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Crime

Le film The Interview, vu par un dissident nord-coréen : « une bombe culturelle »

Ce mercredi sort en France la comédie qui étrille le leader nord-coréen. Nous avons demandé à un ancien responsable de la propagande du régime de nous donner son avis sur le film.
Photo via AP/Damian Dovarganes

Ce mercredi sort en France le film réalisé par James Franco et Seth Rogen, The Interview, ou L'interview qui tue! en français, le film s'était retrouvé au coeur d'un bras de fer diplomatique entre la Corée du Nord et les États-Unis en décembre 2014, sur fond de menaces terroristes et d'espionnage. VICE News s'est entretenu avec Jang Jin-sung un ancienpoète d'État nord-coréen, à l'époque récompensé par de nombreux prix décernés par le gouvernement nord-coréen. Aujourd'hui c'est l'un des principaux opposants du régime.

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Avant de s'échapper vers la Corée du Sud en passant par la Chine il y a une dizaine d'années, Jang travaillait à Pyongyang en tant qu'expert de la guerre psychologique. Il produisant des campagnes de propagande et écrivait de la poésie épique qui célébrait le culte du père de Kim Jong-un, Kim Jon-il. Il fait partie des rares évadés qui ont vécu à l'intérieur même du cercle proche de l'ancien dictateur.

Le printemps dernier, Jang a publié un ouvrage intitulé Dear Leader: Poet, Spy, Escapee — A Look Inside North Korea. Il est aussi le rédacteur en chef de New Focus International, un site Internet spécialisé dans l'actualité nord-coréenne.

VICE News : Avez-vous pu voir le film ?

Jang Jin-Sung : Oui, je l'ai vu. C'était effrayant.

Pourquoi ?

En tant que Nord-Coréen, je trouve son contenu « explosif » — comme si une bombe venait d'être lâchée sur Kim Jong-un. C'est une bombe culturelle. Et je ne dis pas cela par rapport à l'histoire ou le jeu des acteurs — ou même le film en lui même. C'est juste l'idée même que Kim Jung-un puisse être assassiné dans un film. C'est extrêmement choquant. Cela dépasse les bornes du simple « blasphème ».

Est-ce que le film va arriver jusqu'en Corée du Nord ?

De nombreuses sources racontent que des gens à l'intérieur du pays l'ont vu ou qu'ils sont sur le point de mettre la main sur le film — ou encore que les prix ont explosé pour l'obtenir. Certains pensent même que les autorités nord-coréennes ont lancé une chasse à l'homme contre ceux qui essayent de le partager. Mais d'après ce que je sais [NDLR, interview réalisée fin décembre 2014, et d'après ce que mes sources sur place me disent, il n'y a aucune preuve de tout cela. Je ne suis donc pas en mesure de confirmer ces rumeurs.

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D'un point de vue purement logique, si les gens pouvaient voir le film, les officiels ne déclareraient pas qu'ils chassent ceux qui sont en possession du fichier. Parce que cela voudrait dire que ce film est effectivement important, ce qui donnerait encore plus envie aux gens de le voir. Le Nord-Coréen lambda va probablement en entendre parler et le voir. Mais le film vient juste de sortir, les choses ne vont pas si vite en Corée du Nord.

Richard Bennett est analyste sécurité pour la Rand Corporation. Il pense que les élites nord-coréennes vont aussi regarder le film. Vous êtes d'accord ?

Oui, les élites aussi vont le voir. Ce film est plus puissant qu'une arme nucléaire dans le contexte nord-coréen. C'est encore plus problématique qu'une bombe pour le régime, parce que la légitimité du régime repose entièrement sur le fait que son leader est un type super, sans faille, quelqu'un qu'il faut adorer et vénérer. Ce mythe du leader autoritaire est utilisé pour contrôler le peuple. Si ce pilier du contrôle psychologique de la nation vient à manquer, le régime perd la base de son autorité.

Il y a une scène dans le film où le journaliste demande à Kim Jong-un, « C'est vrai que vous n'utilisez pas les toilettes ? Que vous ne faites pas caca ? Que vous n'avez pas d'anus ? » Kim répond, « Si. » A l'intérieur de la Corée du Nord, avoir une conversation comme celle-ci brise tous les tabous.

Pensez-vous que le film va encourager un réel changement des mentalités nord-coréennes ?

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Ce n'est pas comme si les gens allaient changer d'avis du jour au lendemain. Ce n'est pas qu'ils croient sincèrement à toute la propagande ou que Kim Jung-un est un Dieu, mais ils n'ont pas besoin que quelqu'un vienne leur dire le contraire ou leur montrer une autre manière de penser. Les Nord-Coréens sont des gens normaux, et ce ne sont pas idiots.

Dans le système nord-coréen, vous devez couvrir d'éloges Kim, chanter des hymnes à sa gloire et prendre tout ça au sérieux, même si vous pensez que c'est une sombre supercherie. C'est ça le point de blocage, vous voyez ? Ce n'est pas que les gens ont subi un lavage de cerveau et pensent que Kim est un Dieu, mais qu'ils n'osent pas affronter et contredire [les autorités]. La force du film repose sur le fait qu'il vient de l'extérieur du pays et fait tout le contraire. C'est là où la magie se produit.

Certains pensent que le film va encourager des tentatives d'assassinats de Kim Jong-un. Vous pensez que c'est crédible ?

Je ne peux pas le prédire, mais ce n'est pas totalement impossible. Personne ne respecte le culte qui existe autour de Kim par loyauté, conviction ou affection. Les gens respectent Kim uniquement parce qu'ils ont peur. Et c'est à ce moment que L'interview qui tue ! intervient. Si les gens cessent d'avoir peur, le régime ne peut maintenir ce système. Donc, je ne pense pas que le film va vraiment pousser des gens à se manifester, mais il pourrait aider les Nord-Coréens à moins craindre le système. Il leur donne la possibilité de voir qu'ils ne sont pas obligés de prendre Kim au sérieux. Le film montre une alternative que les Nord-Coréens n'ont même pas l'opportunité de concevoir. Cela leur donne un cadre imaginatif alternatif.

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Kim Jong-il va-t-il regarder le film ?

Je pense qu'il va vouloir le regarder, juste par curiosité. Mais pour en revenir à votre question sur son assassinat dans le film, pourquoi les élites voudraient-elles tuer Kim Jong-un ? Il n'est pas responsable de leur subordination — le système du culte de la personnalité s'en charge. Si Kim Jong-un n'est pas là, et bien ça sera sa soeur, son frère ou quelqu'un d'autre. Si le système n'évolue pas, rien ne changera. Les élites savent qu'assassiner Kim Jong-un ne permettra aucune amélioration.

Le film en lui-même est un peu idiot. Vous en dites quoi ?

Peu importe combien le film est crade et bas du front tant qu'il vise ce système de culte de la personnalité.

Vous l'avez aimé ?

L'interview qui tue! est un peu bas du front et lourdingue, ce n'est pas le meilleur film de tous les temps. C'est plutôt un mauvais film en réalité, pas loin d'être débile. Mais a contrario si le film avait été mieux fait — plus solennel et mieux pensé — cela aurait surement aggravé la situation en Corée du Nord. Le régime en serait sans doute sorti renforcé. Mais là, c'est juste un film ambiance « pipi-caca » ce qui ridiculise d'autant plus le culte qu'on accorde à Kim Jong-un. Et ça, c'est cool ! [Rires]

Vous pensez que la controverse autour du film a servi le débat international autour du problème nord-coréen ?

Si L'interview qui tue ! mène les gens à percevoir la Corée du Nord comme un pays respectable ou formidable, alors ce sera décevant. Et si cela amène les gens à dire, « Oh, on ne peut plus rire des autres pays maintenant, » et bien on est hors sujet. J'ai pas mal réfléchi à ça, et je suis abasourdi que ce produit culturel soit devenu un tel enjeu politique dans le monde libre. Par définition, dans le monde libre, vous avez la liberté d'expression dans les arts et la culture. Je suis surpris que les gens dans le monde libre se soient opposés au film.

Suivez Katie Engelhart sur Twitter @katieengelhart