Ouragan Irma : à Montréal, de jeunes Antillais nous témoignent leurs inquiétudes

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Ouragan Irma : à Montréal, de jeunes Antillais nous témoignent leurs inquiétudes

Une centaine d’étudiants antillais vivant à Montréal, majoritairement originaires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, se sont réunis dimanche au parc La Fontaine pour se recueillir et commencer à préparer une réponse aux vastes besoins.

Après avoir durement frappé la Floride hier, l'ouragan Irma, rétrogradé en tempête tropicale, s'avance maintenant vers la Géorgie. Pendant ce temps, on fait le bilan de son passage meurtrier dans les Antilles. L'ouragan, alors de catégorie 5, a frappé les îles mercredi dernier. Près de quarante personnes ont été tuées, dont une dizaine dans les îles françaises, selon les bilans provisoires actuels. Selon les chiffres relayés dans les médias, 95 % des bâtiments sur l'île britannique de Barbuda ont été détruits; sur l'île franco-néerlandaise de Saint-Martin, 95 % des bâtiments auraient été endommagés et plus de 60 % des maisons ne seraient plus habitables. L'industrie touristique et le système scolaire sur les îles risquent d'être interrompus pendant des mois. Après que la réponse française initiale a été fortement critiquée par des résidents et par des élus français, le président, Emmanuel Macron, compte se rendre en personne à Saint-Martin mardi.

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Parmi les jeunes Saint-Martinois qui étaient réunis hier dans le parc du Plateau Mont-Royal, certains étaient encore sous le choc, alors que d'autres laissaient entendre leur colère, leur tristesse et leur détermination.

VICE a recueilli quelques témoignages.

Clémence Cauchefer(troisième à partir de la droite, deuxième rang) était une des quatre co-organisatrices de la manifestation d'hier. Environ une centaine de personnes se sont rassemblés.

Clémence Cauchefer, 18 ans, coorganisatrice du rassemblement : « Distinguer le faux du vrai »

« Beaucoup d'entre nous n'avons pas encore de nouvelles de nos familles. J'ai voulu que les gens viennent ici pour se rassembler et donner des témoignages pour que [les Montréalais] comprennent l'ampleur de la situation. Il y a beaucoup de pillages parce que de nombreux bâtiments n'ont plus de toit, et des uniformes de police ont été volés avec des armes, alors on ne peut plus distinguer qui est gendarme et qui ne l'est pas. On nous parle de neuf morts sur l'île, mais certaines personnes rapportent avoir vu beaucoup plus de corps dans l'eau. C'est très difficile de distinguer le faux du vrai, mais ce qu'on entend est horrible. »

Les étudiants saint-martinois Benjamin Demy (gauche), Thibault Poret, Mathlide Pelissier et Alice Chastanet avec le drapeau de leur île.

Thibault Poret, 20 ans : « On attend »

« Heureusement, ma maison a tenu, mais j'ai beaucoup d'amis qui n'ont plus de maison. Ma mère m'a appelé le jour avant le cyclone et elle était en pleurs, elle avait peur. Ma famille est allée se réfugier dans un hôtel pour être en sécurité. Ça a pris trois jours avant de pouvoir entendre les voix de mes parents de nouveau. Ils appellent quand il y a du réseau. Là-bas, tout le monde se connaît, et c'est un peu une tradition pour les jeunes Saint-Martinois de partir faire leurs études à Montréal, s'ils en ont la possibilité. Quand on est partis de Saint-Martin, mes amis et moi, c'était notre île, notre petit paradis, et maintenant il n'y a plus rien. On se sent délaissés par la France; la France parle, mais ils n'agissent pas. On attend. »

Mathilde Pelissier, 22 ans : « Ça va prendre des années »

« La majorité des Saint-Martinois n'avaient aucune idée que ce serait aussi destructeur, aussi énorme. On avait déjà vécu un ouragan majeur, en 1995, l'ouragan Luis. Ça a beaucoup détruit, mais ça a quand même été plus vivable que maintenant. Ma maison a survécu aussi, mais le commerce de mes parents a été détruit. Je ne sais pas ce qui va nous arriver. Il n'y aura plus de travail, plus de revenus, pendant on ne sait pas combien de temps. Ça pourrait prendre des années avant que les touristes reviennent. »

