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Le lycée abandonné de Paris devenu refuge pour les migrants

VICE News s’est rendu sur place pour rencontrer quelques-uns des 250 migrants qui y habitent, ainsi que des membres de leur comité de soutien, après un été marqué par les expulsions de camps de fortune dans la capitale française.
La cour du lycée Jean Quarré (Pierre-Louis Caron / VICE News)

Trois hommes sont occupés à visser un tableau sur un mur du hall d'entrée. Une fois le grand rectangle blanc solidement fixé, une jeune femme y trace au feutre les grandes lignes d'un planning pour la semaine à venir, souligne la date du jour : mardi 18 août 2015. « Quelqu'un sait comment écrire ''assistance juridique'' en arabe ? » demande-t-elle. Un groupe d'hommes, la plupart assez jeunes, se bouscule pour l'aider. Ils ajoutent des traductions en persan, proposent une sortie au cinéma et un tournoi de cricket dans la cour.

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La scène se passe rue Jean Quarré, à l'intérieur d'un lycée du 19ème arrondissement de Paris (au nord de la ville) qui n'a pas accueilli d'élèves depuis près de 4 ans. Le bâtiment est coincé au milieu de grands immeubles, un îlot curieux, avec sa cour arborée au milieu d'une étendue de béton. Dans le hall, le va-et-vient des hommes et des langues est constant. Deux jeunes Soudanais prêtent main-forte à des habitants du quartier qui entrent les bras chargés de couvertures pour les donner.

Le bâtiment principal du lycée Jean Quarré (Pierre-Louis Caron / VICE News)

Ils sont près de 250 migrants, en majorité des hommes venus du Soudan, d'Érythrée, d'Afghanistan, a avoir trouvé refuge dans cet ancien lycée hôtelier investi par un comité de citoyens qui vient en aide aux migrants. Les premiers sont arrivés le 31 juillet dernier. Sur quatre étages et dans la cour de ce bâtiment qui date des années 1970, les migrants dorment dans des conditions sommaires, mangent, font du sport, suivent des cours.

Avant de vivre dans ce lycée, certains migrants faisaient partis des « campeurs » de la Porte de la Chapelle (nord de Paris), où ils dormaient sous les voies du métro aérien. Expulsés par la police le 2 juin dernier, nombre d'entre eux avaient ensuite élu domicile à quelques centaines de mètres de là, sur la petite place de la halle Pajol, avant d'être à nouveau délogés le 29 juillet. Un groupe de soutien citoyen avait alors vu le jour. Il s'appelle le Comité de soutien des Migrants de la Chapelle, il aide les habitants du lycée.

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Un migrant afghan devant le tableau blanc du cours de français de Shaïsta (Pierre-Louis Caron / VICE News)

Deux jours plus tard, dans la cour du lycée abandonné, c'est autour d'un autre tableau qu'une dizaine de jeunes hommes venus d'Afghanistan apprennent le français.

« Mes élèves ont des niveaux très différents, certains sont dissipés, mais dans l'ensemble ils m'écoutent, » raconte à VICE News Shaïsta, une jeune française de 22 ans qui anime ce cours de français en fin d'après-midi. Issue d'une famille où l'on parle le Pachtoune (une langue proche du persan parlée en Afghanistan et au Pakistan), Shaïsta vient plusieurs jours par semaine apprendre la conjugaison et la grammaire aux migrants qui le désirent.

« Je veux progresser rapidement en français, ce sera mieux pour rester ici et travailler, » nous explique Jamal [ndlr, le prénom a été changé], 29 ans, en montrant son cahier rempli de traductions et d'exercices. Ce qui l'a amené jusqu'à Paris depuis l'Afghanistan? Il ne nous en dira rien. La mine sombre, il sort tout de même un téléphone de sa poche et lance une vidéo qu'il a apparemment tournée sur une plage en Grèce.

« Il faut regarder les gens et les vagues, » conseille-t-il.

Très vite, l'on distingue des formes qui se découpent dans les flots calmes. La vidéo, prise depuis un véhicule en mouvement, finit par montrer des dizaines de corps sans vie gonflés par l'eau de mer, certains putréfiés, tous échoués sur cette plage.

À la surprise générale, début août, la mairie de Paris a annoncé qu'elle n'allait pas demander l'expulsion des migrants installés dans l'ancien lycée Jean-Quarré, mais qu'au contraire le lieu serait à terme réhabilité en centre d'hébergement.

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« Ces migrants ont, au péril de leur vie, traversé le Sahara, la Méditerranée, ils ont fui la guerre […] La France mais surtout Paris leur doivent l'hospitalité et l'accueil, » avait alors déclaré Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris.

Depuis, aucune annonce officielle n'a été faite par les autorités. Sur place, l'incertitude prime toujours.

« Des travaux de sécurisation immédiate, pour limiter les risques sanitaires notamment, sont en cours, » indique une porte-parole de la mairie de Paris, contactée au téléphone par VICE News la semaine dernière. L'état des équipements et certaines parties du bâtiment ont particulièrement inquiété la municipalité. « Quant aux travaux de transformation du lieu en centre d'hébergement, tout dépend de notre relation avec le comité [de soutien des migrants], avec qui nous sommes pour l'instant en bons termes, » précise-t-elle.

D'après cette porte-parole, aucun délai n'a pour l'instant été communiqué concernant les travaux. « Mais nous ne nous dirigeons pas vers un échec, » conclut-elle, « Ces travaux devraient bien avoir lieu. »

Le bâtiment principal du lycée Jean Quarré (Pierre-Louis Caron / VICE News)

La mobilisation autour de ces migrants reste essentiellement citoyenne, à l'image des nombreux groupes d'entraide qui ont été créés sur Facebook. Dans l'ancien lycée, le terme « soutien » désigne celles et ceux qui s'impliquent auprès des migrants. Échange d'informations, de photos, dons en ligne, propositions d'activités, collecte de nourriture : l'organisation de la vie sur place passe surtout via les réseaux sociaux, les emails.

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« C'est la meilleure solution car beaucoup de soutiens travaillent, ont une vie de famille, » nous explique une jeune de 25 ans, qui habite dans le nord de Paris et qui vient régulièrement donner de son temps pour aider à la vie quotidienne du lieu. Elle souhaite rester anonyme. « Une permanence juridique est organisée au moins une fois par semaine, » nous explique-t-elle. « Les choses se passent assez bien mais la vie reste précaire, il y a un problème de nourriture et de sécurité la nuit, » ajoute la jeune femme qui fait référence au fait que n'importe qui peut s'introduire dans le lycée à la nuit tombée. « Les soutiens ne peuvent pas tout faire. Donc oui, c'est même très précaire parfois, » déplore-t-elle.

Certaines personnes refusent d'être appelées « soutiens ». C'est le cas de Francis, un homme de 52 ans qui habite le quartier et qui vient pour la deuxième fois apporter un sac de vêtements. « Je suis seulement un citoyen qui veut aider, à mon niveau, » explique-t-il à VICE News. Camila, une jeune italienne installée à Paris, qui vient régulièrement donner de son temps pour aider à la vie quotidienne du lieu, l'entraîne dans une visite du lieu, lui montre où vont les collectes.

Sur quatre étages, des hommes, des femmes, différents modes de vie et de nombreuses fresques colorées dessinées par migrants et soutiens. Les anciennes salles de classe servent de dortoirs, les gens y dorment sur des matelas à même le sol. Du linge sèche aux fenêtres. Des petites radios se font concurrence dans les couloirs, dans des styles musicaux très différents.

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Un couloir du lycée, au fond une salle de classe transformée en dortoir de fortune. (Pierre-Louis Caron / VICE News)

Dans un communiqué publié peu après l'arrivée des migrants dans l'ancien lycée, le maire du 19e arrondissement, François Dagnaud, avait alerté sur la présence d'amiante dans le bâtiment. Sur place, certains soutiens font part de leur inquiétude concernant les peintures qui s'effritent, certaines salles qui n'auraient pas dû être ouvertes, et d'autres impossibles à verrouiller.

« Lors de la dernière assemblée générale [ndlr, cette réunion a eu lieu le samedi 22 août], nous avons essentiellement parlé de l'incident de la veille. La cuisine avait été fracturée pendant la nuit, tous nos équipements électro-ménagers avaient été emportés, » déplore Shaïsta, qui était surtout présente à cette réunion pour traduire ce qui s'y disait, du français au Pachtoune.

« La cohabitation avec les habitants du quartier se passe relativement bien, » nous explique un autre soutien, qui souhaite rester anonyme. « Nous avons placardé des affiches pour rappeler qu'il est interdit de faire du bruit après 22 heures, d'apporter de l'alcool, ou de posséder une arme. Certains ici ont échappé plusieurs fois à la mort [pour arriver jusqu'en France], ils sont très tendus, » précise-t-il.

Non loin de là, un Afghan qui suivait la discussion nous interpelle en français. « La police aussi est violente, » estime-t-il, « même à Paris ».

Lui qui se présente sous le nom de Saïd — mais précise que c'est un pseudonyme — indique être arrivé en France en 2005. « Je n'étais même pas adulte, » nous raconte-t-il. Il nous dit avoir d'abord été régularisé comme réfugié, avant de perdre ce statut à cause d'une altercation musclée avec la police il y a deux ans.

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« J'ai dû partir, revenir, j'ai tenté l'Angleterre, la Belgique, tout, » nous explique-t-il dans un bon français. Il hésite à rester dans le lycée, mais songe tout de même à remplir une nouvelle demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Dans l'attente des éventuels travaux, Jamal, Shaïsta, Saïd et les autres continuent à vivre ensemble au quotidien. Les soutiens et certains migrants ont formé des comités indépendants, qui s'occupent notamment de la nourriture, des questions juridiques, ou de la communication à l'intérieur et en dehors du camp.

« Ce comité de communication vise à traduire certains articles qui concernent le lycée, » nous explique Camila, « les gens qui habitent ici veulent savoir ce que la presse française dit sur eux, ils se tiennent informés. »

Le 27 août dernier, certains soutiens du lycée Jean-Quarré ont participé à une manifestation organisée en plein coeur de Paris pour alerter l'opinion publique sur la situation des quelque 250 autres migrants qui campent toujours sur le quai d'Austerlitz (sud-est de la ville), directement sous l'une des boîtes de nuit les plus branchées de la capitale française.

À lire : Sous une boîte de nuit parisienne, un bidonville de migrants

Ce lundi matin, deux délégations — animées par les migrants eux-mêmes — ont convoqué la presse française devant l'Hôtel de Ville de Paris. Les délais des travaux jugés « trop longs » et l'absence de prise en charge des besoins basiques (nourriture, eau, soins) des migrants par les pouvoirs publics ont été évoqués.

D'après ce collectif, d'autres réunions avec des représentants de la mairie de Paris devraient avoir lieu avant la mi-septembre.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c