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FRANCE

Histoires de présidentielles — #6 : Les trahisons des élections

Tout au long de cette année de campagne présidentielle en France, VICE News et l'INA se penchent sur les archives vidéos marquantes des présidents et candidats de la Cinquième République.
Emmanuel Macron en meeting. Juillet 2016, Paris. (Etienne Rouillon / VICE News)

Tout au long de cette année de campagne présidentielle en France, VICE News et l'INA se penchent sur les archives vidéos marquantes des présidents et candidats de la Cinquième République. Ça s'appelle « Histoires de présidentielles » et vous pouvez retrouver tous nos articles en cliquant sur cette page.


Le sixième épisode de notre série est consacré aux "traîtres" des élections : ces ministres (anciens ou en poste) qui ont joué à Brutus et se sont présentés à l'élection présidentielle, contre leur Premier ministre ou président.

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Et pas plus tard que ce mercredi matin, un jeune ancien ministre de l'Économie a décidé de rejoindre ce petit groupe. Dans un centre d'apprentissage de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, Emmanuel Macron a officialisé sa candidature à la présidentielle de 2017, où il pourrait bien retrouver face à lui François Hollande, qui avait nommé ministre l'ancien banquier de 38 ans.

Emmanuel Macron en meeting. Juillet 2016, Paris. (Etienne Rouillon / VICE News)

« Macron est une sorte de second fils pour Hollande, un fils politique, il ne le croit toujours pas capable de tuer le père », tempère un proche du président au journal Le Monde, qui prédit que Macron va se retirer de la course quand Hollande aura officialisé sa candidature. Réponse donc dans quelques mois, pour savoir si Macron va aller au bout de son projet. De son côté Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite réagit en relevant qu' « il a vite appris la politique politicienne : d'abord la trahison vis-à-vis de François Hollande qu'il a poignardé dans le dos ».

Nous avons demandé à l'historien spécialiste d'histoire politique Jean Garrigues de commenter les grands épisodes de traîtrise dans les campagnes présidentielles.

Pour ce professeur de l'Université d'Orléans, « les trahisons sont inévitables » sous la Vème République. « Le système est conçu pour générer la traîtrise, qui au fond n'est que l'expression d'une concurrence générale pour aller vers ce qu'est le couronnement de la carrière politique : la présidence de la République. ». Mais pour M. Garrigues, les véritables Brutus sont rares : « Il est assez rare qu'il y ait une vraie trahison dans la même ligne politique. Pas au sein d'un parti, mais plutôt au sein d'une même ligne politique à l'intérieur d'un parti. » Les trahisons montrent « que la gauche et la droite ont des courants différents, qui montrent qu'il y a toujours une possibilité de se dissocier d'une autre figure. Tout dépend de la conception qu'on se fait de la fidélité en politique. Elle pousse quelques fois à aller au-delà de ses propres convictions pour continuer à suivre celui à qui on doit notre carrière. C'est ce qui se passe actuellement avec Manuel Valls. En dépit des divergences avec François Hollande, il lui reste fidèle. »

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1974 : Valéry Giscard d'Estaing se présente contre Jacques Chaban-Delmas

Le président Georges Pompidou décède le 2 avril 1974, au milieu de son mandat. Lors des élections anticipées, l'UDR, le parti gaulliste de Pompidou, soutient officiellement Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de 1969 à 1972 du président défunt. Son ministre de l'Économie était un jeune nommé Valéry Giscard d'Estaing. Lorsque Chaban-Delmas a été remplacé par Pierre Messmer en 1972, Giscard d'Estaing est, lui, resté au gouvernement et présente sa candidature le 8 avril 1974, contre son ancien Premier ministre.

La campagne montre un Chaban-Delmas peu charismatique et maladroit — il annonce sa candidature deux jours seulement après le décès de Pompidou, en plein deuil national — et c'est Valéry Giscard d'Estaing qui est élu à la présidence de la République.

L'analyse de Jean Garrigues : « Dans le cas de Valéry-Giscard d'Estaing, je pense qu'on ne peut pas considérer cela comme une trahison : Valéry Giscard d'Estaing ne doit rien à Jacques Chaban-Delmas. Il a été nommé ministre avant tout par le président Georges Pompidou.

En revanche, lors de ces élections de 1974, on a le sentiment que Jacques Chirac, avec 43 autres députés gaullistes, trahit Jacques Chaban-Delmas en appelant à voter pour Valéry Giscard d'Estaing. D'un côté, ce n'est pas non plus tellement une trahison personelle, puisque Jacques Chirac ne doit rien à Jacques Chaban-Delmas. Mais on peut considérer que c'est une trahison contre son parti politique. Selon Jacques Chirac, Jacques Chaban-Delmas aurait trahi l'héritage du président décédé. En partie à cause de sa déclaration de candidature [NDRL — survenue deux jours après le décès du président] et parce que son programme n'était pas dans la continuité de Pompidou. La définition de la trahison apparaît comme subjective. »

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1981 : Ancien Premier ministre de Giscard d'Estaing, Jacques Chirac se présente contre lui

Sept ans plus tard, Valéry Giscard d'Estaing est lui-même trahi. Celui qui avait été son Premier ministre de 1974 à 1976, Jacques Chirac, se présente en 1981 aux élections présidentielles comme le candidat gaulliste contre le giscardisme.

D'autres candidats émanent du camp gaulliste, mais Jacques Chirac arrive malgré tout en troisième position à l'élection, avec 18 pour cent des voix, derrière François Mitterrand (25,85 pour cent) et le président sortant (28,32 pour cent). Jacques Chirac ne donne pas clairement de consigne de vote et François Mitterrand est élu avec 51,76 pour cent des voix le 10 mai 1981.

Jean Garrigues : « Cette fois-ci, non seulement Jacques Chirac se présente — mais cela est normal puisqu'il représente une autre famille politique que celle de Valéry Giscard d'Estaing, qui est libéral — mais il y a eu une trahison entre les deux tours de l'élection : Jacques Chirac donne la consigne de faire battre VGE. Il s'agit d'une forme de trahison par rapport à l'unité de la droite au 2e tour. »


1995 : Edouard Balladur brise l'accord avec Jacques Chirac

Deux ans avant la fin du dernier septennat de François Mitterrand, l'opposition gagne les élections législatives en 1993. Le président doit alors nommer un Premier ministre issu du RPR. Le candidat naturel est le président du parti gaulliste, Jacques Chirac. Mais le chef de l'opposition préfère laisser la place à son bras droit, Edouard Balladur, pour pouvoir se préparer au scrutin présidentiel de 1995. Alors qu'il gagne en popularité pendant son passage à Matignon, le Premier ministre fait tomber l'accord passé avec son ami Jacques Chirac et annonce sa candidature. L'UDF le soutient ainsi que plusieurs responsables du RPR séduits par les sondages, dont Nicolas Sarkozy et François Baroin, qui étaient considérés comme des « bébés chiraquiens ». Le soir du premier tour, Edouard Balladur finit troisième, mais entre dans l'histoire avec sa phrase « Je vous demande de vous arrêter ». Le 7 mai 1995, Jacques Chirac est élu président de la République.

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Jean Garrigues : « Ce qui se passe lors de l'élection de 1995 peut être considéré comme une trahison. Edouard Balladur est Premier ministre parce que Jacques Chirac l'a voulu. En 1993, Jacques Chirac a fait un choix : il était président du RPR et avait choisi de mettre en avant son ancien ministre de l'Économie. Les deux passent un accord pour qu'Edouard Balladur soit Premier ministre et que la présidentielle soit réservée à Jacques Chirac. Cette trahison d'Edouard Balladur sera relayée par d'autres cadres du RPR qui rejoignent Balladur par opportunisme [NDLR — quelques mois avant le scrutin, tous les sondages donnent Edouard Balladur en tête].

Jacques Chaban-Delmas avait considéré en 1974 que Jacques Chirac l'avait trahi, mais aucun soutien n'était contractuel. Edouard Balladur utilise le même argument, en disant qu'il n'y a pas d'accord signé et qu'il peut donc être candidat. »


2002 : Jean-Pierre Chevènement et Lionel Jospin

En pleine cohabitation, le Premier ministre Lionel Jospin est candidat à l'élection de 2002 pour affronter le président sortant Jacques Chirac. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur du gouvernement Jospin de 1997 à 2000, se déclare candidat à la présidentielle et se présente donc contre son ancien patron. Le 21 avril 2002, Jean-Pierre Chevènement obtient 5,33 pour cent des suffrages. Lionel Jospin, lui, arrive troisième au premier tour, devancé par Jean-Marie Le Pen (16,88 pour cent) et par le président sortant, Jacques Chirac (19,88 pour cent) lors du premier tour. Face au fondateur du Front National, le président sortant est élu au second tour.

