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Crime

« Je veux Rentrer »: L’histoire des enfants américains dont les parents ont été renvoyés au Guatemala

Amavilia garde des souvenirs des États-Unis. Elle se souvient de son dessin animé préféré, Dora l'Exploratrice, et de la glace qu'elle mangeait au restaurant chinois.
Amavilia Maxima avec son fils, Edison, dans leur maison au Guatemala. (Photo par Daniele Volpe)

Amavilia garde des souvenirs des États-Unis. Elle se souvient de son dessin animé préféré, Dora l'Exploratrice, et de la glace qu'elle mangeait au restaurant chinois. Elle se souvient de ses amis, des jeux à la sortie des cours, et de l'appartement de trois chambres dans lequel elle vivait avec sa famille. Elle se souvient qu'elle parlait anglais. Elle se rappelle également ce que disaient ses proches au sujet du Guatemala — le pays natal de ses parents.

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« Ils m'ont dit [que c'était] un endroit dangereux », nous a dit la fillette de 13 ans.

Son petit frère de 10 ans, Edison, se souvient avoir vu un film sur le Guatemala, et sur les « choses dangereuses » qui s'y passaient — il se souvient de scènes de heurts entre la police et la population.

« Je savais que c'était dangereux », nous a-t-il dit du pays où lui et sa sœur — tous deux nés aux États-Unis — vivent aujourd'hui.

En 2014, 68 000 enfants non-accompagnés et sans papiers d'Amérique centrale ont été arrêtés aux États-Unis après avoir fui vers le nord pour échapper à la pauvreté et à la violence — un nombre sans précédent. Le nombre a diminué depuis, mais des trois pays qui forment le violent Triangle du Nord d'Amérique Centrale (le Guatemala, le Honduras et El Salvador), c'est le Guatemala qui envoie le plus d'enfants vers le nord.

D'octobre 2015 à janvier 2016, le Bureau américain des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a enregistré 8 329 arrestations d'enfants guatémaltèques non accompagnés.

Mais Amavilia et Edison font, eux, partie d'un autre groupe d'enfants, qui font le voyage inverse. Nés aux États-Unis, ces enfants retournent vivre au Guatemala (ou dans les autres pays d'Amérique centrale) lorsque leurs parents, entrés illégalement aux États-Unis, sont renvoyés.

Suite à une vague d'opérations simultanées en début d'année visant à rassembler et déporter les migrants ayant reçu un avis d'expulsion, ils sont aujourd'hui bien plus nombreux. En 2012, environ 4,5 millions d'enfants nés aux États-Unis vivaient avec des parents en situation irrégulière.

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D'après Clara de Reyes, déléguée régionale pour le Conseil National d'Assistance aux Migrants Guatémaltèques (CONAMIGUA) qui travaille avec les deux enfants et leur mère, Mavilia Maxima, les enfants nés aux États-Unis sont souvent victimes de brimades et de discrimination lorsqu'ils arrivent au Sud.

« [Les autres] leur disent, 'Retourne dans ton pays, parce que tu prends [des choses] aux vrais Guatémaltèques' » , explique Reyes. Lorsqu'ils sont arrivés au Guatemala en 2011, Amavilia et Edison ne parlaient pas très bien l'espagnol. Maxima a essayé de parler de leur niveau scolaire avec un responsable de l'école, qui lui a conseillé de renvoyer ses enfants aux États-Unis.

Reyes explique que depuis 2009, 50 enfants américains sont arrivés dans la région, à l'ouest de la ville de Guatemala. Elle les accompagne dans leurs démarches administratives et les aide à trouver un médecin. Elle nous explique avoir aidé huit de ces enfants à retourner chez leurs proches aux États-Unis.

D'après le CONAMIGUA, personne ne sait exactement combien d'enfants nés aux États-Unis vivent actuellement au Guatemala, et les États-Unis n'offrent aucune assistance aux enfants américains une fois qu'ils sont rentrés en Amérique centrale.

Dans son livre Citoyens oubliés : la déportation, les enfants et la création d'exilés et d'orphelins américains, Luis H. Zayas, doyen de l'école de travail social à l'Université de Texas, étudie les conséquences de la déportation sur des dizaines d'enfants nés aux États-Unis. Les parents des enfants observés par Zayas étaient tous originaires du Mexique. Zayas a réparti les enfants en trois catégories : ceux vivant aux États-Unis dont les parents étaient menacés de déportation, ceux vivant aux États-Unis dont les parents ont été déportés, ceux vivant au Mexique après la déportation de leurs parents.

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Les enfants réinstallés au Mexique après la déportation de leurs parents manifestaient plus de symptômes de dépression et avaient plus de difficultés à l'école tant au niveau scolaire que social. Leurs familles avaient également plus de difficultés financières.

Tous les enfants ont exprimé le désir de retourner aux États-Unis quand ils auraient 18 ans ou quand ils auraient fini l'école. La plupart des enfants interrogés par Zayas voulaient aller à l'université aux États-Unis, mais le chercheur s'est aperçu que les écoles rurales du Mexique ne les préparaient pas à l'enseignement supérieur.

