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Crime

« Je préférerais mourir » : rencontre avec les migrants menacés d’expulsion de la Jungle de Calais

VICE News s’est rendu à Calais pour parler avec les migrants qui sont engagés dans une résistance pacifique contre les autorités françaises au sujet d’un avis de destruction d’un tiers de la « Jungle ».
Photo de Phil Caller/VICE News

Près de 2 000 habitants de la « Jungle » de Calais s'organisent en cette fin de semaine pour éviter la destruction de leurs abris après que les autorités françaises leur ont donné seulement quelques jours pour quitter les lieux.

Le gouvernement français a indiqué ce lundi qu'un tiers des campements seraient détruits, en ordonnant aux migrants concernés de déménager ailleurs dans la Jungle ou de s'installer dans les bâtiments officiels fraîchement ouverts. La notice d'expulsion a divisé les migrants : si certains groupes se sont rassemblés pour déplacer leurs tentes et abris en bois, d'autres ont déclaré vouloir résister pacifiquement à cette évacuation. D'autres se sont eux résolus à être sans-abri à nouveau.

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Pour l'État français, l'objectif est de réduire la population de la Jungle à environ 2 000 personnes. Une fois le compte à rebours terminé, la police se rendra sur les lieux pour expulser les migrants. Ce plan implique en partie le relogement des migrants dans une centaine de conteneurs aménagés et chauffés récemment ouverts par le gouvernement — capables d'accueillir 1 500 personnes à terme.

Alors que les autorités soutiennent que ce nouveau camp représente une alternative de meilleure qualité comparée à la Jungle actuelle, ses habitants craignent qu'une fois installés dans ces logements ils soient forcés de demander l'asile en France tout en voyant leurs libertés restreintes. Une prise d'empreintes digitales sera par exemple demandée à tous ceux qui y habiteront plus d'un mois.

Les migrants ne font pas confiance aux forces de l'ordre françaises, dont les interventions se solderaient souvent par des coups et l'usage de gaz lacrymogène. Ils sont également mécontents de quitter la communauté qui s'était créée dans la Jungle au fil des semaines. Malgré les conditions sordides dans lesquelles vivent ces migrants, les tentes et autres abris de fortunes leur fournissent au moins une certaine intimité, alors que les échoppes, églises, mosquées et restaurants construits de toutes pièces permettent aux gens de mieux supporter la pénibilité du quotidien.

Abdullah Addis, qui vient d'Éthiopie, fait partie des migrants concernés par cette évacuation programmée. Il partage un abri avec sept autres personnes, tous des hommes éthiopiens qui dorment entassés dans le même lit. « C'est un peu en désordre, » s'excuse-t-il avant de montrer à VICE News l'intérieur de son abri. « La nuit, on ne peut même pas bouger. Si tu veux bouger, tu dois d'abord demander la permission. »

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D'après Addis, ses compagnons et lui ne pourraient même pas déplacer leur abri car celui-ci tomberait en morceaux. Lorsqu'on lui demande où il va vivre désormais, il répond qu'il ne sait pas. « Des fois, tu laisses juste tomber, » nous dit-il.

D'après lui, son groupe est déprimé et traumatisé — ils ont survécu à des voyages mouvementés à travers le Sahara et à la torture en Libye, pour finalement se retrouver coincés à Calais. « Les visiteurs pensent que lorsque nous sourions, c'est que nous sommes heureux, mais nous sourions parce que nous n'avons pas d'autres choix », nous confie-t-il, avant de raconter qu'il a vu un bateau rempli de gens couler dans la mer Méditerranée sans pouvoir les aider, et que 20 de ses compagnons sont morts sous ses yeux alors qu'ils tentaient de rejoindre l'Afrique du Nord depuis le Soudan.

Une femme originaire d'Érythrée explique à VICE News qu'elle n'a pas apprécié de devoir quitter son abri et qu'elle désire désormais quitter le camp, peut-être ce vendredi. Elle ajoute qu'elle pourrait abandonner l'idée de rejoindre l'Angleterre et voyager vers un autre pays, « Peut-être l'Allemagne ou la Finlande ». « Il n'y a pas d'humanité en France », nous dit-elle, en ajoutant qu'elle ne fait pas assez confiance au gouvernement français pour s'installer dans un camp géré par ce dernier. « Je préférerais mourir, » nous dit-elle.

Lorsque les autorités ont annoncé l'évacuation, elles ont tracé une ligne à la peinture sur le sol — signifiant à tous ceux vivant au-delà de cette ligne qu'ils avaient trois jours pour s'installer ailleurs.

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Face à cet avis d'expulsion, des chefs communautaires ont tenu une réunion d'urgence avant de publier un communiqué.

