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Culture

L’ancien électricien de Picasso condamné pour le recel de 271 oeuvres du maître

Condamné à 2 ans de prison avec sursis Pierre Le Guennec a toujours expliqué que la dernière femme de Picasso lui avait donné un carton plein de dessins et croquis qu’il a laissé traîner 40 ans dans son garage.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via VICE News / Etienne Rouillon

Les époux français Le Guennec ont été condamnés à 2 ans de prison avec sursis, pour le recel de 271 oeuvres de Pablo Picasso, ce vendredi matin, par le tribunal de Grasse (Alpes Maritimes). Pierre Le Guennec a été l'ancien électricien du peintre. Il a toujours dit que les oeuvres en sa possession étaient un cadeau de la dernière femme de Picasso, Jacqueline. Aujourd'hui ce fond est estimé entre 60 et 100 millions d'euros. L'électricien avait laissé ces oeuvres dormir dans un carton, dans son garage, jusqu'en 2010, date à laquelle il a essayé de les faire authentifier — étape indispensable avant toute revente. Claude Ruiz-Picasso, fils de Pablo, et en charge de l'authentification, avait alors déposé une plainte contre les époux Le Guennec en septembre 2010 qu'il accusait de vol et de recel. La justice française a donc estimé que l'accusation de recel était justifiée, elle n'a pas pu se prononcer quant au vol, désormais prescrit.

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Le tribunal de Grasse, dans le Sud de la France, avait été le théâtre de ce procès hors-norme, qui s'est tenu entre le 10 et le 12 février dernier. Les proches et experts du peintre Picasso s'étaient employés à démonter la thèse du « don » soutenue par Le Guennec. Les oeuvres vont finalement être remises au fils de Pablo Picasso. C'est ce qu'a déclaré, ce vendredi matin, le président du tribunal correctionnel de Grasse, Jean-Christophe Bruyère. Les deux époux risquaient jusqu'à 5 ans de prison avec sursis, mais le procureur Laurent Robert a rappelé que les deux septuagénaires avaient été « totalement dépassés » et qu'ils n'avaient pas gagné d'argent dans cette affaire dont les origines remontent à près de 40 ans.

Aux débuts des années 1970, installé dans la propriété de Notre-Dame-de-Vie à Mougins, nichée dans l'arrière-pays niçois, Pablo Picasso profite de ses vieux jours avec sa dernière épouse, Jacqueline Roque, et continue de peindre. Rapidement, le mas du peintre — toujours aussi productif — devient un véritable musée, et les deux époux songent à protéger leur maison. C'est ainsi qu'ils font la connaissance de Pierre Le Guennec, qui doit s'occuper de leur installer un système de sécurité. Il devient vite un ami de la famille, et est affectueusement surnommé « petit cousin » par Pablo et Jacqueline. Pierre Le Guennec restera l'électricien attitré de la famille Picasso jusqu'en 1984 — année de la mort de Jacqueline.

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À peu près deux ans avant la mort de Picasso en 1973 — l'ex-électricien « ne se rappelle pas exactement » de la date — Jacqueline Roque lui aurait donné, selon Le Guennec, près de 271 oeuvres du peintre. L'épouse du maître lui aurait dit « Ça, c'est pour vous. » Les presque 300 oeuvres tiennent dans un carton qui contient « des dessins, des esquisses, du papier froissé », selon les déclarations de Le Guennec. Il explique avoir laissé la boîte traîner dans le garage de sa maison, pendant près de 40 ans, sans vraiment y penser.

Mais, en 2010, il contacte Claude Ruiz-Picasso, le fils de Pablo et responsable de la Picasso Administration, qui supervise les authentifications des oeuvres du peintre — indispensables avant toute vente. Le Guennec arrive à Paris avec sa femme et 180 des 271 oeuvres, dans une petite valise à roulette. Le fils Picasso est pour le moins surpris de ce que Le Guennec lui montre. Sous ses yeux, collages cubistes et études de travaux préparatoires qui datent d'une période qui va de 1905 à 1932. Des pièces uniques qui n'ont jamais été recensées. L'ancien électricien explique qu'il avait oublié les tableaux dans son garage, mais qu'atteint d'un cancer, il doit commencer à mettre de l'ordre dans sa vie pour ses deux fils.

