Alessio Allegria Patro Eisden Maasmechelen
Leen Hoogmartens

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Société

-35 °C et injections mystérieuses : la vie d'un joueur belge au Kazakhstan

« Je me souviens avoir pris le bus à l'aéroport et me mettre à pleurer. Je me disais que je n'allais jamais pouvoir supporter ça. »

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Dans la rubrique Athlètes, VICE met à l’honneur des sportifs qui brillent aussi bien sur le terrain qu’à côté.

Alessio regarde le terrain blanc de Patro Eisden-Maasmechelen et sort son téléphone portable. « Regarde, c'était le stade de Karaganda pendant l'hiver. » Dans la vidéo, je vois deux personnes en train de creuser un tunnel sous la neige, jusqu'au terrain. « Il y avait plus d’un mètre d’épaisseur. Je te le dis, la météo là-bas, c’était quelque chose d’extrême. »

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Alessio Allegria est actuellement le meilleur buteur de la D2 amateur B, ils vient de remporter le titre de la période et ils sont maintenant en position de leader. Au Patro, il joue au foot à quinze minutes en voiture de chez lui. Mais il y a trois ans, Alessio a parcouru plus de 5 000 kilomètres pour jouer avec le FK Shakhtyor Karagandy, un club kazakh. Là-bas, il payait son loyer à un policier pas très net et après quelques mois, il n’a plus reconnu son propre club.

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VICE : Salut Alessio. Comment t’es-tu retrouvé au Kazakhstan ?
Alessio : Honnêtement, je ne comprends toujours pas moi-même. À l’époque, je jouais à Seraing en 1ère division amateur, mais le nouvel entraîneur m'avait annoncé que je n'étais plus dans ses plans. Mon manager a commencé à chercher une solution et s'est adressé à l'entraîneur de Sjachtjor Karaganda par l'intermédiaire d'une personne qu'il connaissait au Kazakhstan. Ce dernier a eu l'occasion de voir des vidéos de moi et sur cette base, a décidé qu'il me voulait absolument. De mon côté, je n’étais encore au courant de rien. Peu de temps après, j'étais à la salle de sport et j'ai reçu un sms me demandant de vérifier mes e-mails. J'ai ouvert ma boîte de réception et vu une proposition de contrat sur le point d'être signée. Tout était déjà sur papier, ainsi que les montants que je pourrais gagner. Et c'était beaucoup. En comparaison avec ce que je gagnais à Seraing, c’était fois six ou sept. La seule chose, c’était que le coach voulait que je parte directement en stage à Antalya en Turquie pour montrer que j'étais en forme. Après ça, tout serait en ordre.

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« Mes parents m'ont d'abord déconseillé d’y aller. Ils n'avaient pas confiance, mais moi je pensais que je devais le faire. »

Comment ta famille a-t-elle réagi à cette offre ?
Ma copine d'alors était disposée à m’accompagner mais mes parents m'ont d'abord déconseillé d’y aller. Ils n'avaient pas confiance, mais moi je pensais que je devais le faire. C’était une équipe de première division qui avait disputé la Champions League quatre ans plus tôt. À Seraing, je n’allais plus jamais jouer, c'était certain. Tandis qu'au Kazakhstan, je pouvais faire deux bonds en avant : sportif et financier.

Quelle a été ta première impression à ton arrivée à Karaganda ?
J'ai eu du mal les premiers jours, pour être honnête. Ma famille me manquait et j'étais fatigué à cause du décalage horaire avec la Belgique. Quand je suis arrivé à Karaganda, il faisait -35 °C. Je me souviens avoir pris le bus à l'aéroport et me mettre à pleurer. Je me disais « je ne vais jamais pouvoir gérer ça ». Et ça faisait à peine quelques heures que j’avais atterri.

À quoi ressemblait la vie au club ?
On pourrait comparer le statut du Sjachtjor Karaganda à une équipe comme le Royal Charleroi Sporting Club dans la compétition belge. On ne s’arrêtait de jouer que pendant deux mois en hiver. Par -20 °C, on s’entraînait toujours à l'extérieur, avec une tente gonflée par les vents au-dessus du terrain, mais quand il faisait encore plus froid, là on partait. Du coup l’équipe s’en allait effectuer un stage de cinq semaines chaque hiver.

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« Chaque semaine, on m'injectait une sorte d’infusion. Ils m'ont dit que c'était pour récupérer plus vite, mais je n'avais absolument aucune idée de ce que c'était. »

Est-ce que les joueurs sont traités de la même manière qu’ici ?
Oui, en soi c'était très semblable. J'ai seulement vécu des choses étranges avec le personnel médical. Chaque semaine, on m'injectait une sorte d’infusion. Ils m'ont dit que c'était pour récupérer plus vite après tous nos voyages et matches, mais je n'avais absolument aucune idée de ce que c'était. Ils enfonçaient juste l'aiguille dans mon bras, comme ils le faisaient avec tous les autres. Les médecins belges m’ont dit que ça pouvait très bien seulement être du sérum physiologique et des vitamines. Qui sait.