Benjamin Demy, 20 ans : « Il n'y a plus rien »

« Je n'ai toujours aucune nouvelle de mes parents, mais j'ai des nouvelles des amis qui les ont vus et qui m'ont dit qu'ils allaient bien. Mais notre maison a été détruite, il n'y a plus rien. Mon bateau a complètement coulé. »

Naomie Mazzola, 20 ans : « Je ne suis plus française »

Naomie Mazzola dénonce le temps que le gouvernement français a pris pour venir en aide à ses citoyens outre-mer.

« J'ai un passeport français, je respecte des lois françaises, je paie des taxes à la France, mais à partir d'aujourd'hui je ne suis plus française, je suis saint-martinoise. Nous sommes complètement laissés à nous-mêmes. Ma mère garde ma petite sœur à la maison, mon père garde son atelier de métal et mon petit frère de 17 ans est obligé de faire du stop tous les matins pour se rendre à l'atelier et pour permettre à mon père, qui a une maladie cardiaque, de dormir un peu. Dans le quartier, il y a beaucoup de pillages parce que les gens du quartier voisin n'ont pas encore reçu d'aide et il leur manque tout. Il n'y a pas beaucoup de gendarmes, et les gendarmes qui ont été envoyés [de France] sont des jeunes qui ont plus peur que nous, et qui ne vont pas là où on a besoin d'eux. On a des citoyens des autres îles qui nous amènent de l'aide dans leurs bateaux personnels parce que pour nous l'aide n'arrive pas. Pourquoi? Les autorités n'étaient pas prêtes. J'ai l'impression que la France se fout de nous. Ça ne va pas, et la France me dégoûte. »

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Hugo Alvarez, 20 ans : « Nous allons reconstruire »

Hugo Alvarez est convaincu que les saint-martinois arriveront à reconstruire leur île.

« On est habitués à des ouragans en général, on sait qu'on est dans une zone à risque. On a des ouragans à toutes les années et, parfois, il y a trois ou quatre morts… mais des ouragans aussi forts [qu'Irma] sont très, très rares. On ne peut pas se préparer pour un truc pareil. Ça va nous prendre du temps pour tout reconstruire, mais nous l'avons fait en 1995, après l'ouragan Luis, et nous allons le faire encore. Les gens sont ébranlés; ils ont de la difficulté à distinguer le faux du vrai, et même la vérité est difficile à croire. On entend beaucoup parler des pillages, mais on veut parler des solutions; on veut savoir quoi faire pour aider. »

Sébastien Henry, 29 ans : « Il fallait tout faire nous-mêmes »

« J'ai fait appel à la Croix-Rouge canadienne, mais ils étaient débordés sur le coup. J'avais l'impression qu'il fallait tout faire nous-mêmes, alors j'ai fait un GoFundMe. J'ai l'intention d'amasser le maximum de dons possible et de retourner directement chez moi avec les dons reçus. »

Kevin Azède : « Des enfants ingrats »

Kevin Azède et Sébastien Henry veulent amasser des dons et des denrées pour aiser leurs compatriotes dans le besoin.

« On n'abandonnera jamais nos familles. Ils ont beaucoup sacrifié pour qu'on puisse venir étudier au Canada. Si on ne les aide pas, si on laisse notre île retourner à l'état sauvage, on sera des enfants ingrats! »

Des expatriés vivant en France et au Canada ont lancé plusieurs campagnes de financement pour soutenir les sinistrés de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, notamment la campagne GoFundMe « Help Saint Martin Rebuild After Irma ». La Croix-Rouge canadienne collecte actuellement des dons pour un fonds destiné à tous les sinistrés des ouragans Harvey et Irma, en collaboration avec les Sociétés de la Croix-Rouge des pays touchés; les Canadiens peuvent faire leurs dons ici. Carl Boisvert, du service des communications de la Croix-Rouge canadienne, fait également savoir que les Canadiens voulant monter leurs propres initiatives de collecte de fonds ou de dons peuvent demander un appui logistique auprès de l'unité philanthropique de la Croix-Rouge, en appelant à leur section locale.