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Crime

Explosion du VIH au Chili : beaucoup ne savent pas qu'ils sont séropositifs

La perception du VIH comme un virus « étranger » complique l'accès aux soins pour de nombreux indigènes séropositifs.
Un malade du VIH dans un hôpital (Photo par Claire Ward / VICE News)

VICE News s'est associé à l'École Supérieure de Journalisme de l'Université de Colombie-Brittanique et aux étudiants en journalisme du Programme de reportage international travaillant sur le projet « Hidden in Plain Sight: Stories of HIV and migration in Chile » (« Cachés Sous Nos Yeux: histoires de VIH et de migration au Chili »).


Lorsqu'a Ana a appris qu'elle était séropositive il y a six ans, elle n'avait jamais entendu parler du VIH.

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Elle vivait à l'époque au sein d'une communauté rurale, dans la région d'Araucanía, au sud du Chili. Ana appartient au peuple indigène des Mapuches, et la médecine occidentale va à l'encontre des valeurs traditionnelles de sa communauté.

« Les Mapuches ont une expression, 'uesá kutrán' [qui désigne] les fléaux introduits par les huinca [les individus non-autochtones] », explique Ana.

La perception du VIH comme un virus « étranger » complique l'accès aux soins pour de nombreux Mapuches séropositifs. Certains experts estiment qu'à Auracanía, au coeur du territoire Mapuche, enfin 25 pour cent des personnes séropositives ignorent qu'elles ont contracté le virus.

Ana — qui n'a pas voulu qu'on utilise son vrai prénom à cause de la stigmatisation des séropositifs au sein de sa communauté et également au Chili — a vécu pendant deux ans avec le virus avant d'apprendre qu'elle l'avait contracté. Depuis, elle a commencé un traitement antirétroviral, mais n'a toujours pas révélé à sa famille ni à sa communauté qu'elle est séropositive.

« Nous vivons dans des communautés soudées et je ne voudrais pas que ma famille soit exclue », dit-elle.

La stigmatisation liée au VIH n'est pas seulement un problème pour les Mapuches. C'est un problème à l'échelle nationale qui est à l'origine d'une explosion des cas de VIH au Chili.

En près de dix ans, le nombre de nouveaux cas a doublé. Aujourd'hui, environ 25 000 personnes au Chili reçoivent un traitement pour le VIH. Les autorités estiment par ailleurs que 14 000 personnes ignorent être séropositives.

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Même si ces chiffres sont plutôt bas comparé aux pays voisins, les experts s'inquiètent de l'exactitude des données gouvernementales. Ils estiment que près de 50 000 personnes au Chili sont séropositives. Le pays a le produit intérieur brut par habitant le plus élevé d'Amérique du Sud.

« La politique [du gouvernement] est très inefficace », nous a dit Carlos Beltrán, un immunologue réputé qui dirige SIDA-Chile, une organisation vouée à la lutte contre le virus. Pour lui, ce sont la stigmatisation du virus et les politiques dépassées du gouvernement en matière de dépistage et de traitement qui sont responsables de la flambée de cas.

« La prévention repose sur des campagnes publiques qui encouragent l'utilisation de préservatifs mais l'impact de ces campagnes sur la population est très faible », nous a-t-il dit.

Au Chili, les soins sont gratuits et l'accès aux antirétroviraux est garanti par la loi. Pourtant, les traitements disponibles ne sont pas conformes aux dernières directives internationales. Le Chili ne propose pas de dépistage rapide, et ne dispose pas de cliniques ambulantes — deux méthodes de prévention que l'on retrouve dans beaucoup d'autres régions du monde, y compris en Afrique sub-saharienne.

Le Dr. Beltrán s'inquiète de l'inaction des autorités chiliennes à un moment décisif de la lutte contre le VIH. Pour l'immunologue, si la politique ne change pas, le virus va continuer à se propager.

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« Les autorités n'ont pas l'air d'être conscientes de l'époque à laquelle nous vivons, ni du besoin urgent de changer [les choses] au niveau de l'accès au dépistage et au traitement », dit-il.

L'inefficacité des stratégies de dépistage et de traitement n'est pas le seul obstacle à la prévention au Chili. Le niveau d'éducation sexuelle est tellement faible qu'en 2015, l'organisation Planned Parenthood a noté que le Chili avait la pire politique d'éducation sexuelle de tous les pays d'Amérique latine.

Comme le virus du VIH est transmis principalement par voie sexuelle, un tel détail n'est pas anodin.

