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Les extinctions d’animaux d’élevage n’intéressent personne

La planète est couverte de vaches et de poulets. Cela n’empêche pas la disparition de nombreuses races d’élevage dans l’indifférence générale.

On entend beaucoup parler d'extinctions d'espèces, ces dernières années. Rhinocéros, singes, grenouilles, ours polaires, autant d'animaux dont le grand public a d'ores et déjà intégré la vulnérabilité.

Mais certaines extinctions sont un peu moins visibles que d'autres. En réalité, il existe 1458 espèces menacées d'extinction dont personne ne parle.

Ces extinctions potentielles, selon un rapport récent des Nations Unies, concernent des animaux d'élevage : bovins, chèvres, porcs, poules, etc. En d'autres termes, nous parlons là d'animaux dont l'humain dépend pour se nourrir et pour effectuer des travaux agricoles. S'ils venaient à disparaître, à cause de maladies, du changement climatique, de croisements interspécifiques, etc., cela aurait des conséquences sur l'alimentation de nombreuses populations humaines. Il faudrait donc préserver ce patrimoine génétique pour assurer la sécurité et la stabilité alimentaires dans le siècle à venir.

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La FAO (Food and Agriculture Organization) prédit qu'au moins 17% des 8774 races d'élevage enregistrées à ce jour risquent de s'éteindre. Les causes de ce phénomène sont variables, mais dans un grand nombre de cas, on l'explique par l'introduction de races non indigènes sur un territoire donné, et par l'abandon de races peu « compétitives » sur le marché.

« Les gouvernements doivent s'intéresser à la conservation des ressources génétiques. »

En d'autres termes, ces races ne produisent pas assez de viande, d'œufs, de lait, ou d'autres produits que les races commerciales les plus populaires. Comme l'industrie s'est tournée vers des méthodes plus centralisées et plus uniformes pour la production alimentaire, cela signifie les races les moins adaptées à son modèle productif sont laissées de côté.

Cette menace n'est pas uniquement théorique. Selon la FAO, nous aurions déjà perdu une centaine de races d'animaux d'élevage au siècle dernier.

Mais en quoi la perte d'une race de vache importe-t-elle vraiment, sachant que notre planète porte déjà près d'un milliard de ces animaux ? Préserver ces races pourrait être essentiel dans les parties du monde où la consommation de produits animaux est nécessaire à la survie.

Les races en question ont peu à voir avec la très populaire race bovine Holstein ou la dinde Bronze que les américains achètent pour Thanksgiving. Nous parlons plutôt de la vache iakoute, qui a connu des siècles d'élevage sélectif pour lui donner ses caractères actuels et sa capacité à résister à une température de -60°C. Ou à la vache du Pantanal, au Brésil, qui survit à des parasites qui mettraient n'importe quelle race commerciale au tapis. Certaines de ces espèces menacées contribuent à préserver leur milieu, comme le mouton d'Engadine, qui a manqué s'éteindre il y a trente ans mais contribue aujourd'hui à contrôler la progression des plantes invasives. On peut également citer le mouton Swiniarka de Pologne, qui peut éclaircir des étendues d'herbe délicate que de plus gros animaux piétineraient sans ménagement. D'autres animaux encore ont su s'adapter pour vivre dans des conditions où l'eau est rare, à de très hautes altitudes, ou encore pour survivre à des maladies et à des parasites particulièrement agressifs.

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Le poulet cubain, une race menacée. Image: Kruppert/Wikimedia

« De nombreux défis nous attendent, » déclare Beate Scherf, à la tête du programme d'agriculture soutenable de la FAO. « La population mondiale croit. Nous sommes plus que jamais dépendants de notre environnement. Nous devons nous adapter afin de surmonter les problèmes à venir. En l'occurrence, les petites races d'élevage, elles, sont parfaitement adaptées. Contrairement aux races internationales utilisées en masse dans l'industrie agroalimentaire. »

La FAO met en garde contre l'homogénéité de l'approvisionnement alimentaire mondial, lié un large éventail de menaces. Lorsque tous les animaux d'élevage dans une même région appartiennent à la même race, ils pourraient être anéantis très rapidement par une maladie ou un parasite. Le changement climatique, quant à lui, pourrait rendre certaines régions inhabitables pour des races qui y vivaient jusque-là. Enfin, les croisements pourraient causer tout un tas de problèmes génétiques et morphologiques chez les animaux. En l'occurrence, toutes les vaches Holstein de la planète sont issues de deux reproducteurs ayant vécu dans les années 1880. « Les individus sont tous des filles ou des filles du même père, » explique Scherf.

Ces craintes ne sont pas nouvelles. De nombreuses études ont déjà montré que la plus grande partie de la viande commercialisées aux États-Unis provenait d'une poignée de races animales différentes, ce qui rend l'approvisionnement en nourriture vulnérable aux changements soudains et au stress environnemental. (Évidemment, le fait que tous les hamburgers de McDonald's aient le même goût a aussi ses avantages.)

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Les États-Unis ont dû abandonner de nombreuses races d'élevage face à la mécanisation de l'industrie agroalimentaire explique Ryan Walker, chargé de communication chez The Livestock Conservancy, une association qui œuvre à préserver les races dites « traditionnelles. » « Pour faire court, nous avons choisi l'efficacité et la quantité plutôt que la qualité, » dit-il. « Dans le pays, la tendance est de privilégier la nourriture à bas prix au détriment du bien-être animal, de l'adaptation des animaux à différents milieux, de la résistance aux parasites, de la relation mère/petit, ainsi que tous les autres traits qui ont disparu de nos cheptels. »

Si le risque alimentaire demeure très réduit aux États-Unis, explique Scherf, la situation est plus incertaine dans les pays en développement. La perte des espèces d'élevage indigènes pourrait provoquer des famines. « C'est une question de vie ou de mort », affirme-t-elle.

Pour régler ce problème, la FAO encourage les 129 pays qui ont contribué au rapport à développer des programmes d'intervention nationaux pour sauver leurs races locales d'animaux d'élevage. « Les gouvernements doivent s'intéresser à la conservation des ressources génétiques, » ajoute Scherf. Elle explique que les gouvernements devraient s'intéresser aux races traditionnelles, et investir dans des programmes qui permettraient de les rendre plus productives sur le temps long, comme les États-Unis l'ont fait avec les vaches Holstein.

« Si vous investissez dans un programme d'élevage, les gains se cumulent, » affirme Scherf. « Chaque génération sera plus productive que la précédente. » Sur une période de 20 à 40 ans, cela permettrait de créer une race d'élevage hautement compétitive, tout en conservant ses caractères les plus importants, ceux dont dépend son adaptation à l'environnement local. Malheureusement, explique Scherf, personne ou presque n'a parié sur ce genre d'investissement jusqu'alors.

Quelques gouvernements, cependant, ont pris en compte la menace qui pèse sur ces 1458 races d'élevage. 64 pays ont mis des banques de gènes sur pied, et 41 autres envisagent de créer les leurs. La FAO, quant à elle, a publié un plan d'action pour la conservation des ressources génétiques animales, espérant que ce dernier servira de cadre aux différents pays qui pourront l'adapter à leur situation locale. La moitié des pays possèdent désormais un plan d'action ont sont sur le point d'en développer un.

Mais à quoi devons-nous nous attendre, au-delà de la menace d'extinction ? Le rapport de la FAO est beaucoup plus complet que son prédécesseur publié il y a trois ans, mais les données qu'il utilise demeurent lacunaires. Selon le rapport, nous sommes incapables de déterminer le statut de près de 58% des races agricoles dans le monde. Ces races pourraient également être en danger, ou même avoir déjà disparu.

Scherf estime que nous devons nous concentrer sur ce que nous savons. « Il est plus important de travailler sur une race que nous savons fragile, car nous pouvons étudier sa variabilité génétique en détail. Tant pis pour les races qui ont déjà disparu. »