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Une IA est capable d’identifier et prédire les zones de pauvreté depuis l'espace

À croire que sur Terre, personne ne veut plus faire des études de terrain.

L'aide internationale aux pays pauvres est loin d'être aussi efficace qu'on le voudrait, d'autant plus qu'elle est entravée par la machine bureaucratique et la paperasse depuis des décennies. En plus de cela, de nombreux pays (en Afrique notamment) souffrent du manque de données socioéconomiques de bonne qualité qui permettraient de distribuer les fonds de manière plus juste et plus efficace.

« Le monde moderne se fait une fierté de combattre la pauvreté, » affirme Neal Jean, doctorant en informatique à l'école d'ingénieurs de l'Université Stanford. « C'est la priorité numéro 1 de l'Agenda pour un développement soutenable des Nations Unies à l'horizon 2030 ; le problème, c'est que nous n'atteindrons jamais nos objectifs sans données de meilleure qualité. Difficile d'aider les gens pauvres quand on ignore où ils se trouvent et de quelle manière ils sont répartis. »

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Neal Jean et 5 autres chercheurs en informatique espèrent résoudre ce problème en utilisant des données d'imagerie satellitaire et un modèle de machine learning. Ils décrivent leurs recherches dans un article publié la semaine dernière dans Science, fournissant ainsi la preuve de concept d'un algorithme capable de faire des prédictions sur la pauvreté dans cinq pays d'Afrique : le Nigéria, la Tanzanie, l'Ouganda, le Rwanda et le Malawi.

Les chercheurs de Stanford ont combiné des images satellite haute résolution avec de puissants algorithmes. Image: Neal Jean et al./Science

Prenons l'Angola, par exemple. Le pays est indépendant du Portugal depuis 40 ans, et pourtant, le premier recensement postcolonial de la population a été effectué il y a 2 ans à peine. L'Angola possède de vastes réserves de pétrole, mais après 27 ans de guerre civile, la moitié de ses habitants vivent dans la pauvreté. Malheureusement, nous disposons de peu de données sur leur bien-être économique ; dans ces conditions, il est impossible de créer des programmes capables d'aider efficacement les communautés les plus pauvres du pays : nous ne savons pas ce dont ils ont le plus besoin.

Les gouvernements sont parfois réticents à communiquer sur les inégalités économiques qui marquent leur pays, d'une part à cause de la corruption, et d'autre part parce que cela est susceptible d'envenimer les conflits. Selon la Banque Mondiale, 39 des 59 pays africains ont produit moins de deux rapports sur la pauvreté entre 2000 et 2010. Parmi eux, 14 n'ont fourni aucune donnée. Enfin, la plupart des informations fournies ne seront jamais publiques.

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Depuis des décennies, les chercheurs se battent pour mesurer la pauvreté en utilisant des bases de données alternatives : réseaux sociaux, requêtes sur des moteurs de recherche, et utilisation des réseaux mobile. Au Rwanda par exemple, où 72% de la population a un accès mobile en 2014, les chercheurs ont pu déduire la répartition et la localisation des Rwandais grâce aux données issues des entreprises de télécom. Ces méthodes non traditionnelles sont utiles, précise l'article, mais parce qu'elles reposent entièrement sur des données propriétaire, elles posent de gros problèmes de confidentialité et limitent la pertinence des extrapolations.

De plus, les techniques de collecte de données traditionnelles, comme les enquêtes auprès des ménages, demeurent extrêmement coûteuses (à hauteur de centaines de milliards de dollars) et sont parfois entravées par les troubles civils. Parfois, les organismes de recensement proposent des prêts aux pays en question en lieu et place de subventions ; la plupart ne peuvent se permettre d'accepter ces conditions.

Les images satellite haute résolution, elles, sont accessibles au public de manière gratuite et illimitée ; vous pouvez les trouver directement sur Google Maps. Comme le montre l'étude, elles peuvent contenir une foule de données sur la pauvreté, pour peu que vous sachiez comment les extraire.

L'utilisation d'image satellite pour estimer la répartition de la pauvreté dans une zone donnée n'est pas nouvelle. D'autres chercheurs ont déjà observé que « les lumières nocturnes », ou pollution lumineuse, étaient un bon indicateur de l'activité économique des nations en développement. Théoriquement, une luminosité importante traduit la présence d'infrastructures, de développement, et de richesses. Le problème est de distinguer les zones où la pollution lumineuse est très peu importante de celles où elle est absente. Pour la même raison, les lumières nocturnes sont un indicateur peu fiable dans les zones extrêmement peuplées.

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La nouveauté de cette étude est qu'elle utilise un algorithme capable de combler les lacunes de données à partir des patterns observés par celui-ci après entrainement sur des milliers d'images satellite. Selon Jean, il a été possible d'identifier 4096 marqueurs économiques en regardant des images satellitaires prises de jour, dont des routes, des zones urbaines et des voies d'eau. Une fois capable d'identifier ces marqueurs, l'algorithme a été en mesure de prédire quelles zones seraient lumineuses à la nuit tombée.

« Notre approche fait intervenir une technique de machine learning appelée « apprentissage par transfert, » qui repose sur l'idée que l'on peut résoudre un problème difficile—dans le cas présent, prédire les zones de pauvreté à partir d'images satellite—en en résolvant un plus facile. On obtient ainsi des connaissances que l'on transfère pour résoudre le problème plus difficile, » ajoute Jean.

Choisir de se concentrer sur les prédictions de luminosité de telle ou telle zone durant la nuit plutôt que sur d'autres indicateurs économiques a son importance : la pollution lumineuse dans les pays en développement fait partie des indicateurs les plus étudiés et les mieux documentés. Dans le futur, des ONG pourraient utiliser cet algorithme pour cartographier la pauvreté dans le monde. Enfin, ce modèle de machine learning a l'avantage de favoriser la transparence des données.

La technique a ses limites, cependant. Par exemple, elle est hautement dépendante de la fréquence à laquelle Google Maps met à jour ses images satellite. De plus, l'algorithme n'est pas parfait. Ses prédictions sont bien meilleures que celles utilisées jusque-là avec d'autres techniques, mais selon les chercheurs, elles restent « à peu près correctes, » sans plus.

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Autre problème : la démarche qui consiste à identifier les pauvres à partir de leur scintillement, depuis l'espace, a quelque chose de hautement impersonnel. Cela montre que pour la communauté internationale préfère encore déléguer l'analyse de disparités socio-économiques à une machine imparfaite plutôt que de s'aventurer sur le terrain.

Jean envisage de publier toutes ses recherches en open source, et espère que plusieurs organisations seront intéressées par les applications pratiques de son algorithme. « Si nous leur fournissions des cartes de la pauvreté haute résolution, elles pourraient concentrer leur action dans les régions où elles interviennent déjà, pour distribuer les fonds de développement de manière plus efficace. »

En 2012, la banque Mondiale estimait que 330 millions d'Africains vivaient sous le seuil de pauvreté, survivant avec 1,90$ par jour. En dépit des progrès technologiques et du développement de l'aide humanitaire, le nombre d'Africains vivant dans une pauvreté extrême a augmenté de 100 millions depuis 1990.

« De meilleurs données permettront de prendre de meilleures décisions, qui affecteront les vies de millions de personnes, » affirme Luc Christiaensen, chef du département d'économie de la Banque Mondiale. « Ce n'est pas qu'une histoire de quantité ; la qualité des données est essentielle. »