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VICE News

Il y a beaucoup trop de monde sur l’Everest

Les autorités du Népal souhaitent imposer des pré-requis pour gravir le plus haut sommet du monde.
Pierre Longeray
Paris, FR

Les autorités népalaises ont dit ce mardi réfléchir à imposer des restrictions aux alpinistes qui souhaitent s'attaquer à l'ascension de l'Everest — le plus haut sommet du monde qui culmine à 8 848 mètres — pour réduire les accidents mortels et la fréquentation du site. Chaque année près de 600 personnes se lancent dans la périlleuse ascension, qui a coûté la vie à au moins 219 personnes entre 1922 et 2010, et 18 autres en avril dernier après un tremblement de terre.

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Outre les bouchons d'alpinistes qui congestionnent les routes menant vers le sommet, la montagne est aujourd'hui le lieu d'autres problèmes liés à sa fréquentation : les tas d'ordures laissés par les grimpeurs et les corps de ceux qui y laissent la vie.

« Lors de mon ascension, j'ai enjambé pas mal de cadavres. Personne n'a l'énergie de les descendre, » se souvient ce jeudi pour VICE News, Charles Hedrich, un sportif aventurier français, qui enchaîne les exploits depuis près de 15 ans et qui a fait l'Everest en 2006.

« Nous ne pouvons pas laisser tout le monde aller sur l'Everest et mourir. Si les personnes ne sont pas prêtes physiquement et mentalement, cela s'apparente à un suicide légal, » a expliqué le ministre du Tourisme népalais, Kripasur Sherpa. Un système de prérequis pourrait alors être mis en place pour gravir l'Everest, ont déclaré ce mardi les autorités népalaises.

Première condition, il faudrait prouver que l'on a déjà escaladé des sommets d'une altitude supérieure à 6 500 mètres.

Ensuite, seules les personnes âgées entre 18 et 75 ans pourraient se lancer dans l'ascension.

Enfin, les individus victimes de handicaps ne seraient pas autorisés à s'attaquer au plus sommet du monde.

Aujourd'hui, aucun de ces prérequis n'est nécessaire. Il faut en revanche payer près de 11 000 dollars (9 850 euros) par personne aux autorités népalaises pour obtenir la permission de gravir l'Everest. Des forfaits existent au départ de France — billets d'avion, guides et assurances — dont les prix varient entre 40 000 et 60 000 euros.

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Cadavres, déchets et bouchons d'alpinistes

L'Everest est aujourd'hui l'attraction touristique la plus rentable du Népal — l'État récupère des millions de dollars grâce aux lucratifs permis d'ascension. Pourtant le sommet souffre de plusieurs maux que la mise en place des prérequis pourrait permettre de résoudre d'après les autorités du pays.

Le premier défi à relever est de limiter le nombre d'alpinistes qui se lancent dans l'ascension. En 2013, deux grimpeurs norvégiens se sont plaints d'avoir dû attendre deux heures pour continuer leur montée à cause d'un « embouteillage ». Si cela peut prêter à sourire, il est extrêmement dangereux de patienter dans certaines zones à cause des chutes de pierres ou risques d'avalanches. Une photo prise un an plus tôt par un alpiniste allemand avait déjà alerté les amoureux de la montagne sur les risques de surfréquentation de l'Everest.

No, this isn't a photo of leaf-cutter ants in the snow - it's the conga line of climbers on Mt. Everest. Given… — jane canapini (@GrownupTravels)April 28, 2014

Deuxième problème, les déchets qui s'empilent depuis près de 60 ans et la première ascension réalisée par Edmund Hillary et Tenzing Norgay en 1953. Près de 4 000 alpinistes auraient atteint le sommet dont certains auraient abandonné des tentes ou tout autre objet superflu au moment de s'attaquer à la dernière partie de l'ascension.

À lire : Les alpinistes continuent de laisser des saloperies partout sur l'Everest

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Enfin, les différents passages menant au sommet sont émaillés de cadavres d'alpinistes ayant perdu la vie lors de leur tentative d'atteindre le toit du monde.

Dernier drame en date sur l'Everest, celui d'avril dernier où 18 alpinistes ont perdu la vie dans une avalanche. Un puissant séisme a frappé le pays le 25 avril, qui a fait plus de 8 000 morts, et déclenché une avalanche sur l'Everest qui a balayé un camp de base. Il s'agit de l'incident le plus meurtrier sur le sommet népalais.

Les mesures envisagées par les autorités Népalaises vont-elles changer la donne sur l'Everest ?

« Un sommet de 6 500 mètres est tout sauf une référence. Par exemple, faire la voie italienne du Mont-Blanc [qui culmine à 4 809 mètres] c'est bien plus dur que nombre "de 6 500", » explique Charles Hedrich, qui doute de l'intérêt de la mesure proposée par les autorités.

Des restrictions pas adaptées

Outre son ascension de l'Everest en 2006 par la voie tibétaine, ce spécialiste de la montagne et de l'aventure, a réalisé notamment le tour du monde à la voile par les deux pôles ou encore l'aller-retour non-stop sur l'Atlantique à la rame en 145 jours. Deux premières mondiales.

Pour lui, les prérequis auxquels réfléchissent les autorités népalaises — handicap, âge et expérience — ne sont pas vraiment adaptés aux besoins, ni révélateurs du niveau de l'alpiniste.

« Grimper à 6 500 mètres, cela n'a non plus rien à voir avec atteindre le sommet de l'Everest. Jusqu'à 6 500, vous pouvez être parfaitement encadré avec un guide. Pour les derniers 2 000 mètres, vous devez être totalement autonome — c'est de la très haute montagne. Un guide ne peut plus vous aider, il doit d'abord s'occuper de lui. »

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Concernant les limitations en fonction de l'âge, Hedrich note que « des gens de 70 ans sont bien plus en forme que des petits jeunes. » Pour preuve, il est possible de citer le cas de Yuichiro Miura, un Japonais de 80 ans qui s'est hissé au sommet en 2013. Un jeune américain de 13 ans, Jordan Romero, s'était lui aussi attaqué avec succès à l'Everest en 2010.

« Avec ces restrictions pour les handicapés, on rentre vite dans le sordide, » réagit Hedrich quant à la proposition népalaise. « Où est-ce qu'on place la limite ? Par exemple moi, j'ai des orteils amputés à cause du froid, je n'ai donc plus le droit de monter ? » s'interroge l'aventurier, qui par philosophie n'est pas vraiment pour qu'on pose des limites.

Les accidents qui sont survenus ces dernières années n'ont pas forcément touché des personnes qui manquaient d'expérience, explique Charles Hedrich, qui cite le cas de l'avalanche d'avril dernier. Peu importe votre condition physique, difficile d'échapper à une avalanche. L'aventurier estime néanmoins que limiter la fréquentation du site est utile, pour éviter de créer de périlleuses situations d'embouteillages.

« On pourrait peut-être réfléchir à un système de tirage au sort, comme pour l'Ultra-Trail [un marathon de 166 kilomètres dans les Alpes qui limite le nombre de participants], » propose Hedrich. « Chaque année des gens poseraient leur candidature pour gravir l'Everest, puis quelques chanceux y vont. Les autres attendront l'année suivante. »

Joint ce jeudi par téléphone, Hedrich vient tout juste de finir son dernier exploit. Il a relié — en 3 étapes – le Détroit de Béring (Alaska) à Pont Inlet (Est du Canada) à la rame dans l'Arctique, soit 6 000 kilomètres de navigation dans le froid glacial. À peine arrivé à Paris, il est en train de préparer son projet : le tour du monde à la rame. Départ prévu, septembre prochain.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray