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VICE News

L’élection d’Emmanuel Macron signe-t-elle la résurrection du centrisme à la française ?

Sous la Ve République, mis à part Valéry Giscard d’Estaing, nombre de personnalités centristes se sont cassées les dents sur l’élection suprême, comme Jean Lecanuet ou François Bayrou.
Pierre Longeray
Paris, FR

Si Emmanuel Macron se dit ni de gauche, ni de droite, sa victoire signerait-elle la résurrection du centrisme ? Ce vieux courant politique, qui a toujours peiné à s'imposer sous la Ve République, remonte à la Révolution française à l'époque du fameux « Marais » qui était entre la gauche et la droite, avant de connaître ses heures de gloire sous la IIIe République et de profiter du régime parlementaire de la IVe République pour gouverner entre 1947 et 1951 avec la Troisième Force.

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En revanche, sous la Ve République, mis à part Valéry Giscard d'Estaing, nombre de personnalités centristes se sont cassées les dents sur l'élection suprême, comme Jean Lecanuet ou François Bayrou. On a essayé de comprendre comment Emmanuel Macron était parvenu à devenir président grâce à un discours d'inspiration centriste avec Sylvie Guillaume, historienne spécialiste du centrisme au Centre d'histoire de Sciences Po.

Comment pourrait-on définir le centrisme à la française ?

Le centrisme repose sur trois racines : le radicalisme, la démocratie-chrétienne et un certain libéralisme. Chacune de ces racines a été portée par diverses personnalités politiques centristes : Pierre Mendes-France pour le radicalisme, Jean Lecanuet pour l'aspect démocratie-chrétienne et Valéry Giscard d'Estaing a incarné le centre-droit libéral.

Ce courant politique est aussi vecteur de valeurs distinctes et immuables : l'humanisme, le libéralisme, la croyance au progrès et à la méritocratie, une moindre intervention de l'État sur les affaires de la nation, et enfin au-dessus de tout, les convictions européennes. Emmanuel Macron semble porter ces valeurs, mais une partie de la gauche et de la droite en partagent aussi certaines.

Peut-on pour autant qualifier Emmanuel Macron de centriste ?

Plus qu'un centriste, c'est un homme qui a défendu une position centrale. C'est cette « centralité » qui est singulière, doublée du fait qui ne se reconnaît pas dans les partis institutionnalisés. Mais malgré tout, on peut le considérer comme un centriste au sens où il partage les valeurs du centrisme. En somme, Macron essaye de réaliser une espèce de mixage entre l'intérêt pour une société plus juste et plus égalitaire et un libéralisme qui permet aux entreprises de respirer et de permettre d'inscrire la France parmi les grands pays européens.

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Mis à part Valéry Giscard d'Estaing, jamais un candidat centriste n'a réussi à s'imposer dans une présidentielle. Comment expliquer cela ?

Le problème de la Ve République est que sa constitution et le mode de scrutin majoritaire ont favorisé la bipolarisation entre droite et gauche – ce que ne voulait d'ailleurs pas le Général de Gaulle, qui se disait au-dessus des partis. Cette bipolarisation a été d'autant plus renforcée en 1962 avec l'élection du président de la République au suffrage universel.

La culture politique française est aussi une culture d'affrontements et de conflits, contrairement à celle des Anglo-saxons qui est faite de négociations. De fait, elle laisse peu de place à des formations politiques qui essayent de gouverner avec les uns et les autres, comme tente de le faire Macron.

De plus, cette position de centriste a toujours été péjorative, parce qu'en France il y a eu pendant longtemps une très forte attraction dans les partis de gauchepour le marxisme et l'héritage marxiste d'une part, et à partir de 1958 une très forte attraction pour le gaullisme. Il n'y avait donc pas tellement de place pour le centre.

Comment Macron a-t-il réussi à dépasser cet état de fait ?

Il faut commencer par dire que Macron a aussi bénéficié d'un coup de chance ou du moins d'un concours de circonstances. Tous ses collaborateurs proches vous disent qu'ils espéraient une victoire de Macron en 2022, mais certainement pas en 2017. Les portes se sont en quelque sorte ouvertes. Macron a bénéficié de deux choses : un désamour de l'électorat pour les partis traditionnels droite-gauche d'où une attraction de l'électorat pour les extrêmes et de la division de la droite et de la gauche. Il a pu pu tenter cette stratégie « Moi je peux gouverner avec des gens raisonnables qui viennent de droite et de gauche ou avec des gens neufs, parce que l'électorat en a assez des anciennes têtes ».

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Mais est-ce qu'un président avec une position centrale comme celle de Macron peut gouverner ? Peut-il déjà trouver une majorité lors des législatives ?

En général, tous les présidents élus sous la Ve République ont disposé d'une majorité, mais c'était dans le cadre de partis institués. Là, on n'en sait rien. Est-ce que le mouvement « En marche ! » est suffisamment fort ? Qui va être élu ? Puis il va y avoir des triangulaires. L'idée de Macron est de conserver une position centrale sur l'échiquier politique ce qui n'est pas facile. Il risque donc de se heurter encore à des logiques partisanes.

Le choix d'Edouard Philippe comme Premier ministre, et la nomination d'un gouvernement représentant divers courants politiques, illustrent-ils l'application d'une méthode de gouvernance centriste ?

Pas exactement. On peut dire que le choix est dicté par plusieurs priorités ; proposer de nouvelles têtes d'où l'entrée au gouvernement de représentants de la société civile, diviser les partis traditionnels en attirant des personnalités de droite, Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Darmanin, des personnalités de gauche comme Le Drian ou venus de la gauche comme Collomb et récompenser le Modem parti centriste avec Bayrou, De Sarnez. Tout ceci avec l'objectif de réunir une majorité présidentielle aux législatives. Il s'agit surtout de réunir des personnalités d'horizons différents par forcément du centre mais qui sont prêts à travailler ensemble pour réformer la France ; ceci dit le réformisme n'est pas l'apanage du centre, mais il en est au cœur.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray