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FRANCE

Incitation à l'anorexie : ce que veulent interdire les députés français

Certificat médical pour les mannequins de mode, mention « image retouchée » sur les magazines et lutte contre les sites « pro-ana » font partie des mesures anti-anorexie qui pourraient être intégrées à une nouvelle loi de santé.
Image via Flickr / Benjamin Watson

Un an de prison et 10 000 euros d'amende : c'est la peine dont pourraient bientôt écoper ceux qui incitent à la « maigreur excessive » en France. Les députés ont adopté dans la nuit de mercredi à jeudi un amendement socialiste qui s'ajoute à la nouvelle loi de santé qui est en train d'être discutée par les parlementaires Français. Si le projet de loi est passe dans son ensemble, cette disposition fera partie d'un arsenal anti-anorexie.

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D'autres amendements destinés à lutter contre l'anorexie pourraient être votés ce vendredi. D'abord l'obligation pour les agences de mannequin de produire un certificat médical attestant d'un indice de masse corporelle (IMC) suffisant, c'est-à-dire au-dessus de ce qui est considéré comme de la maigreur excessive. Ensuite, l'obligation d'apposer la mention « silhouette retouchée » sur les photos modifiées, ou même l'interdiction de telles photos sous certaines conditions.

Olivier Véran, député de l'Isère et médecin, est le rapporteur du projet de loi de santé. C'est lui qui souhaite interdire aux agences de mannequinat d'employer des mannequins en état de dénutrition. Son amendement prévoit une peine de six mois de prison et 75 000 euros d'amende en cas de manquement.

Joint ce jeudi par VICE News, Olivier Véran explique que « l'anorexie touche 30 000 à 40 000 personnes en France ». Les amendements qu'il défend visent en particulier les sites dits « pro-ana », c'est-à-dire valorisant l'anorexie.

Des listes d'excuses « pour ne pas être obligée de manger »

Sur les blogs consacrés à l'anorexie, on trouve la distinction entre « pro-ana » et « pro-mia », « ana » désignant un comportement anorexique et « mia » désignant un comportement boulimique. Le discours de certains auteurs de blogs - souvent des adolescentes - cnosiste à passer du « mia » (la boulimie) au « ana » (l'anorexie).

Dans certains de ces blogs, qui se revendiquent « pro-ana » ou qui sont consacrés au « thigh gap » (recherche d'un écart entre les cuisses, jambes serrées), on peut trouver une « wish list spécial régime » avec les mentions « voir les côtes » ou « voir les os des épaules ». Des « pro-ana games » sont organisées sur ces forums, avec des objectifs de perte de poids de 5 à 15 kilos. On y lit aussi des listes d'excuses « pour ne pas être obligée de manger ».

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La question est cependant de savoir si ces blogs relèvent de l'apologie de l'anorexie ou du simple témoignage de victime de troubles du comportement alimentaires (TCA). Pour Olivier Véran, cette distinction est une nécessité mais ses modalités doivent « être fixées par décret ». Il insiste sur la nécessité de « ne pas mettre d'anorexiques en prison ». Malgré tout, ces amendements répressifs contre les publications web qui mettent en scène la maigreur extrême sont critiqués par certains experts.

« Plus ces jeunes filles discutent entre elles, plus elles se modèrent elles-mêmes »

Fred Pailler est l'un des auteurs de « Les jeunes et le web des troubles alimentaires : dépasser la notion de 'pro-ana' ». Cette étude publiée en novembre 2013 a mobilisé une quinzaine de chercheurs pendant trois ans.

Joint ce mardi par VICE News, Fred Pailler est très critique envers les amendements destinés à lutter contre l'anorexie. « L'interdiction de sites considérés comme pro-ana est contre-productive et relève d'une grande méconnaissance du terrain. »

Il dénonce l'amendement qui crée le nouveau délit dit « d'apologie de l'anorexie » car, dit-il, « cet amendement cible clairement des sites qui sont juste un moyen d'expression de personnes en difficulté ».

« La distinction entre apologie de l'anorexie et simple témoignage est impossible. Cet amendement peut conduire à supprimer un espace social nécessaire à des personnes atteintes de troubles alimentaires. Bien sûr, on y trouve des photos de mannequins très maigres, mais il n'y a pas de valorisation de l'anorexie seule. On constate qu'il y a une autorégulation dans les échanges. Plus ces jeunes filles discutent entre elles, plus elles se modèrent elles-mêmes. »

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Pour Fred Pailler, le défi n'est donc pas de supprimer ce milieu social mais d'y introduire le corps médical, « pas avec un discours prescripteur mais dans une démarche d'écoute et de conseils ».

De toute façon, la répression lui semble inefficace : « Les auteurs de ces blogs ont tendance à les dupliquer car ils sont déjà fermés par des hébergeurs comme Yahoo. Entre 2010 et 2012, la moitié des 600 blogs que nous avons étudiés ont été renouvelés. »

Quant à la proposition d'étiqueter les images retouchées et d'imposer un IMC minimum pour les mannequins, Fred Pailler estime que cela revient à « enlever aux gens toute intelligence. Les échanges que nous avons eus avec ces pro-ana montrent qu'elles savent que les images sont photoshopées. »

Le reste des mesures anti-anorexies est discuté ce vendredi par les députés de l'Assemblée, le projet de loi passera ensuite dans les mois à venir devant le Sénat pour être entériné.

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter @MatthieuJublin

Image via Flickr / Benjamin Watson