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Jean Garrigues : « Lionel Jospin avait un sentiment de trahison par rapport aux candidatures de gauche. Mais celles-ci expriment une sorte d'alternative politique, le besoin d'une ligne différente.

Jean-Pierre Chevénement exprimait des divergences à gauche depuis une décennie. Il a démissionné du gouvernement à 3 reprises pour dénoncer sa politique, car il voulait une ligne plus nationaliste et souverainiste que Lionel Jospin. Mais on peut dire que [son opposition est] plutôt contre le PS, puisqu'il le quitte, mais il ne trahit pas quelqu'un qui l'a aidé à construire sa carrière. »


2007 : Nicolas Sarkozy et Dominique De Villepin

Dès la nomination du gouvernement en 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin et le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy cachent à peine leur rivalité pour la présidentielle de 2007. La dispute arrive à son paroxysme avec l'affaire Clearstream. Le dossier du CPE (et un possible travail de sape de Nicolas Sarkozy) affaiblit aussi la position de De Villepin comme possible successeur de Chirac.

En 2007, le candidat de la droite s'appelle Nicolas Sarkozy et il est finalement élu face à Ségolène Royal.

Jean Garrigues : « Il s'agit d'une compétition. Nicolas Sarkozy s'oppose à Dominique de Villepin. Mais la trahison de Nicolas Sarkozy se fait plutôt à l'encontre de Jacques Chirac, qui a construit toute sa carrière. En revanche, le CPE participe clairement d'une trahison, puisqu'on est dans le cadre de la cohérence et de la cohésion gouvernementale. On est là dans un cas de sabotage par un des ministres d'un projet qui émane du Premier ministre. C'est indéniable que c'est une trahison.

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Par ailleurs, la trahison du chiraquisme a eu lieu encore une fois lorsque François Baroin a récemment pris position pour Nicolas Sarkozy contre l'héritier de Jacques Chirac, Alain Juppé. Cela alors que Baroin est un bébé-Chiraquiste. François Baroin a trahi la propre ligne politique dont il est issu. »


2017 : Les ministres de François Hollande

Et pour la prochaine présidentielle ? Deux anciens ministres de l'Économie et un ancien ministre de l'Éducation nationale se sont positionnés contre François Hollande qui lui n'a pas encore annoncé qu'il voulait y aller.

Jean Garrigues : « Ce sont des cas très différents. En ce qui concerne quelqu'un comme Arnaud Montebourg, son entrée au gouvernement est le fruit de son ralliement au deuxième tour de la primaire en 2011. C'est un accord politique entre deux lignes différentes et le choix par Montebourg d'accepter la ligne politique de celle de François Hollande. Cela montre que la gauche et la droite ont des courants différents, qui se confondent par ailleurs avec des ambitions personnelles. Et ces courants montrent qu'il y a toujours une possibilité de se dissocier d'une autre figure et donc d'interpréter ça comme une trahison.

En revanche, dans ce contexte-là, le départ d'Emmanuel Macron [du gouvernement] est une trahison, puisqu'il signe le divorce avec quelqu'un qui a fait sa carrière politique : François Hollande. Et cela dans la même ligne politique, puisque Emmanuel Macron était son principal conseiller économique, avant de devenir ministre. En revanche, on voit bien que cette trahison est dans la volonté de construire une alternative politique. Donc il y a des arguments qui peuvent la justifier. Il semblerait qu'il y ait eu une prise de distance assez forte de la part d'Emmanuel Macron : il s'est distancié des partis politiques traditionnels ou de la tradition de gauche qu'a représenté et que continue à représenter François Hollande.

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Au fond, le trajet d'Emmanuel Macron ne peut pas être qu'une trahison personnelle. Il y a d'une part la volonté de construire une alternative et de l'autre, de fuir de l'opposition droite-gauche. Est-ce qu'il y a trahison ? Emmanuel Macron n'a jamais fait partie du PS.

Au lieu d'avoir un livre de confidences du président, ce serait beaucoup plus intéressant d'avoir plus de détails sur les échanges entre Emmanuel Macron et François Hollande, pour voir comment il a vécu sa collaboration avec le président et voir si François Hollande a refusé ses idées, qui sont désormais publiques. Dans ce cas-là, il est naturel qu'il prenne son indépendance. Mais il est vrai que du point de vue de l'éthique et de la fidélité, cette rupture aurait pu arriver après l'élection de 2017. Il aurait dû accompagner François Hollande dans le parcours de la réélection et par la suite se dissocier de celui-ci. »


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