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Qui te logeait à Karaganda et où habitais-tu ?
Les premières semaines, j'ai dormi au club. Il y avait une sorte de complexe de sommeil, car il est de coutume que tout le monde dorme ensemble la veille d'un match, même si on joue à domicile. Après quelques semaines, je me suis trouvé un bel appartement à 5 minutes du stade et ma petite amie a pu me rejoindre. Je me sentais vraiment chez moi là-bas, même si j'ai aussi eu quelques problèmes avec mon propriétaire. Qui était policier, cela dit.

Que s’est-il passé ?
Lorsque nous avions discuté du contrat, je lui avais demandé de diminuer son prix. Il semblait être d'accord, mais voulait en contrepartie récupérer la télévision. Je n’avais pas entièrement confiance. Après quelques négociations, j’ai réussi à la convaincre de me laisser l'appareil, mais quelques semaines plus tard, je rentrais chez moi et la télévision avait disparu. Il s'est avéré que le propriétaire l'avait transférée dans un autre appartement qu'il louait. Il ne parlait pas un traître mot d'anglais, alors quelqu'un l'a appelé pour moi afin de lui demander s'il voulait bien ramener la télévision. Ça ressemblait fort à de la corruption.

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Tu es parti 8 mois après le licenciement de l'entraîneur et de l’équipe dirigeante. Que s’est-il passé ?
À Karaganda, le propriétaire du club n’est pas son président, mais bien le gouverneur de la région. Cet homme a le pouvoir de renvoyer toute la direction s'il le souhaite, et il l'a fait. Nouveau conseil, nouveau formateur et même un nouveau personnel médical. Je ne connaissais plus personne. En fait, c'était tout d’un coup devenu un club qui m'était inconnu.

« Le Kazakhstan m'a rendu mentalement plus fort. Vous apprenez à être vous-même et surtout à vous aimer. »

Quand as-tu appris que l'aventure était terminée pour toi ?
Lorsque le nouvel entraîneur m'a renvoyé à la maison à cause d’une légère blessure, alors qu’il restait encore une semaine de stage. C’était bizarre, car il n’y avait même pas de kiné pour m’aider. Peu de temps après, j’ai dû me présenter devant le conseil et ils m’ont alors annoncé qu'ils voulaient mettre fin à mon contrat. « Ok » j’ai dit, « seulement si vous me payez la totalité ». Ils se sont énervés et m'ont envoyé dans la deuxième équipe qui s’entraînait à 40 minutes de mon appartement, du coup mon manager a essayé de régler ça via la FIFA. D'accord, j'y ai peut-être été un peu fort, mais s'ils me traitaient de cette manière, je n’allais pas me gêner pour faire de même. Finalement, on a trouvé un accord et j’ai pu rentrer en Belgique. Mais s'il n'y avait pas eu ce nouveau conseil et ce nouvel entraîneur, je serais toujours là-bas. C’est sûr. Je gagnais bien, je faisais partie d’un club de première et je jouais les matchs. J'étais bien.

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Tu joues à nouveau pour Patro Eisden. Quelle est la place de ce club dans ton cœur ?
C'est le club où j'ai fait mes débuts en première équipe et je veux le ramener là où il devrait être. L'année dernière, un nouveau président a pris la relève et tout le monde est parti, sauf moi. Et maintenant regardez, je suis le meilleur buteur de la compétition et nous sommes deuxièmes. Je pense avoir fermé le bec de pas mal de gens. Le Kazakhstan m'a rendu mentalement plus fort. Vous apprenez à être vous-même et surtout à vous aimer. Au final, on se rend compte qu'on ne dispose que de soi-même dans la vie.

Avec le recul, comment considères-tu ton choix d'aller au Kazakhstan ?
Beaucoup de gens m'ont reproché de l'avoir fait uniquement pour l'argent. C’était en partie le cas, je ne vais pas mentir, mais il y avait aussi la possibilité de m'améliorer de manière sportive. Je sais que j'ai les qualités pour développer une carrière au niveau européen. Et si je réussissais bien au Kazakhstan, la Russie ou la Turquie ne seraient plus très loin. Ou peut-être même la Thaïlande, ça m’est un peu égal. J'aime faire connaissance avec de nouvelles cultures, surtout quand je peux voyager et faire du football en même temps. J'avais espéré ça, à l'époque, et j'en rêve encore. Bon, ça n’a pas marché comme je le voulais à cause de tout un tas de circonstances, mais si j'en avais l'occasion, je le referais à nouveau.

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