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Rencontre avec un tueur à gages du cartel mexicain des Zetas

L'homme assis dans la chambre d'hôtel bas de gamme a été très clair : interdiction de le décrire physiquement, bien qu'il n'y ait rien de particulier dans son apparence.

Pendant ce temps, les Zetas s'étaient forgé une réputation de sanguinaires, accrochant des corps sous les ponts, disposant des têtes décapitées devant des écoles ou démembrant des femmes avant de publier les vidéos de cette boucherie sur Internet.

« Nous n'étions pas présents ici dans le Veracruz. Nous y sommes entrés parce que le gouvernement de Fidel Herrera nous a laissés faire et ça, je vous l'assure », explique Sangres, à propos du prédécesseur de Duarte.

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Il assure que « Fidel » a invité les Zetas à s'installer dans le Veracruz, au sud du Tamaupilas, au courant de 2005, pour s'occuper de ses « problèmes ». Mais le gouverneur aurait rapidement perdu le contrôle du groupe.

L'influence des Zetas dans le Veracruz était telle à une époque que les locaux racontaient que la lettre « z » dans le nom de l'État était un hommage aux Zetas et dans d'autres villes du Veracruz, comme la capitale Xalapa-Enriquez, mais aussi Orizaba, Coatzacoalcos, Ciudad Mendoza, Zongolica, Aculztingo, entre autres.

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Fernanda Rubí Salcedo fait partie des victimes des Zetas. Les Zetas auraient enlevé la jeune fille de 21 ans, le 7 septembre 2012, parce qu'un des chefs du cartel la voulait pour petite amie.

Elle et plusieurs amis s'étaient rendus au Bulldog, un bar branché d'Orizaba, une ville du centre de Veracruz, où les Zetas sont particulièrement présents. Vers minuit, quatre hommes armés sont entrés dans le bar et ont fondu sur Rubi.

Le bar était plein à craquer et gardé par des agents de sécurité, mais ça n'a pas empêché les quatre hommes de traîner par les cheveux la jeune fille hors du bar. Ils l'ont fait monter de force dans une camionnette avant de disparaître dans la nuit noire. Le Bulldog est pourtant situé à 50 mètres du quartier général de la police municipale et à quelques centaines de mètres d'une base de la police fédérale.

Depuis, la mère de Rubi fait tout ce qui est en son pouvoir pour essayer de retrouver la jeune femme.

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« J'ai enquêté pour fournir des adresses, des noms et des indices aux autorités. Pourquoi ils n'en font rien? » demandait le mois dernier Araceli Salcedo. « Parce qu'ils connaissent les Zetas, ils savent qui est impliqué et vous ne pouvez pas vous opposer à ces gens. »

Mme Salcedo s'exprimait au cours d'une manifestation organisée à Mexico le 10 mai dernier, jour de la fête des Mères, avec des centaines d'autres familles qui ont aussi perdu des proches partout au Mexique.

Son courage est de notoriété publique dans le Veracruz, surtout depuis qu'elle a été filmée en train de crier « Où est ma famille? » au gouverneur Duarte, alors qu'il visitait Orizaba avec sa famille en octobre 2015.

Le gouverneur a fait mine de l'ignorer avant de sourire en regardant l'affiche de Rubi que portait sa mère. « Ne te moque pas de moi, avait-elle hurlé, arrête de sourire! Vous êtes tous les mêmes. De la pure corruption. » L'appel au secours de Mme Salcedo a eu écho dans tout le Veracruz.

Le premier signe de la perte de contrôle des Zetas dans le Veracruz remonte à juillet 2011. C'est à cette époque qu'une vidéo YouTube a commencé à circuler, dans laquelle un groupe d'hommes armés et masqués, qui commençaient à se faire appeler Los Matazetas (« les Tueurs de Zetas »), mentionnaient l'ancien gouverneur Herrera comme leur chef, le surnommant « Z1 ».

