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FRANCE

Histoires de présidentielle — #4 : Comment réagissent les présidents après un attentat ?

Tout au long de cette année de campagne présidentielle en France, VICE News et l'INA se penchent sur les archives vidéos marquantes des présidents et candidats de la Cinquième République.
Jacques Chirac, président de la République, le 5 septembre 1995 sur un plateau de France 2. (Pool New / Reuters)

Tout au long de cette année de campagne présidentielle en France, VICE News et l'INA se penchent sur les archives vidéos marquantes des présidents et candidats de la Cinquième République. Ça s'appelle « Histoires de présidentielles » et vous pouvez retrouver tous nos articles en cliquant sur cette page.


Sous la Cinquième république, la France a été frappée par des attentats à plusieurs reprises. L'intervention du chef de l'État face aux caméras est devenu un moment crucial après le drame. Incarner le peuple français, jouer un rôle de médiateur international, mettre en garde contre la violence ou des menaces sur la cohésion de la nation, les buts poursuivis et les moyens employés peuvent différer.

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Mais une stratégie de communication commune se dessine au fil des ans. Enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l'Université Paris-Ouest Nanterre, Gilles Ferragu a analysé pour nous des vidéos d'archives. Il est l'auteur du livre Histoire du terrorisme aux éditions Perrin.

1961 : Le général De Gaulle — Incarner le peuple français

La guerre d'Algérie fait rage depuis 1954. En 1959, le général de Gaulle, revenu au pouvoir un an auparavant et devenu le premier président de la Cinquième République, évoque pour la première fois l'idée d'« autodétermination » de l'Algérie. Alors que des négociations s'engagent sur le statut de cette colonie française, l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS) est créée en 1961, pour s'opposer à l'indépendance de l'Algérie.

Elle est responsable de nombreux attentats de l'été 1961 à l'été 1962, en métropole et sur le sol algérien. Le 22 avril 1961, quatre généraux français mènent un putsch à Alger. Le général de Gaulle applique alors l'article 16 de la Constitution qui lui confère des pouvoirs exceptionnels. Cette mesure ne sera levée que le 1er octobre 1961.

Le lendemain, dans une allocution télévisée, le général de Gaulle revient sur ces événements sans les nommer directement (à partir de 10 minutes et 7 secondes) :

Gilles Ferragu : « Ce qui me frappe, c'est le fait qu'il ne parle que par euphémisme. C'est une manière de trancher le débat, de refuser la question du terrorisme. C'est un style qui disparaît rapidement dans la lutte contre le terrorisme, qu'on nommera clairement par la suite. Il n'évoque pas les attentats qui ont eu lieu contre lui, mais contre la France en général. Cela répond à la stratégie gaullienne : le président incarne le peuple français.

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Il fait référence à ceux qui veulent revenir au régime de la Quatrième République. Il leur répond en assurant que dorénavant, ça sera soit lui, soit la violence et l'échec. De cette manière, il justifie la nouvelle Constitution. C'est un discours hautement politique. Il distingue enfin les « temps menaçants », sans les préciser — et s'en remet pour cela au peuple, du « péril public ». Dans ce cas-là, il prendra lui-même des mesures, comme l'application de l'article 16. »


1980 : Valéry Giscard d'Estaing — Éviter le piège de la violence

Le 3 octobre 1980, en fin d'après-midi, une bombe explose devant une synagogue de la rue Copernic, à Paris. Elle fait quatre morts, dont deux passants, et une quarantaine de blessés. D'abord imputé à l'extrême-droite, l'attentat est finalement attribué au Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OS). Le contexte international est alors tendu. Au Moyen-Orient, après deux guerres (celle « des Six jours » en 1967 et celle « du Kippour » en 1973) remportées par Israël, le pays fait face à l'opposition de l'Organisation de Palestine (OLP), menée par Yasser Arafat, et aux révoltes des Palestiniens sur les territoires occupés. En France, on assiste à une hausse des actes antisémites.

Le 8 octobre, au journal de 13 heures, le président Valéry Giscard d'Estaing lit la déclaration qu'il a faite lors du conseil des ministres :

Gilles Ferragu : « Valéry Giscard d'Estaing lit les mots qu'il a exprimés au Grand Rabbin et au Conseil des ministres. Le président prend ainsi la tête de la réaction face à l'attentat. Il fait référence tout de suite à l'hitlérisme. Il mentionne aussi les « Français juifs, qui sont des Français parmi d'autres Français ». Il s'agit d'une forme de réponse aux mots malheureux de Raymond Barre [Ndrl : celui-ci avait évoqué un attentat « qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents »].

