si vous n'avez pas un emploi à temps plein ? »

« Bah… Je…Je… Grâce aux frères chrétiens, à la famille et d'autres trucs… J'ai du soutien. »

« Vous n'avez le droit à aucune aide ? Des coupons alimentaires, des choses comme ça ? »

« Oui Monsieur, je reçois bien des coupons alimentaires, » explique le peintre en bâtiment à mi-temps. « Si des immigrés qui sont là illégalement ont droit aux coupons, alors moi aussi j'y ai droit. »

Publicité

« Et moi, je paye pour ça, » je lui réponds.

« Bah ouais, vous les payez parce que vous avez la chance d'avoir un emploi à plein-temps. »

Une réponse un peu stéréotypée. Il faut aussi garder en tête qu'un type qui a été habitué à un certain niveau de vie — qu'on lui a « retiré » — est bien plus dangereux qu'un type qui n'a jamais rien eu.

À lire : L'histoire du policier noir qui a infiltré le Ku Klux Klan

Direction le comptoir Hertz pour Quigg qui y loue une Chevrolet Spark. Je fais remarquer qu'il a été servi par un employé noir derrière le comptoir du loueur de voiture. J'explique aussi à l'employé qu'il était en train de servir un membre du KKK.

« Pourquoi vous essayez de créer des problèmes ? » me lance Simpson. « Nous sommes des chrétiens, Monsieur. Nous nous efforçons de ne pas être impolis. »

Plus tard, une fois installés dans la voiture, je lui demande si cet épisode l'a mis en colère.

« Ouais, mec, je veux dire, qu'est ce que t'as foutu ? » me demande Simpson. « C'était juste un type lambda en train de faire son boulot. On ne les aime pas, mais il faut côtoyer d'autres gens. Vous ne pouvez pas être dans la haine en permanence. »

Le Grand Dragon n'est pas un super conducteur, surtout sur les routes désertes des deux Carolines. Vivant à Los Angeles, il est plus habitué aux embouteillages pendant les heures de pointe. À plusieurs reprises, il va à être à deux doigts de se prendre la rambarde en ciment qui borde la route sur laquelle il fonce à près de 160 à l'heure. Pour expliquer les zigzags, il me dit que ce n'est pas simple de faire une interview et conduire en même temps.

Publicité

À lire : Le Ku Klux Klan recrute à grand renfort de bonbons

La conversation dans la voiture tourne autour de quelques thèmes. D'après Quigg : Jésus n'était pas juif, les catholiques ne sont pas de vrais chrétiens, et l'Holocauste n'a jamais eu lieu. Après l'avoir poussé un peu sur ce dernier sujet, Quigg est plus ou moins revenu sur ses mots.

« Okay, il y a peut-être eu un petit Holocauste — mais pas aussi grave que ce qu'ils nous disent. »

J'avais amené un paquet de crackers salés pour le voyage. J'en propose au Grand Dragon. Il refuse, mais pas Simpson.

« Des crackers ? » demande-t-il en rigolant. « C'est marrant ça. Pas de honte chez moi, je mange de tout. »

Les biscuits salés ont donné soif à Simpson, donc il propose au Dragon de s'arrêter à une station-service pour acheter une bouteille de 2 litres de Coca-Cola. Après quelques détours imprévus, Quigg trouve une station essence, posée au beau milieu d'une ville majoritairement noire.

« Mon gars, on s'arrête à Nègreville, » glousse Simpson. « Tu peux acheter un caillou de crack tranquillement ici, pas vrai Billy ? »

« Ouais. »

« Racailles. »

Simpson rentre dans le magasin, achète le Coca, puis le responsable de la station lui refuse l'entrée aux toilettes. Il revient à la voiture, alors qu'un alcoolo demande à Quigg un peu de monnaie — ce qu'il refuse.

« J'imagine qu'ils laissent uniquement les Noirs aller pisser ici, » marmonne Quigg, en s'allumant une autre cigarette.

Publicité

« Comment vous le vivez ? » je lui demande.

« Je suis dans leur quartier, » commence Quigg, « Je suis dans la mauvaise partie de la ville. Mais je n'ai pas peur. »

Pourtant, il était effrayé, ses mains tremblaient, si bien que la cendre tombait de sa cigarette. Seulement un fou n'aurait pas été effrayé, posé au beau milieu d'un parking, habillé avec son uniforme du KKK et ses verres fumés.

Il tire longuement sur sa clope, et jette le filtre sur le bitume.

« Bougeons d'ici. »

Suivez Charlie LeDuff sur Twitter : @Charlieleduff