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Drogue

Et si la France se mettait au cannabis thérapeutique ?

Alors que la Creuse se rêve en laboratoire de la weed à usage médical, une audition a été menée à l’Assemblée nationale sur la nécessité de faire évoluer le cadre législatif.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo : Jack Guez / AFP

Si le gouvernement a fait preuve d’un conservatisme lassant en proposant une amende forfaitaire pour la consommation récréative de cannabis, l’usage thérapeutique, autorisé par une palanquée d’États à travers le monde, commence à faire son chemin dans l’Hexagone.

Le berceau de cette petite révolution française pourrait bien se trouver dans la Creuse, un département en crise, que l’élu régional Éric Correia souhaiterait transformer en laboratoire de la weed médicale. « En octobre dernier, le président Macron a proposé aux élus de faire des propositions innovantes pour provoquer un petit boom économique dans le département [dans le cadre du Plan particulier pour la Creuse] », rembobine l’élu. Voyant ce qu’il se passait outre-Atlantique et aiguillé par son expérience d’infirmier anesthésiste habitué à traiter des patients qui se soignent avec du cannabis, Correia a proposé au président de relancer l’activité en Creuse en montant une production de cannabis à effet thérapeutique encadrée et sécurisée.

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« On a des organisateurs, des filières, des champs, des serres, des fermes avec des unités de méthanisation. Il y a tout ce qu’il faut pour que cela puisse partir, » assure l’élu, qui a été surpris par la réaction des Creusois. « Je pensais qu’ils allaient m’engueuler en me demandant ce qui m’arrivait. Mais certains sont venus me voir pour me dire qu’ils étaient pour. Ce sont des gens de 70, 80 ans avec des douleurs qu’ils n’arrivent pas à calmer. Donc, si on leur amène une solution qui les arrange, ils seront prêts à essayer. »

« C’est comme toutes les plantes aromatiques et médicinales, il suffit d’avoir la main verte. »

Outre le soutien de ses administrés, Correia s’est aussi attiré la sympathie des agriculteurs de la région qui sont prêts à se lancer dans l’aventure à ses côtés. « S’il y a des tests à faire, puis pour les produire ensuite, il n’y a aucun souci », promet Sophie*, une agricultrice de la région, séduite par le projet pour des raisons économiques, mais aussi sanitaires. Suite à un accident de travail, son mari soigne ses douleurs avec du cannabis, qu’ils font pousser chez eux en petite quantité. « Si ça pouvait avancer ça serait bien. Ça nous inquiète d’avoir cette épée de Damoclès au-dessus de nous tous les jours. »

Pour Sophie, faire pousser du cannabis en Creuse ne représente pas un défi technique insurmontable – « C’est comme toutes les plantes aromatiques et médicinales, il suffit d’avoir la main verte » – et pourrait être un bon moyen de mettre du beurre dans les épinards. Comme Sophie et son mari, de nombreux agriculteurs de la région vivent du RSA, ne pouvant pas se verser de salaires.

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Si Éric Correia n’a pas encore eu de retour du gouvernement sur sa proposition, des outils juridiques existent pour en faire une réalité, explique Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles et spécialiste du droit de la drogue à l’université Paul Valéry de Montpellier. « Le code de la Santé publique prévoit la possibilité d’expérimentation pour les besoins de la recherche. On pourrait très bien étendre ça à des besoins médicaux », propose le spécialiste. « Sinon, il y a l’article 72 de la Constitution qui permet d’expérimenter un certain nombre de dispositifs qui ne sont pas encore élargis au niveau national. »

>> Lire aussi : Ces Français qui misent déjà sur la légalisation de la weed

« Si on a réussi à le faire sur l’héroïne, on doit pouvoir le faire sur le cannabis. »

Si volonté politique il y a, le juriste trouvera une solution, assure Bisiou, qui rappelle qu’une issue a été trouvée pour les « salles de shoot » dont l’implémentation a été autorisée par le Conseil constitutionnel à condition que cela soit expérimental. « Si on a réussi à le faire sur l’héroïne, on doit pouvoir le faire sur le cannabis », glisse Bisiou.

Alors que des mécanismes juridiques peuvent être imaginés sans mal, une redéfinition légale du cannabis thérapeutique reste avant tout un défi politique. Et bonne nouvelle, il semblerait que les instances politiques françaises commencent à s’intéresser à la question du cannabis thérapeutique. La semaine dernière, Olivier Véran, député LREM, a mené en catimini une audition à l’Assemblée nationale sur ce thème, après avoir été interpellé par des collectifs se demandaient si la législation devait évoluer. Des associations, des juristes mais aussi des patients ont été entendus par le député pendant près de quatre heures.

« Le but de cette audition est de répondre à une question qui m’est posée, » explique Olivier Véran, qui est aussi rapporteur général de la commission des affaires sociales. « Est-ce qu’il faut ou non bouger la loi ? Est-ce que d’un point de vue scientifique et législatif, il y a lieu de modifier les textes actuels pour aller vers une autorisation encadrée des cannabinoïdes à usage médical ? J’ai fait une première salve d’audition, je regarde ce qui se passe dans les autres pays notamment au Canada et je suis aussi la littérature scientifique. »

Si le député assure en être encore « au balbutiement de l’hypothèse de départ », le cadre législatif mériterait d’évoluer pour Béchir Bouderbala, de NORML France, la branche française de l’influent réseau pro-légalisation américain. Responsable de l’accès au droit chez NORML, Bouderbala a suivi une quarantaine d’affaires judiciaires depuis le début de l’année, dont les trois quarts concernent des usagers malades. « J’accompagne actuellement une mère de famille qui a un glaucome et se soigne avec du cannabis », explique le jeune militant. « Suite à une délation, la police a trouvé quatre plants chez elle. Elle est passée devant la justice, et le premier chef d’inculpation c’est production de stupéfiants – un crime puni de 20 ans de réclusion. »

*Le prénom a été modifié.