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Crime

Pékin lance sa nouvelle arme anti-tabac : la délation

Fumer dans les bars ou tout autre espace fermé public sera bientôt interdit dans la capitale de la Chine. Pour faire respecter la loi, les autorités comptent sur la dénonciation des fumeurs via le WhatsApp local.
Photo par Aaron Berkovich

On est dans l'équivalent du Camden Town de Londres à Pékin, le Gulou East Road, avec ses magasins qui vendent des sacs à dos colorés et des fripes hors de prix. L'atmosphère se veut bohème, touristique, et hyperenfumée. C'est encore pire à mesure que l'on avance et que les magasins qui vendent des jeans délavés laissent place à des restaurants. Ce mardi soir de ma visite dans ce quartier, c'est bien simple, toutes les personnes qui ne tenaient pas de baguettes dans leurs mains avaient un clope entre les doigts.

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Encrasser des poumons déjà noirs de pollution avec des cigarettes, dans l'une des villes les plus polluées du monde, ça semble être une mauvaise idée. Mais à Pékin, fumer, c'est aussi installé dans les moeurs qu'être bourré au karaoke ou que se racler bruyamment la gorge. Cependant, ce vice fumeux de la population va être mis à rude épreuve à partir du premier juin lorsque déboulera une nouvelle mesure qui entend s'attaquer frontalement au problème. Fumer en intérieur dans des espaces publics, mais aussi fumer dans certains endroits ouverts, comme les hôpitaux et les écoles, ce sera tout bonnement interdit.

Photo par Aaron Berkovich.

Ce n'est pas la première fois qu'une régulation de la cigarette a été mise en place dans le coin, mais cette fois les autorités font valoir de nouveaux atouts. Ils veulent monter les citoyens les uns contre les autres. On demande donc aux gens de prendre des photos discrètes ou des vidéos en caméra cachée de fumeurs. Le délateur peut ensuite les envoyer sur un compte ouvert et public sur WeChat, la version chinoise de WhatsApp. Les autorités seront alors déployées sur la scène du crime. L'idée est surtout de punir les établissements plutôt que les fumeurs. Les amendes iront jusqu'à 200 Yuan pour les individus (32 dollars) et jusqu'à 10 000 Yuan (1 612 dollars) pour les établissements. Si les contrevenants sont récidivistes, les amendes seront multipliées et les commerces pourront perdre leur licence.

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Et ce n'est pas tout, la municipalité de Pékin, est en train de mettre en place un nouveau langage des signes spécifique à cette action anti-tabac. Les citoyens sont sollicités pour voter pour l'un des trois signes suivant. Il faut choisir celui qu'ils préféreraient utiliser pour dire « écrasez votre mégot tout de suite » de loin, aux fumeurs qu'ils ne veulent pas franchement approcher.

Les gestes signifient : « arrêtez », « cela me gêne, et « ne faites pas ça ». Les gens de Pékin doivent voter pour leur préférer, cela deviendra un signe du langage des signes reconnu de manière officielle.

Tout le monde n'est pas spécialement impressionné par ces mesures. « les gens comme moi qui ont fumé pendant un long moment, cela fait trop partie de leur vie pour qu'ils envisagent d'arrêter, » dit Wang Aiyu, un travailleur dans un magasin de musique d'une trentaine d'années qui s'allume une cigarette dans la rue. « C'est une habitude durement enracinée, comme se brosser les dents, ou se laver le visage. Je ne serais donc pas effrayé par la menace de gens me prenant en photo en train de fumer, ou me faisant des signes de la main — Je m'en ficherai. » Aiyu a commencé a fumer quand il avait 8 ans.

Photo par Aaron Berkovich.

Faire respecter la loi sera une tâche titanesque. Pas loin d'un quart de la population chinoise fume — cela fait à peu près 300 millions de fumeurs. Environ un million de Chinois meurt tous les ans de maladies liées au tabac, d'après l'Organisation Mondiale de la Santé. Ce chiffre pourrait monter à trois millions en 2050 si les tendances se maintiennent. Si l'interdiction est effective à Pékin, elle devrait être étendue dans le reste du pays.

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Des tentatives précédentes avaient fait long feu, avec des régulations introduites par exemple en 2011, largement ignorées, et non appliquées. Pendant les J.O. de Pékin de 2008 une semblable interdiction avait été mise en place dans la plupart des espaces publics, mais c'était plus affaire d'image à l'international que de politique de santé à long terme.

Wu Yiqun est le responsable du China Tobacco Control Resource Center (CTCRC), un centre de recherche piloté par le ministère de la Santé. Il explique que le fait que les établissements seront désormais responsabilisés en cas de non-respect de la loi, fait que cette fois les choses devraient changer. « Il a été exposé de manière claire que les propriétaires de ces lieux doivent être tenus pour responsables, » dit-il. « C'est une incitation forte au respect de la loi, bien plus que de n'avoir que quelques personnes déambulant dans la rue et mettant des contraventions. »

Réponse au mois de juin.

Suivez Jamie Fullerton sur Twitter: @jamiefullerton1

Jiehao Chen a participé à la rédaction de cet article.