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Crime

Fin de vie : la « sédation profonde » est-elle une euthanasie déguisée ?

Une proposition de loi remise vendredi au président français évoque des pistes proches du suicide assisté, sans toutefois employer ce terme. Le texte ne semble satisfaire ni les pro ni les anti-euthanasie.
Photo via Flickr/Graeme Churchard

Une proposition de loi sous forme de rapport à propos de la fin de vie a été remise vendredi au président de la République française François Hollande par les députés Alain Claeys (PS) et Jean Léonetti (UMP).

La proposition ouvre un nouveau temps fort dans le quinquennat de François Hollande, la mesure est présentée dans la presse comme un sujet brûlant, susceptible de diviser les Français autant que celui du mariage pour tous.

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Le projet de loi propose d'imposer au médecin le respect du choix des patients atteints de maladies graves et incurables qui refuseraient de suivre leurs traitements. Il veut aussi renforcer le rôle d'une personne de confiance choisie par le patient, et mettre en place une « sédation profonde et continue jusqu'au décès. »

La France n'autorise pas l'euthanasie, mais la loi Léonetti, votée en 2005, vise à éviter l'acharnement thérapeutique et à fournir des soins palliatifs, les actes médicaux qui visent à soulager les souffrances physiques et psychiques des patients. Élu Président de la République en 2012, François Hollande avait fait de la fin de vie l'un de ses thèmes de campagnes en promettant « d'introduire la possibilité de bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » . Commandé quelques mois après son élection, le rapport Sicard préconisait le recours aux soins palliatifs, même dans le cas où ceux-ci accélèrent la mort du patient, et n'excluait pas la piste du suicide assisté.

En juin 2014, le médecin Nicolas Bonnemaison avait été jugé pour avoir abrégé la vie de sept de ses patients, âgés, malades, et en fin de vie. Le médecin, qui assumait pleinement ses actes, avait été acquitté par la cour d'Assises des Pyrénées-Atlantiques alors qu'il risquait la prison. Les avocats de Bonnemaison avaient salué la décision, en espérant qu'elle obligerait les pouvoirs politiques à « aller plus vite » concernant une loi sur la fin de vie.

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VICE News a interviewé Alain Claeys, l'un des deux députés qui ont travaillé sur cette proposition de loi. Claeys - qui dit avoir suivi avec intérêt le récent débat concernant le suicide médicalement assisté aux États-Unis, autorisé dans quelques États - explique avoir voulu donner de nouveaux droits au patient.

« Nos concitoyens ont deux demandes : que leur choix soit entendu et qu'ils aient une fin de vie apaisée » dit-il. « Notre proposition de loi répond à ces deux demandes. » Il ajoute : « Je crois qu'il faut surmonter le débat de « laisser vivre » ou « faire mourir ». […] Nous voulons seulement assurer aux patients qui le souhaitent une fin de vie apaisée, par une sédation profonde qui peut être mise en place tandis que les traitements de survie sont arrêtés. »

Le député français précise par ailleurs qu'il récuse le terme de « suicide assisté », qui désigne selon lui le fait de mettre à disposition du malade « une drogue mortelle ».

VICE News a contacté Christophe Michel, secrétaire général de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Pour lui, ce projet de loi est « une illusion hypocrite » qui n'apporte presque rien à la loi de 2005, qui prévoyait déjà des soins palliatifs et une protection contre l'acharnement thérapeutique.

Il explique : « La sédation existe déjà, et si elle peut résoudre certains cas, elle ne peut pas tout résoudre. La moitié des patients bénéficiant de soins palliatifs qui ont fait une demande d'euthanasie ont réitéré leur demande. » D'après Christophe Michel, dans l'état actuel des choses, la sédation s'apparente déjà presque à un suicide assisté, puisqu'elle accélère la mort et qu'elle est accompagnée d'un arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielle.

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Cet aspect du projet de loi a d'ailleurs fait l'objet de vives critiques sur Twitter, où les internautes ont créé un hashtag #DroitDeMourirDansLaDignité. Beaucoup d'internautes ironisent sur le fait que cette loi revient à faire mourir les patients de faim et de soif plutôt que de les euthanasier.

Visiblement on a pas finit de mourir de fin et de soif en France.— … said the cat. (@cutesmilingcat)12 Décembre 2014

Mourir de faim & de soif dans le coma c'est la négation de notre humanité c'est de l'humiliation c'est indigne — Nexus (@NexusGauche)14 Décembre 2014

— ?-?ger@ud?-? (@d_geraud)12 Décembre 2014

D'autres pays européens ont déjà légiféré dans le sens d'une autorisation de l'euthanasie pratiquée sous un contrôle strict. En Belgique, l'euthanasie est autorisée depuis 2002, et le royaume a légalisé l'euthanasie pour les mineurs le 13 février 2014. Aux Pays-Bas, l'euthanasie est légale depuis 2001, et depuis 2009 au Luxembourg. Dans d'autres pays, comme la Suède, la Norvège ou l'Allemagne, l'euthanasie passive - qui consiste à cesser un traitement qui maintient un patient atteint d'une maladie grave et incurable en vie - n'est pas pénalisée. Enfin, des pays comme la Grande-Bretagne, l'Italie ou la Pologne interdisent totalement l'euthanasie, qu'elle soit active ou passive.

Christophe Michel affirme pour sa part que considérer la liberté de disposer de son corps est un principe fondamental, à la fois des droits de l'homme et de la République. « Personne n'est euthanasié de force, les religieux n'ont pas à imposer leurs convictions aux autres, surtout dans un État laïque, » poursuit-il évoquant les parties qui vont animer le débat public.

L'association Alliance VITA, qui milite contre l'euthanasie (ou contre l'avortement et la GPA) , n'a pas pu répondre dans l'immédiat aux sollicitations de VICE News mais a fourni le communiqué de leur mouvement Soulager mais pas tuer, qui bénéficie entre autres du soutien de Philippe Pozzo di Borgo, l'aristocrate tétraplégique qui a inspiré le film à succès Intouchables. Le mouvement - qui avait appelé à des manifestations, peu suivies, contre l'euthanasie le 10 décembre - réagit défavorablement au projet de loi remis vendredi au président. L'association dénonce notamment un « contournement des mots « euthanasie » et « suicide assisté » sous l'emploi de l'expression « sédation profonde et continue jusqu'au décès » », qu'elle considère comme une « menace d'une euthanasie déguisée ».

En juin 2014, la Cour européenne des Droits de l'homme avait suspendu une décision du Conseil d'État français qui s'était prononcé contre le maintien en vie de Vincent Lambert, un homme maintenu dans un état végétatif depuis 2008. La femme de Vincent Lambert a demandé à ce que son mari soit « débranché », tandis que ses frères et soeurs et ses parents y sont opposés. La décision de la Cour européenne est toujours attendue.

Suivez Virgile dall'Armellina sur Twitter @armellina