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Le Conseil de l’Europe épingle la France sur les droits de l’homme

Un rapport du commissaire aux droits de l’homme s’inquiète de l’augmentation des actes haineux et discriminatoires en France, mais aussi du traitement accordé aux demandeurs d’asiles, Roms, Gens du voyage et handicapés.
Pierre Longeray
Paris, FR
VICE News / Mélodie Bouchaud

Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Nils Muiznieks, a rendu ce mardi 17 février un rapport sur l'état des droits de l'homme en France. Muiznieks regrettait ce mardi matin, lors d'une conférence presse, l'augmentation des actes haineux et discriminatoires en France ces dernières années. La rédaction du rapport a été achevée la veille de l'attentat contre le magazine Charlie Hebdo. Le commissaire pointe dans le premier paragraphe du rapport, « le recul de la tolérance, » en France, ainsi que la multiplication d'actes « homophobes, xénophobes et antimusulmans. »

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Outre le thème du racisme et de l'intolérance, le rapport traite des manquements en matière de droits de l'homme observés en France concernant les migrants et demandeurs d'asile, les Gens du voyage, les populations Roms et les personnes handicapées. Le précédent travail de ce type datait de 2006 et faisait état d'un « haut niveau de protection » en matière de droits de l'homme en France. La publication de ce matin marque un recul d'un pays souvent présenté comme « la nation des Droits de l'Homme » et illustre la dégringolade française en la matière aux yeux des instances européennes.

En # France et en Europe intolérance, racisme et discriminations ont une histoire qui a débuté bien avant la crise — Nils Muiznieks (@CommissionerHR)February 17, 2015

Le commissaire Muiznieks s'est rendu en France, à Paris et Marseille, entre le 22 et le 26 septembre 2014 pour procéder à diverses observations et rencontres afin de constituer son rapport — un séjour pendant lequel il a observé un « effritement de la cohésion sociale et du principe d'égalité. » Le commissaire n'hésite pas à épingler tout au long du rapport la responsabilité des autorités françaises. Pierre Tartakowski, le président de la Ligue des droits de l'homme (LDH), contacté par VICE News ce mardi après-midi, salue le travail du commissaire, « pour son extrême clarté et son honnêteté, il n'y a pas de langue de bois, » notamment sur la responsabilité des pouvoirs publics.

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Contacté par VICE News pour réagir à ce rapport, le ministère de l'Intérieur n'a pas pu nous répondre à ce jour.

Une responsabilité politique

Le rapport s'ouvre sur le point central, dont le reste semble découler, de « l'intolérance, du racisme et de la résurgence de l'extrémisme. » Le commissaire pointe notamment le rôle des réseaux sociaux dans la création de ce climat, mais aussi la banalisation de cette rhétorique à cause de la classe politique française. « Si la majeure partie de la classe politique française rejette cette rhétorique, certains de ses membres tiennent des discours haineux et contribuent ainsi à leur banalisation, » stipule le rapport. Un constat partagé par Tartakowski, qui rappelle que depuis le dernier rapport de 2006, plusieurs épisodes comme celui de la Manif' pour tous, de l'expulsion des populations Roms ou encore du débat avortée sur l'identité nationale, « créent un climat qui nourrit un imaginaire raciste en France. »

« Dans le contexte actuel, on peut dire que c'est un rapport utile, puisqu'il provoque le débat. Néanmoins les points sur lesquels le commissaire met le doigt sont déjà connus et largement documentés, » explique à VICE News Pierre Henry, le directeur général de France terre d'asile (FTDA). Le second point du rapport concerne justement les demandeurs d'asile en France, et notamment les ressortissants syriens qui sont plus de 4 millions à avoir dû quitter leur pays. « La France fait preuve d'une générosité limitée et maîtrisée en accueillant 500 Syriens par an, alors que l'Allemagne reçoit 10 000 Syriens par an, » note Henry — ce que le rapport regrette en appelant les autorités françaises à être « plus généreuses et solidaires. »

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Lors de sa visite en France, le commissaire Muiznieks dit avoir été choqué par la non-scolarisation régulière d'enfants roms dans la région de Marseille. Le commissaire profite aussi du rapport pour réclamer des progrès en matière « d'évacuation des camps roms. » Le président de la LDH rappelle à ce propos que si « l'on est passé d'une politique d'expulsion, époque Sarkozy, à une politique de démantèlement des camps aujourd'hui, le résultat est le même. Il se crée un amalgame dans l'esprit des gens, qui forme un inconscient raciste, puisque les Roms sont identifiés par deux gouvernements successifs comme un problème. »

Un projet politique pour les droits de l'homme

Le commissaire appelle alors le gouvernement français à lancer un « plan national d'action des droits de l'homme, » et en profite pour saluer l'initiative du président français, François Hollande, de faire de la lutte contre le racisme une cause nationale. Selon le président de la LDH, Muiznieks montre, par cet appel à un « plan d'action national, » que la France manque d'un projet politique qui assume que le combat contre le racisme soit central. En revanche, pour ce qui est de l'initiative présidentielle de cause nationale, « C'est tout le contraire de ce dont on a besoin. Nous n'avons pas besoin d'un message formaté, mais d'une meilleure coordination entre les acteurs associatifs et les politiques publiques, » regrette Tartakowski.

« Le commissaire révèle très justement que la France possède des outils précieux et un tissu associatif qui fait des miracles, mais qu'il n'y a aucune orchestration politique de tout cela, » repère le président de la LDH. Les pouvoirs publics mis sous pression depuis les épisodes tragiques de début janvier, se sont lancés « dans une recherche désespérée de solutions, et se mobilisent un peu dans le court terme alors qu'il faudrait prendre les choses à la racine, » explique Tartakowski. « Il s'agit d'un chantier colossal, et ça, on le dit depuis des années. Mais malheureusement les politiques publiques ne sont pas au service de la mise en oeuvre des dynamiques associatives, » conclut le défenseur des droits de l'homme.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Photo VICE News / Mélodie Bouchaud