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FRANCE

La France valide le mariage d'un couple homosexuel franco-marocain

La Cour de cassation française a validé ce mercredi le mariage entre un citoyen français et un citoyen marocain bien que le Maroc ne reconnaisse pas le mariage homosexuel. Les deux pays sont en froid diplomatique depuis plusieurs mois.
Image via Flickr / Aiky Eatsimanohatra

La Cour de cassation a validé ce mercredi le mariage entre un citoyen français et un citoyen marocain bien que le Maroc ne reconnaisse pas le mariage homosexuel. La plus haute instance judiciaire française a ainsi estimé que la liberté fondamentale de se marier prévalait sur les accords signés entre le Maroc et la France.

Ce mariage entrait en contradiction avec une convention bilatérale ratifiée par les deux États en 1981, qui établit qu'en cas de mariage entre ressortissants des deux pays, chacun doit se plier aux lois de son pays. Or l'union entre deux personnes de même sexe est interdite au Maroc. En outre, la circulaire dite «Taubira », qui a ouvert en 2013 le mariage aux personnes de même sexe établi que « Les conventions [ont] une valeur supérieure à la loi. »

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Dominique, un français d'une cinquantaine d'années et Mohammed, étudiant marocain d'une vingtaine d'années, étaient pacsés depuis mars 2013, et ils devaient se marier en septembre de la même année, mais leur union a été annulée par le procureur de Chambéry, deux jours avant la cérémonie. Le couple a ensuite saisi le tribunal de grande instance de Chambéry, qui a levé cette interdiction, une décision qui a par la suite été validée par la cour d'appel de Chambéry.

Les deux hommes se sont alors mariés en novembre, mais l'union est restée en suspens plus d'un an, le parquet général ayant formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Cette Cour a jugé ce mercredi que : « Le mariage entre personnes de même sexe est une liberté fondamentale à laquelle une convention passée entre la France et le Maroc ne peut faire obstacle, si le futur époux marocain a un lien de rattachement avec la France. »

Maître Alice Meier Bourdeau est avocate à la Cour de cassation, elle était le conseil du couple pendant l'affaire. Elle a expliqué à VICE News qu'il y avait, dans la convention bilatérale signée entre le Maroc et la France, une « exception d'ordre public, ce qui signifie que la loi nationale peut être éventuellement écartée lorsqu'elle aboutit à un résultat manifestement incompatible avec l'ordre public français ou marocain. » En l'occurrence, la Cour de cassation a reconnu que la liberté de se marier faisait partie de l'ensemble des règles relatives à l'ordre public.

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La question se pose également de savoir si cette décision fera jurisprudence pour les autres traités bilatéraux signés avec dix autres pays (Pologne, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Kosovo, Slovénie, Tunisie, Algérie, Laos et Cambodge). Pour Alice Meier Bourdeau, « On ne peut pas dire que l'on va s'assoir sur toutes les conventions conclues, mais on reconnaît que l'ordre public français a manifestement changé. »

Maître Patrice Spinosi, qui représentait le défenseur des droits (l'autorité constitutionnelle) dans ce dossier, a déclaré dans un communiqué : « Le défenseur des droits ne peut que saluer cette décision de la Cour de cassation qui garantit le droit au mariage des couples de même sexe sans discrimination liée à la nationalité ou l'orientation sexuelle. »

Une tribune, signée par 78 juristes et publiée dans Le Figaro en décembre 2014 posait les termes de cette affaire ainsi : « Peut-on ainsi, par l'effet d'un néo-colonialisme juridique, imposer nos vues aux autres États amis de la France qui demeurent légitimement attachés au mariage, union d'un homme et d'une femme ? » Maître Meier Bourdeau réplique qu'il ne s'agit en aucun cas de « néo-colonialisme », puisque le mariage est considéré valable en France seulement : « C'est très malhonnête de dire cela. Cette décision n'impose absolument pas au Maroc de reconnaître ce mariage, la seule chose que dit la la loi, c'est qu'en France ils ont le droit de se marier. »

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Pierre Vermeren est professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris I. Il a expliqué à VICE News que la loi civile au Maroc est une loi à base religieuse. Au Maroc, l'homosexualité est considérée comme un délit, explique l'universitaire, bien que la peine d'emprisonnement ne soit que rarement appliquée, explique-t-il.

Les ministres de la Justice des deux pays se rencontrent jeudi, au lendemain de cette décision qui

arrive dans un contexte diplomatique tendu entre la France et le Maroc. La coopération judiciaire entre les deux pays est gelée depuis près d'un an, à l'initiative du Maroc, qui n'a pas apprécié la convocation par Paris d'Abdellatif Hammouchi, à la tête des renseignements marocains, pour des accusations de torture.

D'après Pierre Vermeren, il s'agit là du « noyau principal des gestes inamicaux » entre les deux pays, tout en précisant que la France « ne peut pas se payer le luxe d'une brouille durable, » car elle a besoin d'une coopération avec le Maroc, notamment en matière de sécurité.

Mercredi, interrogé à l'Assemblée nationale au sujet du froid entre la France et le Maroc, le Premier ministre a déclaré : « La France est l'amie du Maroc et le Maroc est l'ami de la France […] Chacun doit y contribuer, il nous faut dépasser cet épisode basé, me semble-t-il, sur de nombreuses incompréhensions. » Dans cette réponse, Manuel Valls ne faisait pas allusion à la décision de la Cour de cassation concernant le présent mariage.

Image via Flickr / Aiky Eatsimanohatra