Claude Ruiz-Picasso décide de porter plainte contre les époux Le Guennec pour vol et recel en septembre 2010, après leur étrange rencontre. Un mois plus tard, le 5 octobre, les 271 oeuvres retrouvées au domicile des Le Guennec sont saisies et une information judiciaire est ouverte en décembre de la même année pour recel uniquement, le délit de vol étant frappé par la prescription, les faits remontant à plus de 40 ans.

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On découvre alors que l'arrivée de Pierre Le Guennec dans la vie de Picasso n'est pas si anodine qu'il n'y paraît. L'ancien électricien est le cousin de Jacqueline Bresnu — mariée avec un certain Maurice Bresnu. Maurice est aussi connu sous le surnom affectif de « Nounours » et a été le chauffeur de Picasso pendant une longue période de sa vie. Nounours avait lui aussi reçu des oeuvres de Picasso. Avant sa mort, en 1991, Maurice Bresnu avait vendu des dizaines d'oeuvres de Picasso présentées comme des dons du peintre.

À la mort de Nounours, Jacqueline Bresnu est encore propriétaire d'une centaine d'oeuvres de Picasso. Elle organise quelques ventes à travers le monde, mais s'éteint en 2009 avec encore des croquis et autres dessins en sa possession, pour une valeur estimée de 500 000 euros. Il se trouve que Le Guennec est l'un des héritiers de Jacqueline Bresnu. Maître Jean-Jacques Neuer, qui assure dans ce procès la défense de trois des héritiers Picasso, dont son fils Claude, pense que Le Guennec serait manipulé par des marchands d'art qui voudraient mettre la main sur ses oeuvres et celles récupérées via le legs de Nounours.

Le Guennec s'est toujours présenté comme un piètre connaisseur d'art, ce qui pourrait expliquer pourquoi il aurait laissé dans leur boîte les quelques chefs d'oeuvre oubliés du maître Picasso. Pourtant, lorsque l'on retrouve les 271 oeuvres inédites chez lui, elles sont consciencieusement classées, mais aussi accompagnées de commentaires précis sur les oeuvres. Toujours pour Maïtre Neuer, et sans preuves tangibles, Le Guennec se serait fait aider pour ce travail de classement du fond — ce qui validerait sa thèse de l'ancien électricien influencé par un réseau de revendeurs. Le Guennec, lui, explique pendant le procès qu'il a rédigé ses commentaires grâce à « des livres sur Picasso ».

Plusieurs experts de l'art de Picasso et ses proches ont été unanimes lors de leurs auditions : jamais Picasso — ou du moins sa femme — n'aurait pu donner une telle collection, ce que Le Guennec présente comme un « tas de vieux papier » donné sans explications « un soir dans un couloir » du mas des Picasso. Anne Baldassari, ancienne conservatrice du musée Picasso de Paris, avait détaillé l'attachement du peintre à ses oeuvres lors de son intervention début février lors du procès. Picasso aurait, selon la spécialiste, dit à plusieurs reprises, « Je garde tout, on est ce que l'on garde. » Pourtant, l'artiste donnait beaucoup, mais signait toujours ses dons — ce qui n'est pas le cas des oeuvres trouvées dans le garage des Le Guennec.

Dernière incohérence relevée par le président du tribunal sur la version défendue par Le Guennec : un prêt de 540 000 francs accordé par Jacqueline Picasso à son électricien en 1983. Le Guennec souhaite alors se reconvertir en chauffeur de taxi, mais la licence coûte cher. Il se tourne alors vers la dernière femme de Picasso. Ce qui étonne le camp Picasso, c'est que Jacqueline n'a pas soumis à ce moment à Pierre Le Guennec l'idée de vendre quelques-unes des 271 oeuvres. Oeuvres qu'elle était donc censée lui avoir donné. Pour les avocats de la famille Picasso, cet épisode signifierait qu'il n'y a jamais eu de don.

Reste à savoir si on pourra retrouver les croquis du garage de Le Guennec au musée Picasso qui a rouvert ses portes l'année passée à Paris.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray