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Au Liban, des clercs rebelles s’affrontent au Hezbollah

Suite aux combats, le journal libanais The Daily Star a fait état de 17 soldats tués et d’au moins 25 des hommes d’Assir morts. Je venais d'être témoin de l’affrontement libanais le plus sanglant depuis quatre ans.

Photo d'un immeuble libanais détruit, par l'utilisateur Flickr Masser

Avant que la guerre n’éclate en Syrie, le cheik sunnite libanais Ahmad al-Assir était une figure respectée dans son pays. Mais, alors que les répercussions de la guerre civile qui déchire la Syrie depuis plus d’un an commencent à se faire sentir au Liban, les sermons religieux d’Assir ont pris une teinte politique. Assir critique de plus en plus ouvertement Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, pour sa participation au conflit syrien aux côtés des troupes de Bachar al-Assad. Bien que l’opinion d’Assir ait offensé de nombreux sunnites libanais qui ont arrêté de le suivre, ses sermons en ont aussi inspiré beaucoup d’autres qui l’ont rejoint dans sa croisade contre le Hezbollah. Le 18 juin, les hommes d’Assir se sont confrontés à des brigades de la Résistance, une filiale locale du groupe islamiste chiite Hezbollah.

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Je suis allé voir Assir pour lui demander s’il souhaitait enflammer Sidon, une petite ville libanaise bordée par la Méditerranée.

À la suite d’affrontements qui avaient eu lieu plus tôt dans la semaine, les Forces armées libanaises (FAL) avaient installé des check-points en contrebas de la mosquée Bilal bin Rabah, où Assir prêchait ses sermons. J’ai grimpé jusqu’à la mosquée où j’ai rencontré un homme d’une vingtaine d’années à l’air sévère, qui m’a conduit tout en haut d’une cage d’escalier menant à un appartement. Là, il m’a présenté à un cheik d’une cinquantaine d’années portant une barbe grise et une dishdasha blanche.

Ce n’était pas le cheik que je venais voir.

« Je suis désolé, mais vous ne pourrez pas voir le cheik aujourd’hui, m’a appris cet homme. L’armée a arrêté deux de nos hommes ce matin, les choses ne vont pas tarder à se gâter. »

Je me suis résolu. J’ai quitté la mosquée et me suis pris un KFC. Alors que je m’asseyais à la terrasse pour engloutir mes ailes de poulet, aux alentours de 14 h, j’ai remarqué un cheik parlant avec un soldat des FAL.

Leur discussion m’a parue normale jusqu’à ce que deux soldats en uniforme débarquent et commencent à crier en pointant leurs armes en l’air. Ce qui était une conversation calme s’est transformée sous mes yeux en un truc beaucoup plus agressif entre ces hommes et les soldats – et après, bien sûr, sont arrivés les coups de feu.

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Je ne peux pas dire qui a tiré en premier. Des rapports ont parlé plus tard de deux soldats tués. J’ai vu un soldat des FAL bondir hors d’une jeep de l’armée alors qu’une pluie de balles s’abattait sur lui, puis tous les autres se réfugier derrière des bâtiments alors que les hommes d’Assir les assaillaient depuis les toits. En me fondant sur ce qui s’est passé sous mes yeux et les impacts de balles sur la Jeep, il semble que les hommes du cheik étaient déjà en position alors même que la dispute ne commence.

Je me suis précipité à l’intérieur du KFC pour m’abriter derrière le comptoir pendant que des balles perdues fracassaient la vitrine. En plus de la dizaine d’employés, quelques jeunes, deux mères et des enfants s’étaient abrités comme moi. Le plus vieux des gosses avait 11 ans.

J’ai regardé la bataille se dérouler à moins de 50 mètres de moi. Les grenades fusaient et des fenêtres volaient en éclats, des balcons et des cars prenaient feu, et la fumée est devenue si épaisse qu’on ne distinguait plus rien. Les FAL ont fait venir des soldats en renfort de la vingtaine qui contrôlaient le check-point à la base. Assir a appelé les sunnites de tout le pays le rejoindre, allant jusqu’à inciter les soldats sunnites à déserter. Mais les FAL sont l’une des seules institutions nationales un tant soit peu respectées et stables : personne n’a fait défection.

Alors que la bataille continuait, ni les FAL ni les hommes d’Assir ne semblaient prendre le dessus. La mosquée d’Assir est située sur une colline donnant sur trois directions, la quatrième étant lourdement fortifiée par des sacs de sable, face à des immeubles résidentiels. Les soldats des FAL ne pouvaient se mettre en position de tir sans être directement exposés. Depuis le KFC, on ne pouvait pas voir les hommes d’Assir, mais on pouvait apercevoir les FAL, et seul l’un d’entre eux avançait. Ce soldat aux cheveux gris était placé à l’angle d’une rue surélevée, et il pouvait donc tirer avant de plonger à couvert. Au bout de quelques heures, les hommes d’Assir ont visé sa position, et après plusieurs rafales, alors que le soldat retournait à couvert, deux balles l’ont atteint dans le dos. Son corps est tombé au sol. D’autres soldats l’ont emporté, immobile.

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Des heures ont passées et le soleil s’est couché sans signe d’apaisement. Vers 21 h, l’armée a annoncé un cessez-le-feu. Les soldats nous ont dit qu’on pouvait partir maintenant ou passer la nuit dans le KFC. Mostafa Harb, un étudiant de 19 ans en littérature anglaise à l’université du Liban, m’a proposé de me déposer au niveau de la route de la Mer, d’où je pourrais prendre un taxi pour Beyrouth.

La mère de Mostafa, Em Mohammad, a pris le volant de la voiture, Mostafa à ses côtés, tandis que Bassam, son petit frère de 11 ans et moi-même, nous sommes installés sur la banquette arrière. Nous avons été arrêtés par un soldat peu après nous être mis en route.

« La route est fermée de ce côté-ci », nous a-t-il annoncé.

Em Mohammad a fait demi-tour. Alors qu’on roulait le long d’une route sinueuse, la voiture a pris de la vitesse. On est passés devant un groupe d’hommes armés qui nous ont crié : « Éteignez-vos phares ! » Totalement paniquée, Em Mohammad a obéi et a appuyé sur l’accélérateur, filant dans les rues sombres de la ville. Ne voyant pas les deux voitures en face de nous, elle leur a foncé dedans.

Les instants qui ont suivi sont flous. Je me souviens seulement de la voiture stoppée net et du sang qui coulait sur mon visage. En voyant les deux voitures devant nous, un sentiment de peur m’a envahi – j’ai vérifié rapidement que personne n’était gravement blessé et je suis sorti de la voiture.

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« Reviens ! » m’a crié Mostafa.

Je suis remonté dans la voiture. Em Mohammad a essayé de faire demi-tour mais elle est allée s’écraser directement contre un mur. Elle a essayé de repartir en avant, pour finir sa course dans les voitures devant nous, une nouvelle fois. Elle a recommencé la manœuvre et j’ai décidé de sortir de la voiture pour de bon.

Des hommes couraient dans notre direction depuis l’autre côté de la rue – Mostafa et sa famille ont décidé de me suivre. On a couru jusqu’à ce qu’on trouve un homme en cagoule – clairement un des hommes d’Assir – assis devant une maison.

« Essaie d’arrêter les saignements avec ça », m’a-t-il dit en me tendant un chapeau dégoulinant de crasse et de sueur.

Je n’avais pas eu le temps de vérifier d’où le sang venait et ma peur ne s’était pas calmée en présence des hommes d’Assir – si l’armée m’avait trouvé, ils auraient appelé une ambulance, mais les hommes d’Assir ne pas pouvaient faire grand-chose. L’homme nous a dit d’attendre près des buissons le temps qu’on nous amène une voiture. Pendant qu’Em Mohammad priait pour calmer son hystérie, j’ai tweeté :

Toujours à Abra. Toujours beaucoup de combats. L’armée a ordonné une heure de trêve. Ai essayé de partir, mais accident. Coupure profonde en dessous du sourcil droit. OK sinon.

— Justin Salhani (@JustinSalhani) 23 Juin 2013

Aussi bête que cela puisse paraître, décrire la situation calmement, professionnellement, m’a aidé à garder mon sang-froid.

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Peu après, une voiture conduite par l’un des hommes d’Assir est arrivée.

« Où est-ce qu’on va ? » j’ai demandé.

« On ne sait pas ! » m’a répondu Mostafa.

« Si on ne sait pas pourquoi on monte dans la voiture ? »

« On n’a pas d’alternative. »

J’ai réalisé que Mostafa avait décidé que sa survie ne dépendait plus de lui, mais je savais que j’avais le choix. J’ai pesé le pour et le contre dans ma tête, s’il valait mieux monter dans la voiture ou rester sans protection en compagnie de ces hommes armés. Ignorant tout de Sidon et de ses alentours, j’ai grimpé dans la voiture.