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Il détaille d'emblée son programme, qui consiste notamment en une mobilisation de la société civile et la collecte de données locales de sécurité. Il comprend que l'anti-terrorisme est aussi une politique au niveau local. Il finit en faisant référence à un débat que nous avons encore aujourd'hui : le piège de la violence. Nous avons les mêmes discussions face à Daesh, avec le souci de ne pas provoquer une crise dans la société française, voulue par les terroristes. »


1995 : Jacques Chirac — Refuser officiellement la discussion avec les terroristes

En 1995, une vague d'attentats touche la France. Le premier, qui a lieu le 25 juillet, fait huit morts et 119 blessés. Une bouteille de gaz, pleine d'écrous, explose à la station Saint-Michel, sur la ligne du RER C de Paris. Les attaques se succèdent ensuite jusqu'au mois d'octobre. Elles sont revendiquées par le Groupe islamique armé (GIA), un groupe né en Algérie. Un premier suspect, Khaled Kelkal, est tué le 29 septembre par les gendarmes. Une opération de police menée les 1er et 2 novembre à Paris, Lille et Lyon permet d'arrêter deux autres auteurs présumés des attentats, Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem. Ils sont condamnés à la prison à vie en 2002.

Lors de sa première intervention télévisée après son élection, le 5 septembre, Jacques Chirac s'exprime sur le terrorisme :

Gilles Ferragu : « De nouveau, cet extrait soulève des questions que l'on se pose encore actuellement : celles sur les frontières, ici concernant l'espace Schengen. Le problème demeure entier. Les gouvernements prennent conscience à ce moment là du fait que le terrorisme est international et des limites des frontières européennes. Jacques Chirac a aussi une réflexion sur le fait qu'on ne discute pas avec les terroristes.

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Dans ce discours, on est face à un objet politique. Derrière, en réalité, on discute avec les terroristes. Il mentionne aussi la « morale » de la France. Il pose la question de la justification de la violence. Il s'agit en fait, avec les terroristes, d'un duel entre deux morales qui ne veulent pas se reconnaître. »


2001 : Jacques Chirac — Jouer le rôle de médiateur international

Le 11 septembre 2001, à 8h46, un Boeing 767 s'écrase sur la tour nord du World Trade Center, en plein New-York. Quelques minutes plus tard, un autre avion percute la tour sud. Puis un troisième heurte le Pentagone, à Washington. Un dernier s'écrase en Pennsylvanie, après que les passagers ont résisté aux terroristes ayant détourné l'appareil. Une semaine après ces attentats, perpétrés par Al-Qaïda, Jacques Chirac est le premier chef d'État à se rendre à New-York. Il se déplace aussi à Washington, où il tient un discours devant les communautés françaises de New-York et de Washington :

Gilles Ferragu : « La France joue le même jeu depuis De Gaulle, celui du médiateur international. Jacques Chirac est le premier chef d'État à se rendre aux États-Unis, il rencontre le maire de New-York et Kofi Annan. Il agite la communauté internationale. Ici, on est face à un terrorisme bien différent de celui pensé auparavant.

La spécificité de Jacques Chirac, c'est qu'il apporte de la mesure, en insistant sur le fait que tous les Arabes ne sont pas des terroristes. On se souvient des amitiés du président avec le monde arabe. Ensuite, dans son discours, il ne peut pas dire que c'est la [seule] puissance des États-Unis qui est attaquée. Ce sont des éléments de communication. Les deux tours deviennent alors la terre entière. »

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2012 : Nicolas Sarkozy — Mener une campagne qui ne dit pas son nom

Le 19 mars 2012, Mohamed Merah, qui a rallié la cause de l'islamisme radical, tue trois enfants et un enseignant devant un établissement scolaire pour enfants de confession juive, à Toulouse. Les jours précédents, il a abattu un militaire à Toulouse, puis deux autres à Montauban, en circulant sur un scooter. Après avoir été identifié, il est assiégé dans son appartement durant trente-deux heures. Le RAID lance l'assaut le 22 mars et le terroriste est abattu. Le jour de l'attaque contre l'école juive, Nicolas Sarkozy se rend sur place. La campagne présidentielle en cours est suspendue.

Président et candidat à sa réélection, Nicolas Sarkozy condamne l'attaque devant les caméras, tout comme les candidats François Hollande et François Bayrou :

Gilles Ferragu : « Les cadrages sont intéressants. Nicolas Sarkozy, François Hollande et François Bayrou sont montrés en train de marcher. Ils ressemblent ainsi à des candidats à l'élection présidentielle. Même si la campagne est suspendue officiellement, on est forcément dedans quand même. On retrouve chez les trois candidats un champ lexical commun. François Bayrou est le plus « euphémiste » en évoquant une « folie », pour parler d'un terrorisme qui n'est pas fou, mais cohérent et visant la terreur. Il ajoute que cet attentat peut être un écho du climat français. C'est typiquement une phrase de campagne. Le terrorisme, c'est politique. On ne sort pas de la politique quand on parle de terrorisme, et celui-ci s'invite partout. »

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« À travers toutes ces vidéos, on voit émerger des éléments de langage qui se mettent en place. Le vocabulaire utilisé et l'intervention devant les caméras sont une manière d'instrumentaliser l'attentat. Cela signifie que l'État reste fort, que l'attentat a échoué et qu'il ne fait pas peur. Il a aussi une dimension politique. On attend qu'un chef d'État et un homme politique répondent, qu'ils ne soient pas juste terrorisés. De Valéry Giscard d'Estaing à Nicolas Sarkozy, l'idée apparaît que le terrorisme cherche à créer une opposition dans la population française, qui est le reflet d'une tension à laquelle il ne faut pas céder. »


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