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FRANCE

La France va ouvrir une structure d’accueil pour des jeunes qui reviennent du djihad

Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé la création de ce dispositif destiné aux « jeunes de retour de zones de conflit », comme la Syrie. Des spécialistes estiment que son champ d’action pourrait être insuffisant.
Image via? Flickr / Wolfgang Staudt

Le Premier ministre français Manuel Valls a annoncé, mercredi, la création d'une « structure » destinée aux « jeunes de retour de zones de conflit ». « Une structure qui sera créée d'ici la fin de l'année afin de prendre en charge, sur la base du volontariat, des jeunes de retour de zones de conflit et ne faisant pas l'objet de poursuites judiciaires, » a déclaré Manuel Valls lors des Rencontres internationales des magistrats antiterroristes, auxquelles prennent part plusieurs pays depuis lundi, à Paris.

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On sait encore peu de choses sur la forme exacte que prendra ce centre. Selon la radio Europe 1, ce serait une « petite structure expérimentale », installée « en région parisienne » et « amenée à se développer par la suite ». Si la radio confirme que le dispositif est destiné aux jeunes qui ne font pas l'objet de poursuites judiciaires, elle ajoute que « si l'expérience est concluante, cela pourrait aussi concerner des hommes et des femmes qui sont mis en cause par la justice. Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, le juge d'instruction pourrait, par exemple, imposer des rendez-vous obligatoires dans ce centre. »

La prise en charge des jeunes radicalisés au sein de cette structure prendrait la forme d'un « accompagnement individualisé », d'une « prise en charge psychologique » et d'un « encadrement renforcé, » a annoncé le Premier ministre. Ce dernier a ajouté que « ces jeunes devraient retrouver toute leur place dans notre société » à l'issue de leur passage dans la structure.

Pour l'heure, aucune autre précision n'a été donnée sur le dispositif par Matignon et par le ministère de l'Intérieur, qui devrait le mettre en place. VICE News a sollicité les deux administrations, qui n'ont pu répondre dans les délais de rédaction de cet article. On ignore donc l'ampleur et les conditions de réussite de cette expérience, ainsi que ses évolutions possibles. Le principe du dispositif est cependant déjà critiqué par des spécialistes de la radicalisation des jeunes Français ou résidant en France.

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Martin Pradel, est un avocat spécialisé dans les dossiers terroristes. Il est régulièrement contacté par d'anciens djihadistes qui souhaitent quitter des zones de guerre. Pour lui cette structure d'accueil doit s'ouvrir à tous les profils de de djihadistes, y compris et en particulier ceux qui font l'objet de poursuites judiciaires, et qui seraient pour l'instant exclus de cette structure.

À lire : Djihadistes français : comment certains quittent l'organisation État islamique

« Exclure les personnes poursuivies par la justice est une grosse erreur. Il faut d'abord s'intéresser à ces personnes poursuivies, qui sont exclues d'office alors que certaines veulent s'amender et s'expliquer, » estime l'avocat, contacté par VICE News ce jeudi. Ce dernier ne comprend pas, par ailleurs, comment une personne qui revient d'une zone de guerre comme la Syrie pourrait ne pas être poursuivie par la justice.

« Aujourd'hui, de toute manière, le simple fait d'aller en Syrie ou en Irak donne lieu à des poursuites, même si la personne n'a rien fait de plus, » explique Martin Pradel. « Je ne vois donc pas qui peuvent être ces jeunes qui reviennent de zone de guerre et ne font pas l'objet de poursuites. Les autorités partent du principe que tous ceux qui reviennent sont des terroristes en puissance. »

Le traitement judiciaire et carcéral des djihadistes présumés qui reviennent de zones de guerre conduit, selon Martin Pradel à un cercle vicieux. « On a peur des profils à la Mehdi Nemmouche [l'auteur de la tuerie du musée juif de Bruxelles], mais on réunit tous les profils ensemble en prison, ce qui crée encore plus d'islamistes radicaux. » Le fait de réunir les islamistes radicaux en prison a été expérimenté dans la prison de Fresnes, mais vivement critiqué ensuite par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

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À lire : La prison de Fresnes regroupe les islamistes radicaux

Martin Pradel conclut en estimant qu'il « faut peut être enfermer certaines personnes, mais il faut toujours écouter tout le monde. » C'est, selon lui, le premier moyen d'évaluer la sincérité et la dangerosité de ceux qui reviennent des terres de djihad. « Nous sommes nombreux à demander une cellule d'écoute mais il ne faut pas restreindre autant les conditions d'accès à cette cellule. »

Pour le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de l'islam radical, l'existence d'une structure d'écoute va dans la « bonne voie » mais pourrait être inefficace si celle-ci n'intègre pas l'éducation religieuse dans la prise en charge des jeunes.

« Il faut une prise religieuse pour ces jeunes, au sein de cette structure, mais Manuel Valls s'exposerait aux critiques de ceux qui ont une vision stricte de la laïcité, » explique Farhad Khosrokhavar. « Les centres de déradicalisation mis en place au Danemark, par exemple, intègrent cette dimension religieuse, même s'il faut encore du recul pour mesurer leur efficacité. »

Farhad Khosrokhavar distingue trois types de profils de jeunes radicalisés qui reviennent en France : les « traumatisés », qui ont « besoin d'un accompagnement psychologique », les « endurcis », qui sont susceptibles de commettre d'autres attentats, et les « repentis », qui ne croient plus au djihad. « Un centre d'écoute comme celui annoncé par M. Valls peut être efficace pour les traumatisés. Pour les endurcis, il faut mobiliser un arsenal psychologique et religieux pour pouvoir peser sur eux, » préconise-t-il. « Quant aux repentis, il est essentiel qu'ils puissent avoir accès à l'espace public pour parler de leur expérience et dissuader les autres d'aller faire le djihad. »

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Comme l'avocat Martin Pradel, M. Khosrokhavar estime aussi que l'autre solution qui est de regrouper en prison ces différents profils est dangereuse. « Il faut séparer les personnes influençables des meneurs, » estime-t-il. « Mais le mensonge de certains rend la tâche compliquée. Et il suffit d'une erreur qui occasionne un attentat en France pour que toute la structure soit remise en cause. »

L'annonce de Manuel Valls advient tout juste un an après la mise en place d'un numéro vert destiné à signaler les cas de radicalisation pouvant mener au terrorisme. « Depuis un an, grâce à nos initiatives, près de 1 900 signalements ont été reçus dont un quart concerne des mineurs et - fait notable souvent oublié - plus de 40% de jeunes femmes, » a déclaré le Premier ministre ce mercredi.

Manuel Valls a également rappelé le nombre de Français ou de résidents en France impliqués dans des activités djihadistes. Ils seraient, en tout, 1 605 à avoir « manifesté le désir de partir, en transit, sur place, de retour ou déjà rentré » de zones de conflits animées par le djihad. Parmi eux, 445 personnes sont en Syrie et 99 autres ont déjà été tuées dans ces zones.

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter : @MatthieuJublin

Image via Flickr / Wolfgang Staudt