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Crime

L’organisation État islamique revendique l’attaque du musée du Bardo de Tunis

Cette revendication à travers un message audio est faite le lendemain de l’attaque qui a fait 21 morts. La Tunisie se trouve aujourd’hui face à divers défis d’ordre tant sécuritaires, politiques qu’économiques.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo par Salah Ben Mahmoud/AP

L'organisation État islamique revendique ce jeudi après midi, dans un enregistrement audio, l'attaque perpétrée à Tunis ce mercredi 18 mars. La Tunisie a été frappée par une attaque dans le musée du Bardo, situé dans la capitale du pays. Des hommes ont fait feu dans ce lieu touristique. Le bilan est ce jeudi de 21 morts selon le ministère de la Santé. L'organisation terroriste confirme l'identité des deux assaillants tunisiens tués hier, lors de l'intervention des forces spéciales. Identités révélées plus tôt dans la journée par la Tunisie. Le musée du Bardo étant mitoyen du Parlement tunisien, des doutes avaient été émis sur la cible véritable des terroristes : l'EI confirme que c'est le musée qui était bien visé. Le message se conclut par un avertissement, l'EI préparerait d'autres attaques.

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— SITE Intel Group (@siteintelgroup)March 19, 2015

Habib Essid, le premier ministre tunisien, avait identifié plus tôt ce jeudi, Yassine Abidi et Hatem Khachnaoui comme les deux assaillants du musée, abattus hier par les forces spéciales tunisiennes. Yassine Abidi serait originaire d'un quartier populaire de Tunis, et Khachnaoui de Kasserine — une ville de l'ouest tunisien. Le premier ministre a aussi assuré qu'Abidi était « connu des services de sécurité […] Il était signalé et suivi. » Le Président tunisien, Béji Caid Essebsi a annoncé pour sa part ce jeudi que « Quatre éléments en relation directe avec l'opération (terroriste) et cinq autres soupçonnés d'être en relation avec cette cellule » ont aussi été arrêtés.

Si l'Élysée avait d'abord annoncé que deux Français avaient trouvé la mort ce mercredi dans l'attaque, le président français, François Hollande, a déclaré ce jeudi après-midi, à son arrivée à Bruxelles pour une réunion du Parti socialiste européen, « qu'il y a une interrogation sur une troisième personne française [décédée]. » La France va envoyer un magistrat antiterroriste ainsi que des policiers en Tunisie pour collaborer avec les forces locales. Le ministre de l'Intérieur français, Bernard Cazeneuve, se rendra à Tunis vendredi, alors qu'une enquête a été ouverte par le parquet de Paris comme il est de coutume lorsque des Français sont touchés à l'étranger.

Sur l'avenue Bourguiba du centre tunisois, plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées mercredi soir, criant à l'unisson, « La Tunisie est libre, les terroristes dehors. » Deux touristes espagnols étaient restés cachés dans le musée toute la nuit et ils ont été retrouvés ce jeudi matin par la police. La plupart des touristes tués dans l'attaque du Bardo voyageaient sur des bateaux de croisière des compagnies Costa et MSC — qui ont annulé toutes les prochaines escales de leur flotte prévues à Tunis.

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La Tunisie victime d'un « flottement » sécuritaire ?

L'attaque a eu lieu alors que les députés tunisiens débattaient au Parlement (mitoyen du musée du Bardo) sur la nouvelle loi anti-terroriste du pays. Cette révision de la loi était nécessaire dans un pays sujet à « un flottement du système sécuritaire depuis la chute de Ben Ali, » explique à VICE News, Hasni Abidi, politologue et spécialiste du monde arabe. Abidi précise cependant que l'ancien dictateur du pays, renversé en 2011, « n'était absolument pas une garantie de sécurité » et que l'attaque est en partie due à « l'héritage catastrophique de ses politiques sécuritaires et économiques ». Simplement, depuis 2011, on a pu observer une « démobilisation » des services de sécurité, selon le spécialiste.

Le nouveau gouvernement tunisien, formé en janvier 2015 fait preuve de « bonne volonté, mais manque de moyens tant financiers que juridiques pour assurer la sécurité du pays » selon Abidi, ce que s'employaient justement à corriger les parlementaires au moment de l'attaque. Le parti Nidaa Tounes, à la tête du gouvernement, a été élu en janvier dernier sur un programme de « retour de l'État » — comprendre, de l'ordre et de la sécurité pour lutter contre le péril djihadiste. « Le gouvernement est attendu sur ces dossiers, mais a besoin de temps pour faire ses preuves en matière de gestion des menaces, » tempère le politologue.

Frapper l'espoir démocratique du monde arabe

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La Tunisie fait figure d'espoir pour nombre d'aspirants à plus de liberté dans les pays du monde arabe. Elle apparaît comme le seul exemple de démocratie installée dans un des pays qui a connu les soulèvements du printemps arabe. Les élections libres se succèdent dans le pays depuis 2011 et la nouvelle Constitution garantit les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Le nouveau gouvernement, dit d'union nationale, a été formé autour, du parti Nidaa Tounes, et du parti islamiste Ennahda (au pouvoir entre 2012 et 2013). Ennahda — qui a renié en 2013 ses anciennes alliances avec le groupe extrémiste d'Ansar Al-Charia — a fermement « condamné le crime terroriste odieux » du Bardo.

Pour Abidi, le gouvernement a « plus que jamais besoin d'Ennahda, qui peut être un antidote contre la propagande djihadiste. » Certes, un parti politique n'est jamais « totalement homogène » et certains éléments plus radicaux que d'autres persistent. Mais « Les partisans du djihad ne se reconnaissent absolument pas dans Ennahda, » pose Abidi. Cependant, le spécialiste rappelle que le passage au pouvoir du parti avait sans doute permis « une certaine permissivité politique et médiatique » de discours extrémistes.

La Tunisie est le pays qui fournit le plus de candidats au djihad pour l'EI — ils seraient près de 3 000 selon les chiffres officiels et près de 500 djihadistes seraient revenus en Tunisie depuis la Syrie. Le pays est aussi sujet à la pression de la branche libyenne de l'EI formée en novembre 2014, dans laquelle les Tunisiens sont majoritaires. La Tunisie partage une frontière au sud avec la Libye. À l'ouest, à la frontière avec l'Algérie, dans le mont Châambi, la brigade Okba Ibn Nafaâ d'AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) est considérée comme le groupe djihadiste le plus puissant de Tunisie et attaque régulièrement l'armée tunisienne.

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À lire : Le sud de la Tunisie manifeste contre des mesures anti-contrebande

« La réussite de la Tunisie est l'échec de la mouvance djihadiste, » nous explique Hasni Abidi — ce qui en fait une cible de choix. Interrogé avant la revendication de l'EI, Abidi expliquait que « Les terroristes cherchent un retentissement médiatique à leur action — ce qui est garanti en visant des touristes. »

Cette attaque permet aussi de toucher à un des poumons de l'économie tunisienne : le tourisme qui représente 7 pour cent du PIB tunisien et emploie 12 pour cent de la population active. Déjà gravement touché dans l'après 2011, plusieurs observateurs craignent que le tourisme pâtisse de cette attaque. Le tourisme rapportait en 2014, 15 pour cent de moins qu'en 2010. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, annonçait ce jeudi matin que l'Europe réfléchissait à une aide économique pour la Tunisie — dont la faiblesse économique formerait un terreau fertile pour le terrorisme.

Le musée du Bardo réouvre ses portes mardi prochain.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray