La Coupe du monde des unités antiterroristes

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La Coupe du monde des unités antiterroristes

Des épreuves aux noms impressionnants comme la « fusillade embarquée en plongée » ou le « défi du Roi » se sont tenues en Jordanie, pays qui se trouve au coeur des conflits qui déchirent le Moyen-Orient.

Les snipers escaladent le talus, prennent position et visent. L'écho des tirs d'armes automatiques claque dans tout le désert, le recul soulève des nuages de poussière. En contrebas, des soldats se précipitent dans des rues bordées de bâtiments en grès. Des « Allah Akbar » se font entendre au moment où les hommes se précipitent dans l'un des bâtiments. Un instant plus tard, ils en ressortent, portant sur leurs épaules un poids aux formes humaines.

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L'otage libéré est un faux. Tout ceci est un scénario mis en scène dans un décor urbain installé en plein désert pour ces quatre jours du Trophée des guerriers, qui a lieu tous les ans en Jordanie. Le concours réunit des unités d'élite antiterroristes du monde entier avec l'objectif de nouer des amitiés et de partager des connaissances, pendant que des soldats et des officiers testent leurs compétences.

Sur le Centre d'entraînement aux opérations spéciales du Roi Abdullah II, situé en bordure de la capitale jordanienne Amman, 38 équipes venues de 18 pays — dont les États-Unis, l'Afghanistan, la Russie, l'Irak et la Chine — se mesurent lors d'épreuves aux noms théâtraux comme le « High Angle Drive-By » (ou « fusillade embarquée en plongée ») ou le « 3-Gun Gauntlet » (ou « gant à trois canons »), avant d'atteindre l'épreuve finale, le « King's Challenge » (le « défi du Roi »).

Dans l'épreuve de la « prise de l'Airbus », les équipes entourent un avion au sol avant de prendre d'assaut l'appareil pour neutraliser des miliciens et libérer les otages. Ensuite, ils se précipitent sous des filets, grimpent des échelles et passent par dessus des murs pour atteindre des positions de snipers et atteindre des cibles. Lors des épreuves ils gagnent des points qui récompensent leur vitesse et leur précision, comme dans l'épreuve du « Desert Stress Shoot », une épreuve de tir sous pression.

Beaucoup d'épreuves passées par les équipes présentent des scénarios très réalistes des situations mortellement plausibles surtout pour le pays hôte, la Jordanie. Ces unités d'élite doivent y être préparées.

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Un Palestinien et un Tchétchène entre deux événements.

Entouré par la Syrie et l'Irak, le Royaume hachémite de Jordanie a vécu plus d'une décennie de guerre confessionnelle sanglante qui a lieu juste au pas de sa porte. Il y a peu de pays menacés d'aussi près et aussi immédiatement par l'organisation État islamique (EI). L'entraînement au contre-terrorisme et à la contre-insurrection est une priorité de la politique de défense jordanienne.

« Pour la Jordanie, ce problème (l'EI) n'est pas théorique. Il est concret. C'est quelqu'un qui frappe à la porte de plus en plus fort. »

En novembre 2014, l'EI — qui a longtemps contrôlé le commerce frontalier entre Amman et Baghdad, est sorti de son fief de la région d'Anbar, en Irak, pour attaquer six postes de contrôle le long de la frontière jordanienne. Le mois dernier, au Sud, le dernier point de passage qui menait de la Jordanie à la Syrie a été déclaré fermé pour une durée non déterminée après avoir été saisi par les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL), soutenus ponctuellement par le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida.

Une unité des forces spéciales jordaniennes se prépare à investir un bâtiment pendant le Trophée annuel des guerriers.

« Pour la Jordanie, ce problème (l'EI) n'est pas théorique. Il est concret » explique Patrick Skinner, chef de projet spécial pour le groupe de consultants en renseignement Soufan Group, contacté par VICE News. « C'est quelqu'un qui frappe à la porte de plus en plus fort. » Il ajoute que « Et quand il ne s'agit pas de l'EI, ce sont des groupes militants "modérés", entre guillemets.

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Malik Khalab-Al-Alwan se tient debout sur la ligne de sécurité d'un stand de tir où son équipe participe à l'épreuve du « Desert Shoot Stress ». Pour ce lieutenant des forces armées jordaniennes, combattre l'EI et d'autres groupes djihadistes est un sujet de d'échange récurrent entre les participants du concours. « Il y a beaucoup de discussions sur ces groupes, » explique-t-il à VICE News.

« Ce sont de faux musulmans qui utilisent l'Islam comme une couverture pour leurs actions, et [ils sont] un ennemi commun. »

Le Lieutenant Malik Khalab Al-Alwan regarde les équipes s'affronter.

