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Hongrie

La caméraman filmée en train de faire un croche-pied sur des migrants a été licenciée

La vidéaste de la chaîne hongroise N1TV a été licenciée après avoir été filmée en train de faire tomber un migrant portant un enfant dans ses bras, alors qu’il essayait de forcer un barrage de police.
Image via Twitter / @RichterSteph

Une journaliste hongroise a été licenciée ce mardi après avoir été filmée le même jour en train de faire des croche-pieds à au moins trois migrants qui tentaient d'échapper à la police, non loin de la ville de Roeszke, à la frontière hongroise avec la Serbie - l'un des principaux point de passage des migrants vers l'Union européenne.

Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, la vidéaste essaie, caméra à la main et portant un masque au niveau de la bouche, de faire tomber plusieurs migrants en leur faisant des croche-pieds, et donnant un coup de pied à l'un d'entre eux. Petra Laszo travaillait pour la chaîne N1TV (Nemzeti1 TV), un média présenté par la presse hongroise de ce mercredi comme proche du parti d'extrême droite Jobbik, entré au Parlement hongrois en avril dernier.

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Lage in — Stephan Richter (@RichterSteph)8 Septembre 2015

« La situation à #Roeszke en #Hongrie toujours grave - La police est débordée - Les réfugiés forcent le cordon de police - Des blessés! »

« C'est une petite vidéaste d'une obscure chaîne youtube proche du parti Jobbik, » explique Corentin Léotard, 34 ans, cofondateur du média d'actualité en ligne francophone sur la Hongrie, Hulala. Contacté par VICE News ce mercredi, il travaille depuis Budapest, la capitale de la Hongrie. « À mon avis elle a été envoyée pour faire des images bien graveleuses. »

« Je ne connaissais pas cette chaîne avant, la plupart des gens la découvrent avec cette histoire, » précise Léotard, installé à Budapest depuis 8 années. « D'après ce que j'ai compris il s'agit seulement d'une chaîne youtube ».

La scène qui a fait le tour des réseaux sociaux depuis mardi après-midi a été filmée plus tôt dans la journée, alors que des centaines de migrants forcaient un cordon de police afin de poursuivre leur route vers le nord de la Hongrie. Ils avaient été rassemblés là, en attendant d'être conduits à un centre d'accueil et d'enregistrement pour demandeurs d'asile, mais fatigués d'attendre, ils ont décidé de franchir la ligne de policiers.

Sur l'une des deux vidéos -qui a été prise par un journaliste allemand également sur place- on voit la vidéaste, en jean et tee-shirt bleu ciel, tendre volontairement la jambe sur le passage d'un homme d'une cinquantaine d'année, qui vient de réussir à se libérer de l'emprise d'un policier qui lui avait attrapé le bras. Il porte dans ses bras un enfant. Tous deux tombent à terre après avoir trébuché sur la jambe de la vidéaste hongroise. Sur le sol, l'homme se retourne, on peut alors le voir crier en direction de la journaliste qui tourne la caméra vers lui — juste avant que la vidéo ne s'arrête.

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Dans une autre vidéo, on voit la vidéaste donner des coups de pieds à deux autres migrants, qui courent pour échapper à la police.

Plusieurs « murs de la honte » condamnant le geste de la camerawoman - identifiée comme étant Petra László - ont été créés dans la foulée sur Facebook. L'un rassemblait près de 15 000 likes à 15heures (heure locale) ce mercredi.

La chaîne hongroise pour laquelle travaillait Petra Laszlo, N1TV, a annoncé sur Facebook avoir licencié la journaliste. « Le comportement d'une collègue de N1TV au point de rassemblement de Roszke est inacceptable. Le contrat de travail avec la vidéaste a été résilié sans préavis aujourd'hui. Nous considérons que l'affaire est close », a écrit la chaîne.

La scène tournée par la vidéaste restait pourtant publiée en fin d'après midi sur le compte Facebook de la chaîne. On y voit bien apparaître l'homme qu'elle fait tomber, la séquence est simplement coupée juste avant sa chute. Un message de la rédaction l'accompagne : « 200 policiers, est-ce assez ? Réponse: non. »

« Dans la presse hongroise, cette chaîne est présentée comme étant proche de Jobbik. Ils sont en connivence et travaillent ensemble, ça c'est sûr, » explique Corentin Léotard. On peut retrouver plusieurs embeds vidéos de la chaîne sur le site officiel du Jobbik.

Le scandale déclenché par cette vidéo attriste Léotard car il « occulte » selon lui le bon travail réalisé par d'autres médias : « Il y a beaucoup de médias privés qui essaient d'humaniser les réfugiés pour toucher l'opinion publique, » remarque-t-il.

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La Hongrie est devenue l'une des principales portes d'entrée dans l'Union européenne pour les migrants. Selon les chiffres officiels, entre janvier et juin 2015, la police hongroise avait déjà interpellé quelque 60 000 migrants illégaux. Depuis le début de l'année, le pays a enregistré plus de 110 000 demandes d'asile.

Fin août, l'afflux de réfugiés a battu des records : dans la nuit du 24 au 25 août, plus de 2000 migrants sont entrés en Hongrie, soit le nombre le plus élevé enregistré en une seule journée jusqu'alors, avait déclaré la police hongroise.

« La Hongrie est en première ligne pour les questions d'immigration, » nous confirme ce mercredi Samuel Carcanague, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'espace post-soviétique. « Pour des questions de politique intérieure, Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, ne peut pas se permettre de développer un discours d'accueil. Il y a une vraie poussée de l'extreme-droite, et le Fidesz [ndlr, le parti au pouvoir] essaie de ne pas se faire dépasser. »

À lire : « Les réfugiés feront tomber le mur » : la barrière anti-migrants de la Hongrie

« L'Europe centrale n'a pas la même histoire que [des pays européens comme la France] vis-à-vis de l'immigration. Ce sont des pays qui n'ont pas eu de colonies, et il n'y a pas eu de grande vague d'immigration ces 50, voire ces 100 dernières années. C'était plutôt les populations de ces pays qui partaient vers l'Europe de l'Ouest, » rappelle Samuel Carcanague. « La position de la Hongrie s'explique aussi par cette approche du phénomène migratoire différent, due à une histoire nationale différente. »

Le gouvernement hongrois a achevé le 31 août la construction d'une barrière de barbelés sur 175 kilomètres, le long de sa frontière avec la Serbie. Pour compléter cette barrière, qui pour l'instant est loin de décourager les migrants, la Hongrie prévoit d'ajouter un mur haut de 4 mètres.

À lire : quitter Budapest

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @lucieabrg