Infiltré dans un réseau pédophile colombien

Le procureur général de l'État de l'Utah aux États-Unis a révélé avoir servi de garde du corps et de traducteur pour un faux businessman pédophile. Dans le cadre d'une opération d'infiltration, il a participé à une intervention qui a permis de secourir des dizaines d'enfants kidnappés et victimes d'exploitation sexuelle sur une île au large des côtes colombiennes.

Le procureur Sean Reyes (Républicain) s'est rendu disponible pour l'opération à la demande de l'ONG Operation Underground Railroad (OUR) qui collabore avec la police locale et les autorités gouvernementales pour libérer les enfants victimes d'esclavage. Leurs équipes pour ces opérations de sauvetage sont généralement composées d'ex-agents de la CIA, d'anciens membres des Navy Seal (escadron d'élite de la Marine américaine) et d'autres agents très entrainés. Apparemment des procureurs et leurs conseillers politiques peuvent désormais intégrer leurs équipes.

Reyes parle espagnol grâce à un père philippin d'origine espagnole qui a immigré aux États Unis. Cette maitrise de la langue lui a permis de se faire passer pour le traducteur et garde du corps de deux riches businessmen hispanophones — l'un d'entre eux étant joué par le conseiller politique du procureur, Alan Crooks.

Le procureur, qui a pris ses fonctions dans l'Utah en novembre 2014, après avoir été nommé en décembre 2013, s'est dit particulièrement touché de rejoindre les équipes d'OUR, après avoir lui-même démantelé un réseau de trafic d'enfants dans l'Utah. Contacté par VICE News, il a déclaré que ses efforts étaient en partie motivés par son envie « d'empêcher ces criminels de pénétrer dans notre pays, » et a ajouté qu'aucun argent public n'avait été utilisé dans l'opération.

Après avoir suivi un entrainement, Reyes et Crooks ont rejoint la Colombie accompagnés d'un groupe d'agents, dont des officiers de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) américaine, pour « faire affaire » avec des trafiquants locaux. Selon Crooks, les deux hommes ont rencontré les représentants du cartel, déclarant vouloir investir dans un hôtel de passe pédophile situé sur les iles du Rosaire au large de la côte de la ville de Carthagène des Indes — à l'extrême Nord du pays. Dans le cadre du piège, les agents infiltrés ont assisté à une soirée pédophile sur l'île de Baru, soirée lors de laquelle l'assaut devait être donné.

Reyes a déclaré que la police devait intervenir 3 à 5 minutes après que l'un des agents leur ait envoyé un signal secret. Un raté opérationnel a finalement retardé l'assaut de près d'une heure.

Pendant ce laps de temps, les membres du cartel ont présenté aux agents une fillette vierge de 11 ans pour « conclure l'affaire. »

« L'enfant était maquillée et portait une tenue suggestive. Mais les drogues qu'ils lui avaient données ne faisaient plus effet. Elle était effrayée, » se souvient Reyes qui a 6 enfants, dont une fille de 12 ans. « La peur dans ses yeux, c'est quelque chose que je n'oublierai jamais. J'avais envie de quitter mon corps. »

« Je voulais juste étrangler [les membres du cartel], » rajoute Reyes.

Le procureur général de l'État de l'Utah, Sean Reyes

Lorsque la police a finalement débarqué sur l'île, les agents ont été arrêtés avec les présumés trafiquants, pour éviter d'éveiller les soupçons. Les 54 enfants libérés dans l'opération — dont 5 garçons — ont été rapatriés chez eux. En tout, ce sont 120 mineurs — âgés entre 9 et 16 ans — qui ont été secourus au cours de trois opérations conjointes en Colombie ce jour-là selon Crooks.

Toujours selon le conseiller politique de Reyes, les cartels — et affiliés — kidnappent régulièrement des enfants en les attirant par le biais de fausses agences de mannequinat et en leur faisant miroiter une fortune grâce à de faux contrats. Crooks révèle que les trafiquants étaient allés jusqu'à embaucher une ancienne reine de beauté — une ex-Miss Carthagène des Indes — pour crédibiliser leur plan.

« Il est nous apparu assez rapidement que ces choses arrivaient souvent, » a déclaré Crooks. « Cela nous a ouvert les yeux et beaucoup troublés. »

Reyes indique que « le trafic d'êtres humains est un problème bien plus développé que ce que les gens imaginent, » même aux États-Unis où les victimes d'enlèvement viennent d'Asie, d'Europe et d'Amérique du Sud.

« Ils entrent ici par les frontières avec la Californie, le Texas et l'Arizona, » a déclaré Reyes. « Nous enquêtons en ce moment sur un certain nombre de dossiers. »

Même dans l'Utah, qui est « un petit État calme, sûrement pas très spectaculaire en matière de crimes, des gens sont capables de se cacher dans la masse, » a ajouté le procureur général. « La communauté des habitants de l'Utah est si candide qu'elle n'imagine pas qu'un problème de la sorte puisse exister. Les trafiquants d'être humains ont pu alors prospérer au sein même de cette communauté jusqu'à maintenant. »

Le National Human Trafficking Resource Center américain (NHTRC) publie sur son site Internet le chiffre de 18 275 cas de trafics d'humains recensés aux États-Unis entre décembre 2007 et septembre 2014 — dont 59 des cas pour l'Utah. Le trafic à des fins sexuelles représente la majeure partie des cas recensés.

Dans le même temps, l'industrie colombienne du tourisme sexuel est en pleine expansion notamment dans la ville de Carthagène des Indes, où les autorités municipales ont dû publier une « alerte au tourisme sexuel » au moment où les étrangers envahissaient la ville pendant le pic saisonnier. Les mineurs sont particulièrement susceptibles d'être entrainés dans ce trafic. Un chauffeur de taxi colombien — qui amène des filles aux clients et vice-versa — confiait à VICE News ce mois-ci: « Les filles mineures rapportent toujours plus, du fait de leur jeune âge. »

Les chiffres publiés par l'ONG End Child Prostitution, Child Pornography, and Trafficking of Children for Sexual Purposes (ECPAT) révèlent que près de 35 000 mineurs sont exploités sexuellement en Colombie dont 1 500 pour la seule ville de Carthagène des Indes.

Dans le monde, 4,5 millions de personnes seraient victimes d'exploitation sexuelle d'après une évaluation de 2012 publiée par l'Organisation internationale du Travail (OIT), alors que le Département d'État américain estime que le trafic d'êtres humains représente une industrie qui pèse près de 150 milliards de dollars par an.

Meredith Hoffman de VICE News a contribué à l'enquête pour la rédaction de cet article.

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