« Il y aura des répercussions à la politique des États-Unis, quand on pense à ces enfants, qui reviennent aux États-Unis lorsqu'ils deviennent adultes — ou parfois avant », explique Dennis Stinchcomb, directeur de programme au Centre pour les Études d'Amérique Latine de l'American University à Washington.

En 2013, l'association Human Impact Partners, à Oakland, a publié un rapport sur les enfants américains dont les parents étaient menacés d'explusion ou avaient été expulsés. Le rapport a démontré que ces enfants étaient confrontés à davantage de difficultés au niveau de leur santé, de leur scolarité et de leur insertion sociale. Ils rencontraient également plus de difficultés financières. D'après Lili Farhang, co-directrice de l'association, les enfants qui se retrouvent au coeur de la violence en Amérique centrale sont d'autant plus stressés.

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« C'est une population d'enfants qui ont été déconnectés de tout un tas d'institutions civiles et gouvernementales aux États-Unis », explique-t-elle. « Ils souffrent parfois de troubles [de santé] qui peuvent avoir des conséquences sérieuses dans le futur. »

Delia Junech (right) avec son fils Brayan Francisco. (Photo de Daniele Volpe)

Les enfants nés de parents guatémaltèques ont le droit d'obtenir la nationalité au Guatemala, explique Rodriguez. Mais pour obtenir la nationalité, il faut se rendre trois fois à la ville de Guatemala. Pour Maxima, ce fut encore plus compliqué. Reyes a aidé les enfants à obtenir leurs papiers, mais Amarilla s'est vue donner un mauvais numéro d'inscription. Elle s'est retrouvée forcée de suivre des cours du soir avec des adultes.

Les deux enfants ont depuis abandonné l'école.

Maxima, qui élève ses enfants seule — le père a quitté la famille lorsqu'ils sont revenus au Guatemala — les autorise rarement à quitter la cour de leur maison qui est située dans un quartier classé « zone rouge » à cause de la violence qui y règne. Maxima est particulièrement stricte avec sa fille, Amavilia. Les psychologues, les autorités du Guatemala et les associations d'aide aux migrants disent tous que les femmes et les filles qui reviennent des États-Unis ont souvent la réputation d'être faciles.

« On a eu deux filles l'année dernière qui ont été agressées à l'école à cause de cela », nous dit Reyes.

Il y a moins de danger à San Jose Calderas, à environ 65 kilomètres à l'ouest de la ville de Guatemala. C'est là que vit Delia Junech avec ses six enfants, dont deux sont nés aux États-Unis. Junech était en congé maternel en 2008, lorsque la police fédérale a fait une descente dans l'entrepôt de Postville, dans l'Iowa, où elle travaillait avec son mari. Elle a évité de justesse l'expulsion mais son mari et 400 autres travailleurs clandestins ont été arrêtés pendant l'opération — la plus importante de l'histoire des États-Unis.

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Delia Junech a décidé plus tard de rejoindre son mari au Guatemala.

Brayan Francisco — à l'époque un bébé — est aujourd'hui un petit garçon de 7 ans qui déborde d'énergie. Sa grande soeur de 9 ans, Yaritze de Rosario, est également née aux États-Unis. Les enfants ne se souviennent pas de leur pays natal, mais Junech, elle, se souvient des problèmes qu'ils ont eus lorsqu'ils sont rentrés au Guatemala. Yaritze a commencé à avoir des maux de ventre. Junech n'a pas réussi à faire vacciner son fils Brayan, parce qu'il n'avait pas encore ses papiers. Mais la différence majeure entre les deux pays, explique-t-elle, se situe au niveau de l'école.

« Là-bas, on sent qu'ils apprennent plus, ils étudient toute la journée », explique Junech. « Mais ici, il n'y a pas grand-chose. »

Junech, qui a abandonné l'école après le CE1, explique que sa fille aînée, Paola, née au Guatemala, devait passer en 6ème lorsqu'ils sont rentrés dans son pays natal. Au lieu de cela, elle a dû refaire son CE2. Paola a abandonné ses études un an plus tard.

Yaritze a du mal à lire et est toujours en CP. Junech songe à envoyer Yaritze et Brayan aux États-Unis. Leur père, Francicso, est retourné dans l'Iowa il y a six mois pour trouver du travail.

Maxima envisage elle aussi d'envoyer ses deux enfants, Amavilia et Edison, vivre chez leur grand-père aux États-Unis même s'ils ont oublié comment parler anglais.

À CONAMIGUA, Reyes a récolté dans un livre les témoignages d'enfants avec qui elle travaille. Amalia et Edison sont à la page 17. Sous un dessin, la petite fille a écrit « Les États-Unis sont un pays beau et tranquille… Je veux y retourner. »


Katya Cengel a travaillé sur cet article grâce à une bourse du International Reporting Project (IRP).

Suivre Katya sur Twitter: @kcengel

Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News