« Nous, le peuple uni de la Jungle de Calais, déclinons respectueusement les demandes du gouvernement français au sujet de la réduction de la taille de la Jungle. » indique ce communiqué. « Nous avons décidé de rester où nous sommes et nous résisterons pacifiquement aux plans du gouvernement qui veut détruire nos foyers. Nous prions les autorités françaises et les communautés internationales de comprendre notre situation. »

Le délai octroyé par les autorités se terminait en principe ce jeudi soir, mais des ONG ont indiqué à VICE News qu'elles pourraient avoir jusqu'à lundi prochain (le 18 janvier) pour vider la zone de ses habitants avant que les bulldozers n'y entrent. Plusieurs ONG avaient indiqué que le délai de trois jours prévu par les autorités ne leur permettrait d'aider que les plus vulnérables, soit environ 1 personne sur 10.

L'évacuation pourrait également avoir un impact sur les entrepreneurs du camp. Une économie rudimentaire s'est en effet développée dans la Jungle ces derniers mois, avec des restaurants de fortune, des ateliers de réparation de vélo et même une petite boîte de nuit installée dans des abris en bois par des habitants.

Khanzaman, un réfugié afghan qui tient un restaurant, explique à VICE News que la police lui a dit de déplacer son affaire, même s'il n'est pas sûr d'être toujours obligé de le faire. « Ils viennent vendredi mais je me bats contre la police, » dit-il. « Tout le monde doit bouger. La police a déjà [dit ça] mais je ne vais pas bouger. »

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Khanzaman explique à VICE News qu'il vit dans la Jungle depuis six mois et que cela fait cinq mois qu'il gère ce restaurant. D'après lui, il n'y a pas assez de place dans le reste du camp pour qu'il puisse déplacer son restaurant, précisant que les affaires étaient moins bonnes depuis que de nombreux migrants avaient récemment commencé à quitter cette zone.

Lui non plus n'a pas envie de rejoindre le nouveau camp du gouvernement. « Je ne veux pas, » dit-il simplement.

Les migrants sont réticents à l'idée de mettre leur avenir dans les mains des autorités françaises et les forces de police, que certains accusent d'être brutales et parfois racistes. Un réfugié raconte à VICE News avoir demandé à la police de traduire le mot « barbier » en français, ce que les agents auraient fait en écrivant « barbier pour singe ». Des habitants de la Jungle racontent par ailleurs que des riverains leur jetteraient des pierres dessus. Des manifestations d'extrême droite ont souvent lieu aux abords de la Jungle.

John, un homme âgé de 27 ans venu d'Érythrée, nous raconte qu'il a été emmené par la police il y a deux mois, transféré par avion jusqu'à Marseille et placé en centre de rétention. Puisque son rêve est de rejoindre l'Angleterre nous dit-il, c'est pour cela qu'il est revenu à Calais dès qu'il a pu.

Beaucoup de femmes érythréennes comptaient parmi les personnes les plus vulnérables aperçues par VICE News en train de déménager à l'image de Soliat, une jeune fille mince âgée de 16 ans, qui raconte être arrivée à Calais par ses propres moyens. Accompagnée de Mugata, une autre adolescente âgée de 18 ans, elle a quitté la zone érythréenne du camp — qui se situe le long de la rocade portuaire — pour s'installer dans un abri plus proche du centre de la Jungle, près de l'église éthiopienne construite de toutes pièces. Elle habite la Jungle depuis un mois.

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Un autre érythréen, Auwat, raconte à VICE News que les adolescentes sont très vulnérables, même si elles ont un cadenas sur leur porte. « Parfois, [des hommes] entrent dans leur maison pendant qu'elles dorment, » nous dit-il.

Les habitants de la Jungle représentent une infime minorité des migrants qui traversent l'Europe, dans ce qui est devenu la plus grave crise de réfugiés depuis la Seconde guerre mondiale. Environ 1 pour cent de ceux qui traversent la Méditerranée parvient à se rendre à Calais. La grande majorité des habitants de ce camp du nord de la France désirent se rendre en Angleterre car ils y ont de la famille ou parlent l'anglais, les autres raisons étant souvent des affinités avec la culture anglaise ou l'idée que les perspectives de vie y sont meilleures pour les migrants.

Ce jeudi, Stéphane Duval — le président de l'association qui gère le nouveau camp du gouvernement — a déclaré que 144 personnes s'étaient déjà inscrites pour obtenir un nouvel hébergement dans ce complexe de conteneurs. « Le bouche-à-oreille entre migrants fonctionne », a-t-il précisé, en ajoutant que les demandes augmentent au « rythme prévu », d'après des propos rapportés par le journal local Nord Littoral.

À lire : Dans la boue et le froid, l'espoir d'un camp humanitaire à Grande-Synthe

Toutes les photos sont de Phil Caller.

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