FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

J'ai laissé mon ami Rasool en prison. Il faut le libérer

Le journaliste de VICE News Mohammed Ismael Rasool est toujours en prison en Turquie. Jake Hanrahan, qui a été emprisonné avec Rasool, mais qui lui est de retour au Royaume-Uni, fait le portrait de son ami et collègue.

Trois journalistes de VICE News ont été arrêtés le 27 août en Turquie, alors qu'ils faisaient un reportage dans le sud-est du pays. Ils ont été accusés de travailler pour le compte d'une organisation terroriste — des charges absurdes et sans fondement.

Jake Hanrahan et Philip Pendlebury ont été relâchés le 3 septembre et sont depuis retournés au Royaume-uni. Mais toutes les équipes de VICE News restent très préoccupées par le sort de notre troisième collègue, Mohammed Ismael Rasool, qui est toujours détenu en prison.

Publicité

Nous demandons aux autorités turques de poursuivre sur cette voie positive, ouverte avec la libération de Jake et Philip, et de relâcher Rasool immédiatement.

* * *

« Tu sais ce qui me manque le plus ? » a dit Rasool en s'allongeant sur le matelas dans un coin de la cellule. « Mon compte Pinterest. »

Phil et moi on a éclaté de rire. On était là, accusés à tort, affalés sur des matelas pourris au milieu d'une prison pour terroristes, et Rasool arrivait à penser à son compte Pinterest. Le plus drôle, c'était la manière dont il l'avait dit : « P-Interest ». Il ne nous a pas crus quand on lui a expliqué comment ça se prononçait correctement.

« Je suis sérieux, » disait-il. « J'ai tous ces différents dossiers avec des photos de nourriture et de paysages venus d'endroits où je suis allé dans le monde. Si je voyage en Ouzbékistan, ou ailleurs pour le travail, et que je vois un bel arbre, j'en trouverai une photo plus tard, et je la mettrai sur mon compte Pinterest. »

* * *

Le compte Pinterest chéri de Rasool est plein à craquer d'images splendides parce que c'est un incroyable journaliste freelance, un formidable fixeur et un très bon traducteur. À seulement 24 ans, ces différents talents lui ont permis de traverser le Moyen-Orient de long en large, travaillant pour VICE News, Associated Press et Al Jazeera. Il a presque fini son Master de relations internationales. Aujourd'hui, il y a le risque qu'il ne puisse jamais le terminer.

Publicité

Personne n'est parfait, Rasool est un fan du club de foot d'Arsenal. Mais à part ça, c'est un type normal qui travaille dur, et qui accumule les contacts divers et variés, au fur et à mesure de ses reportages. Et ce sont ces contacts établis pour ses reportages qui semblent être la raison étrange pour laquelle le gouvernement turc l'accuse d'être une sorte d' « agent ». Comme il le disait lui-même cet après-midi-là, sur son matelas : « Ils n'ont absolument aucune preuve. »

« Sortez-moi d'ici les gars » nous a dit Rasool au moment où on nous emmenait.

Plus tard, j'étais assis, tout voûté. Je jouais dans ma tête tous les scénarios horribles qui pouvaient devenir notre futur. J'étais tendu. Je me rongeais les ongles en permanence. Rasool s'en est rendu compte. Il s'en rendait toujours compte.

« Détends-toi mec, » me disait-il. « On n'a rien fait de mal. On va sortir bientôt. On est juste des journalistes qui font leur boulot. »

* * *

Rasool avait raison, on n'avait rien fait de mal, et pourtant on pourrissait loin de tout dans une prison de « Type-F », une prison antiterroriste de haute sécurité. Les gardes nous ont dit sur la route que c'était une « prison État islamique ». Les graffitis griffonnés sur les murs et la cacophonie des « Allahou Akbar » hurlés la nuit venue allaient effectivement dans ce sens.

Une semaine plus tôt on avait été accusés d'activités terroristes, après avoir été arrêtés par la police devant notre hôtel à Diyarbakir. On était là pour travailler quelques jours dans le sud-est. On faisait un reportage sur le conflit en cours entre l'État turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui est interdit. En six semaines, les combats ont fait des centaines de mort. La plupart des violences sont le fait de l'aile des jeunes du PKK, les YDG-H.

Publicité

 À lire : Des écrivains mobilisés pour la libération du journaliste de VICE News en prison en Turquie

Avant que l'on soit arrêtés, on avait déjà vu des douzaines d'adolescents armés promenant dans les rues de Cizre, et on s'était fait tirer dessus lorsque des jeunes masqués avaient voulu nous emmener avec eux en patrouille dans une zone qu'ils étaient censés contrôler. On avait aussi rencontré une fille de 13 ans qui avait reçu trois balles perdues — dans le cou, les côtes et le dos — lors de combats entre la police et le YDG-H. En tant que journalistes, on trouvait important de couvrir cette escalade de la violence, et de rencontrer les civils qui vivaient au milieu, terrorisés par les deux camps.

On a été mis en prison pour avoir fait notre travail, et on a été visés par des accusations étranges, faisant de nous des agents de l'État islamique — une organisation sur laquelle on ne travaillait même pas. Après quatre jours à l'isolement dans une cellule de la police, un procureur nous a envoyés à plus de cinq heures de là en voiture, à Adana, dans cette prison dégoûtante et étouffante.

* * *

Sans prévenir, la porte de la cellule s'est ouverte. Deux gardes nous ont pointés du doigt, Phil et moi, et ont dit quelques mots en turc.

J'ai demandé à Rasool : « Qu'est-ce qu'ils disent ? »

Rasool a marqué une pause, le visage tombant. « Vous deux, vous êtes libres, » a-t-il répondu.

J'ai mis une seconde à comprendre l'information. Phil et moi on était libres, mais Rasool devait rester en prison. Mon coeur s'est déchiré. C'était injuste. Toute cette histoire était injuste, mais ça, c'était le coup de grâce.

Publicité

« Donnez-nous une minute, » a dit Phil aux gardes. Ils n'avaient pas une minute. Il fallait que l'on parte tout de suite.

J'ai pris Rasool dans mes bras, et je lui ai promis qu'on ferait tout, tout pour le libérer. Phil a fait la même chose.

« Sortez-moi d'ici les gars » nous a dit Rasool au moment où on nous emmenait.

* * *

Phil et moi, on est de retour au Royaume-Uni. VICE News s'est mobilisé pour nous faire libérer, et a réussi à nous sortir de là avec le moins d'égratignures possible. On est vraiment heureux de retrouver nos familles et extrêmement reconnaissants d'être de retour à la maison. Mais ce n'est pas le moment de faire la fête.

Mohammed Ismael Rasool, notre cher ami et collègue est toujours dans cette prison à Adana, pour un crime qu'il n'a pas commis.

Suivez Jake Hanrahan sur Twitter: @Jake_Hanrahan