Au démarrage, tous les passagers – conducteur inclus –se sont mis à prier. Entendre le chauffeur placer son destin entre les mains de Dieu m’a fait me sentir plus vulnérable que jamais, et je me suis moi aussi mis à prier. Je ne suis pas sûr de ce que j’ai dit. Je crois que j’ai plutôt bégayé des syllabes en essayant de former des mots jusqu’à ce qu’une dispute éclate entre le conducteur et la personne assise à côté de lui.

« Où voulez-vous aller ? » nous a demandé le conducteur.

« La route de la Mer », a répondu Mostafa.

« Ça ne va pas être possible, nous a dit le chauffeur, j’ai une mitraillette dans le coffre. Je ne peux pas prendre le risque que l’armée m’arrête au check-point. »

« Alors, qu’est ce qu’on est censés faire ? » dit Mostafa, sa voix montant dans les aigus en même temps que son anxiété allait croissant.

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Le chauffeur nous a proposé de trouver un endroit sûr. Il a roulé encore un peu avant de s’arrêter. « Je ne peux pas aller plus loin, nous a-t-il annoncé. Puisse Dieu être avec vous. »

On est sortis de la voiture et on a commencé à marcher. J’ai repensé aux deux balles qui avaient frappé le soldat plus tôt dans la journée et me suis demandé si mon destin serait le même. Je voulais qu’on trouve un endroit sûr.

« Où est qu’on va ?

– Tout droit, m’a répondu Mostafa.

– Où ça tout droit ? »

Mostafa a tendu le bras et désigné un endroit au loin. « Cet immeuble, juste là. »

J’essayais de conserver mon clame : « Décris-le moi. »

C’est ce qu’il a fait. Je me suis mis à courir vers l’immeuble. Avant que j’aie pu l’atteindre, un soldat des FAL m’a arrêté – on venait de traverser l’endroit où les deux camps s’étaient affrontés plus tôt dans la journée. J’ai dit au soldat, plus que surpris de voir un étranger ici, que je voulais m’abriter dans le bâtiment.

« Go ! Go ! » dit-il.

J’ai atteint l’immeuble et essayé d’ouvrir la porte, mais elle était fermée à clé. Mostafa est arrivé et a regardé l’interphone, cherchant un nom qu’il reconnaîtrait. « Appuie juste sur tous les boutons ! » ai-je crié.

Je ne sais pas si c’est parce qu’il avait peur de déranger les gens ou s’il pensait que les habitants ne voudraient pas ouvrir de peur que des soldats rentrent dans l’immeuble, mais il a hésité. « APPUIE SUR TOUS LES BOUTONS ! » j’ai crié, hystérique.

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Quelqu’un a ouvert la porte et on a pu se mettre à l’abri. A l’intérieur, on a nettoyé ma plaie. Em Mohammad pleurait à gros sanglots tandis que Mostafa tentait de rassurer Bassam.

On a essayé de se reposer, mais à chaque fois que l’un de nous s’endormait, il était réveillé par des explosions à l’extérieur de l’immeuble. L’armée stationnait juste dehors et les troupes d’Assir ont lancé une bonne demi-douzaine de grenades vers nous cette nuit-là.

Le lendemain matin, Em Mohammad, Mostafa et Bassam sont rentrés chez l’une de leur connaissances et j’ai trouvé une ambulance de la Croix-Rouge pour me ramener.

Allongé sur un brancard dans l’ambulance, j’ai dévisagé le secouriste à mes côtés. Il portait un gilet pare-balles et un casque. Son visage dégoulinait de sueur. C’est seulement lorsque j’ai vu l’hôpital au-dessus de ma tête, depuis l’ambulance, que je me suis détendu.

Nous étions le 24 juin. Le deuxième jour d’affrontements commençait, cette fois à l’avantage des FAL. Ils avaient changé de tactique et étaient parvenus à pénétrer dans la mosquée d’Assir. L’armée libanaise occupait désormais la mosquée criblée d’impacts de balle. Les affrontements ont cessé, les commerces ont rouvert et les habitants sont retournés dans les rues.

Suite aux affrontements, le journal libanais The Daily Star a fait état de 17 soldats tués et d’au moins 25 des hommes d’Assir morts. Je n’avais pas pu faire mon interview. À la place, j’ai été témoin de l’affrontement libanais le plus sanglant en quatre ans. Je sais que maintenant, je ne pourrai plus jamais interviewer le cheik de Bilal bin Rabah : Ahmad al-Assir est porté disparu depuis la bataille, et il n’a toujours pas refait surface.

Suivez Justin sur Twitter @JustinSalhani

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