L'unité d'élite de Malik Khalab-Al-Alwan a servi dans des zones de conflits et de catastrophes comme l'Afghanistan, le Congo ou Haïti, mais ses hommes sont de plus en plus entraînés pour contrer des menaces plus proches de la Jordanie. Des concours comme celui-là représentent une opportunité pour juger de leur niveau entraînement, mais ce sont aussi des occasions d'apprendre et de partager des expériences avec des collègues d'autres pays.

« Nous vivons dans une zone sensible. Dans tous les pays autour de nous, il y a eu des révolutions ou des guerres, » dit le lieutenant. « Il y a beaucoup d'expérience… Nous voyons ce qui se passe et nous nous préparons à le contrer. »

Un sniper de l'équipe de Malaisie tire pendant le « Desert Shoot Stress ».

Jusqu'ici, les retombées des conflits syrien et irakien ont été pour la majeure partie rapidement repoussées par l'armée jordanienne. La sécurité des frontières jordaniennes a été renforcée. Des caméras et des centaines de militaires supplémentaires surveillent désormais l'arrière-pays qui s'étend jusqu'à la limite du territoire de l'EI.

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Alors que la Jordanie a renforcé ses défenses contre la menace externe, des pressions internes secouent aussi l'intérieur du pays.

Deux vagues de réfugiés auraient touché l'économie du pays. Les riches irakiens arrivés en Jordanie ont fait monter les prix de l'immobilier, alors que l'arrivée de réfugiés pauvres, principalement depuis la Syrie, a tiré les salaires vers le bas. Les réfugiés syriens et irakiens représentent maintenant un cinquième de la population jordanienne, les quatre cinquièmes restants étant divisés entre les Jordaniens d'origine tribale et des Palestiniens. Ces derniers sont l'héritage d'un autre conflit non-résolu et qui bouillonne aux frontières de la Jordanie. La montée de la pauvreté et le manque d'opportunités, en plus de cette crise d'identité à l'échelle nationale, contribuent au risque croissant d'instabilité à l'intérieur même du pays.

« C'est la politique de l'autruche, » estime Patrick Skinner. « La Jordanie est au bord de la crise depuis longtemps. Sur le papier, ils sont confrontés à de nombreux problèmes : ils sont coincés entre la Syrie et l'Irak, ils ont des problèmes d'approvisionnement d'eau depuis longtemps et un grand nombre de réfugiés. Il faut faire quelque chose. »

La capacité de la Jordanie à contenir ces différentes pressions a largement dépendu du soutien extérieur. Les alliés les plus importants du pays sont l'Arabie Saoudite et les États-Unis, qui ont tous les deux investi des milliards ces dernières années afin de renforcer l'économie de la Jordanie et ses forces armées.

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Pour la seule année 2014, les États-Unis ont versé 660 millions de dollars d'aide financière à la Jordanie, dont près des deux tiers ont été consacrés à la modernisation de l'armée. Cette année, le ministère des Affaires étrangères américain a annoncé que le montant de l'aide allait se porter à un milliard de dollars en réaction à « l'augmentation immédiate des besoins de la Jordanie face aux troubles dans la région, » et à sa position « en première ligne de la lutte contre l'EI et contre d'autres idéologies extrémistes et terroristes. »

Des Marines américains s'entraînent au tir pendant le concours. Les États-Unis sont les principaux alliés de la Jordanie.

Six unités spéciales des forces jordaniennes de la police et des militaires ont participé cette année.

L'unité nationale face à un ennemi commun est un thème sur lequel les autorités ont beaucoup insisté dans la compétition de cette année. Dans son discours à la cérémonie d'ouverture, le Général Hani Manaser, chef des opérations des forces armées jordaniennes a rendu hommage à Moaz al Kasasbeh, le pilote capturé par l'EI qui aurait été brûlé vif cette année. Il a demandé à tous les « Jordaniens de tous les horizons » de se rassembler autour de la mort de celui qui est présenté comme un héros.

En arrière-plan, des parachutistes d'élite jordaniens descendaient en rappel depuis des hélicoptères tandis qu'une unité canine se mettait en position. « Certaines personnes peuvent se demander, pourquoi [faire] une compétition guerrière ? » a-t-il poursuivi. « La réponse est simple, nous célébrons l'esprit guerrier, l'esprit de camaraderie qui se développe chez ceux qui souffrent ensemble pour protéger leur patrie et leur peuple. »

Toutes les photos sont de l'auteure.

Suivez Harriet Salem sur Twitter: @HarrietSalem