Les Matazetas étaient en réalité une branche du Cartel de la nouvelle génération du Jalisco (CJNG), et leur vidéo annonçait leur tentative de prise de pouvoir dans cet État jusqu'ici contrôlé par les Zetas. Cette vidéo a déclenché une guerre de cartels qui continue aujourd'hui.

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Depuis, le cartel du Jalisco est celui qui a la plus forte croissance dans le pays. Ils sont plus ou moins présents dans tous les États du Mexique.

En 2015, la DEA (l'agence antidrogue américaine) a publié une carte de la distribution des forces des cartels au Mexique. Selon eux, le CJNG possède le centre du Veracruz. Un autre rapport de la DEA, publié la même année, estime que le CJNG (avec ses alliés des Ciunis) est l'organisation criminelle la plus riche au monde, devant le cartel du Sinaloa (dirigée par Joaquín « El Chapo » Guzmán, emprisonné depuis). Le rapport indique que l'État de Veracruz est particulièrement stratégique, parce qu'à partir de cette région, le CJNG peut exporter de la cocaïne et de la méthamphétamine vers le Canada, l'Europe et l'Asie.

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El Sangres assure que les membres du CJNG ont été aidés par Duarte après son entrée en fonction en 2010. « On perd du terrain, de la présence, du respect, de tout », admet-il cependant.

Le tueur à gages indique aussi que les Zetas perdent des hommes au profit du CJNG et déplore que le professionnalisme, qui était la marque de commerce de la ultima letra (la dernière lettre, le Z), commence à se perdre.

« Malheureusement, l'organisation de la ultima letra engage des gens qui ne savent pas ce qu'ils font. Ils envoient au front des enfants qui ne sont pas entraînés. Certains ont 15 ans, jamais plus de 20 ans. Quasiment plus personne ne comprend en quoi consiste notre travail. » Mais même si les tueurs sont inexpérimentés, la violence continue de faire rage dans le Veracruz.

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Au cours du mois qui s'est écoulé après l'entrevue, trois incidents ont fait la une de la presse nationale. À Xalapa-Enriquez, cinq personnes ont été exécutées dans un bar. À Amatlán de los Reyes, cinq corps démembrés ont été retrouvés. Un message accompagnant les corps laisse penser que les personnes exécutées étaient des Zetas, tuées par des petites mains du CJNG. Au Bulldog, le bar d'Ozizaba où Rubi a été enlevée, un cadre du cartel a été descendu au petit matin.

La guerre de territoire avec le Jalisco est l'une des raisons pour lesquelles El Sangres ne voulait pas que l'entrevue dépasse une demi-heure. Il explique que son « travail » lui demande de changer d'endroit toutes les 60 minutes, sinon il risque de se faire tuer. Sa nervosité est évidente. Assis droit sur sa chaise, posée dans un coin de la pièce, ses mains serrent nerveusement les accoudoirs.

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Le tueur à gages explique qu'il a rejoint le cartel après avoir été le témoin d'abus de pouvoir quand il était policier municipal. Il a quitté son boulot à cause de « toutes les injustices » qu'il a vues. Il a rejoint le cartel quand « ils y ont mis le prix ». Mais la vie d'un tueur à gages est loin d'être simple. « Vous dormez mal. Vous devez sans cesse changer de planque. Pourquoi? Parce que même les gens de votre camp veulent vous descendre. » El Sangres dit qu'il a une ex-femme et des enfants. Il assure que son ex sait ce qu'il fait de sa vie, mais ses enfants ne sont pas au courant. Il ne les voit plus. « La famille n'existe plus, je suis seul », marmonne-t-il. Sa voix tremble un peu. Juste avant de quitter l'hôtel, El Sangres nous donne l'autorisation de prendre une photo, une seule, à condition qu'il porte un masque. Nous en avions un avec nous. Il a pris un drap blanc et couvert le dessus de sa tête. Debout devant un mur blanc, il a pointé l'index vers l'objectif en levant le pouce, comme s'il avait une arme. Ce mouvement a soulevé un peu sa chemise, ce qui laisse deviner le vrai pistolet dans son pantalon.