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Crime

La grosse fiesta de Poutine pour l’annexion de la Crimée

La Crimée est devenue une sorte de paria diplomatique, frappé notamment par les sanctions économiques des pays occidentaux. Pourquoi ne pas fêter ça ?
Photo by Pavel Golovkin/AP

Il y a un an, la Russie a envahi la Crimée qui était alors en Ukraine, et l'a annexée. Cela a aggravé les tensions dans la région, alimentant un conflit séparatiste. La Crimée est devenue une sorte de paria diplomatique, frappé notamment par les sanctions économiques des pays occidentaux.

Alors, pourquoi ne pas fêter ça ?

Le président Russe Vladimir Poutine, des parlementaires, et des chanteurs de pop russe bien sucrée comme il faut, se sont retrouvés ce mercredi en face du Kremlin, sur la scène d'une démonstration bien huilée de patriotisme en ce jour d'anniversaire d'annexion de la Crimée qui a été présentée comme une évidence historique quelles que soient les objections des pays étrangers.

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Comme dans le cas de précédentes manifestations pro gouvernement, des dizaines de milliers de Russes se sont présentés à l'événement, beaucoup venus dans des cortèges syndicaux, universitaires, ou politiques. La police moscovite, qui souvent gonfle le nombre de manifestants lors de ce type de rassemblement, a indiqué que plus de 110 000 personnes étaient là.

Poutine a parlé depuis la scène, dressée en face des célèbres dômes de la cathédrale de Saint Basile. Il a dit que ses compatriotes avaient fait preuve de « sang-froid, d'un patriotisme étonnant, en aidant les habitants de Crimée et de Sébastopol à rejoindre les rivages [de leurs] origines. »

« Nous ne sommes pas en train de parler simplement de territoire, nous en avons suffisamment, » a-t-il dit. « Nous sommes en train de parler de racines historiques, des racines de notre foi et de notre gouvernement. Nous sommes en train de parler de ce qui fait de nous un peuple unique et ce qui fait de nous une nation cohérente et unie. »

Poutine a ajouté qu'il considérait les Russes et les Ukrainiens comme « un peuple » malgré des dégâts dans la relation entre les deux communautés qu'il impute au nationalisme ukrainien. Alors que Poutine et d'autres officiels parlent de l'Ukraine comme d'un pays « frère », leur amitié n'a pas suscité le même élan d'affection de la part du gouvernement pro européen de Kiev, qui voit dans Moscou une force motrice du soulèvement pro russe dans l'est de l'Ukraine.

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Ce rassemblement s'est tenu quelques heures après que Poutine a signé un document qui place un peu plus le territoire disputé d'Ossétie du Sud sous contrôle Russe. L'Ossétie du Sud est un territoire qui a fait sécession de la Géorgie lors d'un conflit bref en 2008 qui a été marqué par une intervention Russe. L'accord signé rapproche les armées et les économies des deux pays, à l'image de ce qui a été signé avec un autre territoire disputé avec la Géorgie, celui de l'Abkhazie.

Après son discours, Poutine a entonné l'hymne national. Au premier rang de la foule, certains scandaient son nom. Les stars de la pop ont fait des vocalises avec le président, parmi elles, le crooner à la voix grave Grigory Leps, qui a été blacklisté aux USA en 2013 pour des liens avec la mafia.

Les organisateurs avaient distribué des drapeaux russes, et d'autres participants tenaient des pancartes et des affiches sur lesquelles on pouvait lire: « La Russie et la Crimée ensemble » et « Merci Poutine pour la Crimée et Sébastopol. » Un étudiant en droit tenait un panneau disant : « Obama, reconnaît donc l'évidence, » en référence au refus du président américain de reconnaître l'annexion de la Crimée.

La Russie a consolidé sa présence dans la péninsule. Poutine l'a présentée comme une composante vitale du pays, un endroit qui fait partie de l'héritage religieux et historique de la Russie. Dans un discours au mois de Décembre, il parlait de l'Ukraine comme d'un « Mont du temple » russe. Vladimir le Grand, le prince qui a converti la Rus' de Kiev au christianisme à la fin du Xe siècle, aurait été baptisé en Crimée.

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L'Occident a imposé des sanctions économiques à la Russie après cette annexion de la Crimée en mars de l'année dernière. La combinaison de ces sanctions et la nette chute des prix du pétrole depuis l'été ont poussé l'économie du pays vers la récession. L'inflation en Russie a grimpé de 16,7 pour cent en février — c'est la plus grosse poussée de la décennie — les chiffres sont encore plus forts pour la seule Crimée, atteignant 42,5 pour cent à la fin 2014.

Les USA et l'Europe ont mis en place un embargo sur la Crimée en matière de commerce et d'investissement. Pendant ce temps l'Ukraine a coupé l'approvisionnement en électricité, fermé un canal important d'irrigation, et des lignes de transport en commun vers la péninsule après son annexion. Parmi les nombreux problèmes qui ont suivi, la Crimée a vécu des pannes de courant.

Malgré ces épreuves, Poutine est resté sur ses positions vis-à-vis des pays occidentaux, donnant même l'impression de prendre les sanctions à la légère.

« Nous surmonterons tous les problèmes et difficultés que l'on nous jette dessus depuis l'étranger, » a-t-il dit à la manifestation. C'est une stratégie inopérante contre la Russie. »

Plusieurs figures de premier plan qui étaient à la fête ont fait écho à cet esprit de ténacité.

La crise économique en Crimée ? « Ce n'est pas le plus gros problème, » nous dit Nikolai Valuev, un immense colosse, ancien champion de boxe poids lourd, aujourd'hui un parlementaire. « Les gens sont en vie et bien portant. »

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« Oui, les prix montent, mais ces sanctions ne feront changer d'avis personne, » a ajouté Alexander Zaldostanov, un ami de Poutine, et un leader du club de biker des Night Wolves. Répondant au surnom du « chirurgien », il est arrivé en avion pour parler à la manifestation moscovite. « En fait, [les sanctions] ont l'effet inverse. Elles confirment aux gens que nous avons fait ce qu'il fallait. »

De fait, les sanctions, jusqu'ici ont l'air d'avoir eu peu d'effet sur le plan politique. Dans le même temps, le soutien dans les médias d'État à cette position dure face à « l'agression » des pays occidentaux a dopé la popularité du chef Poutine en Russie. Les sondages sont au plus haut.

« Je n'ai jamais voté pour lui, je n'ai jamais pris part à aucune élection, mais maintenant qu'il nous a rendu la Crimée, moi et mes proches on est à 100 pour cent pour Poutine, » nous dit une professeur d'histoire, Olga Nikolayevna.

Les positions qui ont primé à la manifestation rappellent le style de celles qui prévalaient pendant la guerre froide. Un général russe est monté sur l'estrade pour déclarer que la Crimée était un « poste avancé » qui défendait le pays d'une « agression de la part de l'Amérique ou de l'OTAN ».

« Si Poutine n'avait pas agi ainsi [en Crimée] il y a un an, alors la flotte américaine serait en train de mouiller près de chez moi aujourd'hui, » nous raconte Valery Zolotaryov, un retraité qui vit sur les bords de la mer noire. Pour lui les sanctions, « ce n'est pas grand-chose par rapport aux vies humaines et aux pleurs de bébés. »

En parlant des gens de Crimée, il explique qu'« Ils n'auraient pas accepté de vivre sous la junte de Kiev. Le sang aurait coulé. »

Suivez Alec Luhn sur Twitter: @ASLuhn