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Algérie

L’opposition au gaz de schiste ne faiblit pas en Algérie

Ce dimanche, comme quasiment tous les jours depuis le début de l’année, la petite ville d’In Salah s’est à nouveau mobilisée contre l’exploitation du gaz de schiste dans le Sahara algérien.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo via Flickr / Angeoun

Ce dimanche, comme quasiment tous les jours depuis le début de l'année, la petite ville d'In Salah (36 000 habitants) située à 1 200 km au sud d'Alger s'est à nouveau mobilisée contre l'exploitation du gaz de schiste dans le Sahara algérien, des médias locaux ont dénombré plusieurs centaines de manifestants. Le Président Bouteflika aurait pourtant décidé 5 jours auparavant le gel des forages de puits destinés à l'exploration de cette nouvelle source énergétique polémique, notamment en termes d'impact environnemental.

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Cela fait près d'un mois que les habitants de cette ville - qui se trouve à proximité d'un gisement propice à l'exploitation du gaz de schiste - manifestent presque quotidiennement. La semaine passée, la gronde s'est étendue à d'autres villes du Sud du pays, mais aussi dans la capitale algéroise et à Oran. Dans un pays où 60 pour cent du budget de l'État provient du pétrole, le gouvernement tente de se diversifier avec les ressources énergétiques non conventionnelles — en l'occurrence, le gaz de schiste — en les présentant comme une nécessité pour permettre une transition énergétique.

De l'exploration à l'exploitation

Le 27 décembre 2014, le ministre de l'Énergie algérien, Youcef Yousfi, avait annoncé que le premier forage pilote de gaz de schiste réalisé dans le bassin d'Ahnet — à 35 kilomètres d'In Salah — s'est avéré « très prometteur. » Le ministre a assuré que la première fracturation hydraulique a été réalisée « avec succès. » Cette annonce surprise a alors lancé le mouvement contestataire dans la ville d'In Salah opposée à l'extraction.

Les déclarations de Yousfi font craindre aux opposants une exploitation réelle et à court terme du gaz de schiste dans le sud de l'Algérie. Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, avait pourtant garanti courant juillet 2013 qu'il s'agirait simplement d'une mission d'exploration — les puits pouvant potentiellement être exploités à l'horizon 2024. Mais la tentation est grande pour le gouvernement d'accélérer le calendrier, l'Algérie se situant au troisième rang mondial en terme de réserves de gaz de schistes exploitables, derrière la Chine et l'Argentine.

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Contacté par VICE News, le gouvernement algérien n'était pas en mesure de nous répondre dans les délais de parution de cet article.

Moussa Kacem est professeur à l'Université d'Oran et expert en mines et carrières. Contacté par VICE News, il nous explique le principe du fracking — technique dite « non conventionnelle » utilisée pour extraire ce fameux gaz de schiste.

« On procède en premier lieu à un double forage vertical et horizontal dans de la roche perméable, le schiste. Puis on y injecte à haute pression un mélange composé à 90 pour cent d'eau, 4,5 pour cent de sable et le reste d'additifs chimiques pour faire de petites fractures dans la roche et permettre au gaz de s'échapper, » détaille l'expert.

Le problème de cette méthode d'extraction est son impact néfaste sur l'environnement — ce qui a conduit des pays comme la France ou la Pologne à s'opposer ou à différer la décision d'une future exploitation du gaz de schiste.

Dangers pour l'écosystème saharien

Moussa Kacem note deux dangers de l'exploitation du gaz de schiste propres à l'écosystème saharien.« L'exploitation du gaz de schiste engendre des émanations de gaz notamment du méthane, qui joue un rôle prépondérant dans le processus de réchauffement climatique. Il faut savoir qu'un climat aride, plus de 50°C en été, règne dans le Sahara. Donc l'émanation de tels gaz ne va qu'aggraver le changement climatique et faire monter la température dans ces régions, » alerte l'expert.

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L'exploitation fait aussi craindre le pire pour « L'agriculture saharienne qui souffre du manque d'eau, » prévient Kacem. La fracturation hydraulique est à la fois très gourmande en eau et « pollue les nappes phréatiques à cause des produits chimiques utilisés — dont certains sont cancérigènes — ce qui risque inévitablement de contaminer les terres agricoles. »

Mansouria Mokhefi est conseillère pour le Maghreb et le Moyen-Orient à l'IFRI, Institut Français des Relations internationales, elle enseigne également à Paris pour la New York University (NYU). Contactée par VICE News, elle rappelle que « Les troubles agitent le sud du pays depuis plus d'un an, dans une région qui est animée par les trafics en tous genres, mais aussi les mouvements islamiques. » Dans ce contexte particulier, on assiste à une véritable structuration du mouvement depuis le 1er janvier, date à laquelle 1 500 personnes ont défilé pacifiquement à In Salah. La contestation s'est rapidement étendue à plusieurs villes voisines et plus au Nord dans les oasis sahariennes. Un manifestant de 21 ans, Mohamed El Noui, serait mort le 4 janvier, dans des affrontements avec les forces de l'ordre. À Alger, une manifestation a été empêchée le 17 janvier, alors qu'Oran et des villes de la Kabylie se mobilisaient la semaine passée.

Pour Mokhefi, ces mouvements révèlent « Le profond divorce entre le gouvernement et la population. Il y a un profond manque de confiance dans tout ce qu'entreprend le gouvernement. » Ces manifestations sont donc l'occasion pour les Algériens de « mettre à plat tous les problèmes qui agitent le pays comme la transition démocratique ou l'après-pétrole. Le gaz de schiste fait donc figure de cristallisateur de problèmes beaucoup plus vastes, » explique la spécialiste de l'Algérie.

Alors que l'on pourrait penser que ce soudain virage vers le gaz de schiste n'est qu'une réaction à l'effondrement récent du cours du pétrole, la décision de se tourner vers le fracking date en réalité de 2011 — date à laquelle la compagnie Sonatrach avait commencé à creuser des puits. En janvier 2013, la loi sur les hydrocarbures algérienne avait même été révisée à l'Assemblée nationale pour permettre l'exploitation des énergies non conventionnelles.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Photo via Flickr / Angeoun