« Lorsqu'on a enfin cherché à savoir combien d'écoles au Chili enseignaient l'éducation sexuelle, la réponse a été qu'elles sont très, très peu nombreuses », explique David Pama Diaz, un docteur et un chercheur en santé sexuelle pour Fundacion Iguales, une organisation LGBTQ à Santiago.

Cette pénurie se fait particulièrement ressentir au niveau du dépistage chez les jeunes de moins de 19 ans. Selon un rapport de Ministère de la Santé, le nombre de jeunes séropositifs a augmenté de 74 pour cent en cinq ans.

« Si aujourd'hui, c'est 74 pour cent et que rien ne change, dans cinq ans on en aura deux fois plus », explique Palma Diaz.

Le problème du VIH est particulièrement sérieux à Arica, une ville dans le nord du pays. La ville a le triste honneur d'avoir le taux d'infection le plus élevé du pays. Les jeunes de moins de 19 ans qui vivent à Arica ont quatre fois plus de chance d'être séropositifs que leurs camarades dans le reste du Chili. Cela s'explique en partie par l'utilisation limitée du préservatif à Arica.

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Une boîte de nuit à Arica, au Chili (Photo de Jon Hernandez / VICE News)

La propagation du virus à Arica est inquiète tellement les autorités qu'elles ont lancé une campagne de prévention controversée appelée « Arica est séropositive ». Dans le cadre de cette campagne régionale, une clinique de dépistage a été établie dans le centre-ville.

C'est l'un des deux seuls endroits du pays qui proposent un dépistage sans rendez-vous préalable.

« Il y a un gros problème de sensibilisation, ici à Arica. C'est l'une des raisons pour lesquelles gens n'utilisent pas de préservatifs », nous explique Liliana Muñoz, qui travaille à la clinique. L'une de ses missions est de mettre en oeuvre la stratégie de prévention — ce qui consiste parfois à distribuer des préservatifs dans des boîtes de nuit.

« Il existe encore beaucoup de préjugés. La stigmatisation et la discrimination sont les principales forces de dissuasion lorsqu'il s'agit du dépistage de VIH dans la région », dit-elle.

Les autorités sont les premières à admettre que leur réponse à la crise du VIH est inadéquate. Dans un rapport de 2013 soumis à UNAIDS, le programme national de VIH du Chili s'est donné une note de 4 sur 10 pour sa campagne de prévention.

« Le Ministère de la Santé s'engage pour le bien-être de tout le Chili, et donc notre politique doit prendre en compte les besoins et les droits de toute la population », a dit Irene Escribano, une haute représentante du Programme National pour la Prévention du VIH/SIDA.

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Escribano explique que les populations marginalisées (jeunes et communautés indigènes) sont particulièrement exposées au virus. Leur accès aux traitements est difficile, ce qui contribue à la propagation du virus.

« Il est difficile de mettre cette population en contact avec toutes les ressources disponibles dans le pays : dépistage, accès au traitement antirétroviral et autres services qui améliorent la qualité de vie », explique Escribano. « Le système de santé doit prendre en charge ces personnes qui vivent avec le VIH mais qui l'ignorent ».

Ruth Antipichún, une guérisseuse traditionnelle Mapuche, oeuvre pour élargir l'accès aux traitements. Elle collabore avec une clinique publique de Lampa, en banlieue de la capitale Santiago, pour instaurer une approche inter-culturelle du traitement VIH/SIDA.

Ruth Antipichún utilise des méthodes traditionnelles pour aider à soigner les symptômes du VIH et améliorer la qualité de vie de ses patients. (Photo: Peter Mothe/VICE News)

Ce traitement mélange la médecine traditionnelle Mapuche — qui repose sur les plantes médicinales et les cérémonies spirituelles — à des traitements anti-rétroviraux. Pour Antipichún, c'est la meilleure manière de s'assurer que les Mapuches séropositifs consultent des médecins, tout en respectant leur lien avec la médecine traditionnelle.

« Notre Ñuke mapu [Terre nourricière] a quelque chose pour toutes les maladies du corps », nous dit Antipichún. « [La nature] est là pour nous aider avec les symptômes du VIH et du SIDA. »

Cette approche est une étape décisive de la lutte contre la stigmatisation du VIH au sein des populations indigènes du Chili.

Pour Ana, c'est une évidence: à moins que les attitudes ne changent, la politique du gouvernement ne pourra pas devenir plus efficace et le virus continuera de se propager à travers le pays.

« Si [le gouvernement] n'y consacre pas de ressources », nous dit-elle, « je ne vois pas comment nous pourrons, en tant que société, surmonter ce virus. »


Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.