La galère infernale des étudiants algériens en France

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VICE News

La galère infernale des étudiants algériens en France

Deux suicides d’étudiants algériens en mars dernier ont alerté sur les conditions de vie particulièrement rudes de certains d’entre eux en France.
Pierre Longeray
Paris, FR

En règle générale, le dimanche après-midi, un étudiant digne de ce nom traîne dans son lit devant une série quelconque ou retarde encore de quelques heures son transfert devant ses cahiers de cours. Mais pour la poignée d'étudiants algériens installés au premier étage du bar Royal Est, à deux pas de la gare de l'Est à Paris, la fin d'après-midi dominicale s'annonce studieuse.

Réunis dimanche dernier autour de Yougourthen Ayad, président de l'association Algériens des deux rives et leurs amis (ADDRA), ils sont là pour mettre au point un rapport sur les conditions de vie des étudiants algériens en France — qui sont de plus en plus critiques.

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Il y a un peu moins d'un an, en mars 2015, deux étudiants algériens se sont suicidés à Paris et à Nanterre à moins de 48 heures d'intervalles. Les deux jeunes hommes ne se connaissaient pas, étudiaient en France depuis plusieurs années et étaient suivis par l'ADDRA, qui s'occupe notamment des étudiants en difficultés — non pas scolaires, mais principalement financières (en fournissant des paniers repas ou en donnant divers coups de main).

Les deux étudiants décédés l'année passée étaient rentrés dans un cercle vicieux que nombre de leurs compatriotes connaissent : l'impossibilité de trouver un travail, les loyers qui s'accumulent, la dépression qui point, la peur de décevoir les parents restés au pays, les notes qui chutent. Pour les membres de l'ADDRA qui suivaient ces deux jeunes, c'est ce cercle vicieux qui a motivé leur geste. Ayad nous explique qu'il a recensé une dizaine de suicides d'étudiants algériens en France ces dernières années, aux profils similaires.

Impossible de travailler

Au premier étage du Royal Est qui fait aussi office de PMU, le jeune président de l'ADDRA distribue un petit bout d'histoire aux étudiants algériens présents, alors que les turfistes haussent le ton devant Equidia. Ce qui passe entre les mains, ce sont les accords franco-algériens de 1968.

De 1830 à 1962, l'Algérie était une colonie française, avant de devenir indépendante à la suite d'une guerre et des accords d'Évian de mars 1962. Les accords signés en 1968 portent eux sont relatifs à « la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ».

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Aujourd'hui, les étudiants algériens représentent la troisième plus grosse communauté estudiantine étrangère de France — derrière les Chinois et les Marocains.

Les quelque 21 000 étudiants algériens en France ne dépendent pas du droit commun comme les autres étudiants étrangers — mais bien de ces accords qui datent d'un demi-siècle.

Ayad reconnaît que pour une large part ces accords sont favorables aux Algériens qui habitent en France, mais il invite à jeter un coup d'oeil à l'article 11, le seul consacré spécifiquement aux étudiants. Il a été ajouté en 2001. On peut y lire que les étudiants algériens en France doivent avoir une autorisation de travail pour exercer un emploi en France, qu'il faut aller quémander en préfecture, avec une promesse d'embauche ou un contrat de travail déjà en poche. Pour les autres étudiants étrangers, il suffit le plus souvent d'un visa pour trouver un job étudiant (20 heures par semaine maximum).

« J'avais réussi à décrocher un poste de caissière chez Lidl, dix heures par semaine, » explique Zineb, dans son pull rose pâle. Elle est arrivée en France en début d'année scolaire à l'Université Pierre et Marie Curie (UPMC) pour faire un autre master, après celui décroché à la faculté d'Annaba. « Mais malheureusement ils n'ont pas voulu renouveler mon contrat — les démarches sont trop compliquées pour les Algériens, » lance-t-elle, déçue.

La quête du titre de séjour

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Voilà donc la première barrière — et pas des moindres — à laquelle les étudiants se trouvent confrontés en arrivant en France. Financer ses études sans petit boulot, quand on n'a ni aide des parents, ni bourse de l'État algérien, cela représente un sacré défi pour ces étudiants. Il y a toujours le travail au noir, mais il s'accompagne du risque de perdre son titre de séjour et de se voir remettre une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Abderraouf n'a que 20 ans et étudie l'informatique et la gestion à l'UPMC. Pourtant il s'exprime comme un apprenti avocat spécialiste du droit des étrangers. Vendredi dernier, le jeune homme originaire d'Alger reçoit dans le bureau de l'antenne de l'UPMC de l'Union des étudiants algériens de France (UEAF), dont il est le vice-président. Il est entouré de plusieurs membres de l'association, eux aussi devenus des spécialistes des démarches administratives.

« Avant de partir pour la France, vous récupérez un visa long séjour de 3 mois en Algérie. Une fois arrivé, il faut déposer une demande de titre de séjour dans les deux mois qui suivent, sinon il faut s'acquitter d'une amende » commence Abderraouf. « L'étudiant doit ensuite justifier de 6 500 euros de ressources pour sa demande de titre de séjour, sachant que le SMIC algérien est de 163 euros. L'étudiant se retrouve alors face à un double défi : justifier ses ressources, mais sans pouvoir travailler. D'autant plus que vous risquez de perdre votre titre de séjour si vous redoublez ou changez de filière. »

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Attention aux astérisques

Et il faut recommencer les démarches chaque année. Pourtant, l'été dernier, une loi a été votée en France pour la mise en place de titres de séjours pluriannuels — d'une durée de 2 à 4 ans — pour les étudiants étrangers. Mais, comme pour nombre de documents administratifs français, il y a un petit astérisque sur le texte de loi qui précise que la mesure ne s'applique pas aux Algériens. On peut lire « Si vous êtes Algérien, vous dépendez d'un régime particulier et recevez un certificat de résidence ». Certificat qui ne dure qu'un an.

« Avant de postuler à quoique ce soit, je fais gaffe aux astérisques, » lance dans un sourire Nadir, lui aussi originaire d'Alger. Il étudie l'énergétique et l'environnement à l'UPMC.

En France, seulement un étudiant sur deux passe le cap de la première année de licence. « Alors imaginez comment un étudiant algérien peut s'en sortir avec ses cours, parfois la barrière de la langue [Ndlr, pour ceux qui ont fait le parcours scolaire en arabe], plus toutes ces démarches administratives, » fait laconiquement remarquer Kosseila, 23 ans, originaire de Bouira et étudiant en Master 1 Physique et Electronique à l'UMPC.

Avant d'arriver en France, Kosseila étudiait en Algérie à la faculté de Boumerdès. Si le niveau est correct pour les premières années de licence, il est impossible de se spécialiser en Algérie, ou de trouver des débouchées d'après lui — d'où l'intérêt de migrer vers la France. « Il n'y a pas de réelles politiques de l'État pour les étudiants. Par exemple, la bourse versée par l'État équivaut à 40 euros pour 3 mois — de quoi s'acheter un jean et un pull, » glisse le jeune homme, un poil désabusé.

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La maison de l'Algérie

Pour ces étudiants algériens rencontrés sur le campus de Jussieu de l'UMPC, l'État algérien mettrait en place ces barrières pour freiner « la fuite des cerveaux » et retenir les étudiants dans le pays.

Ce constat est partagé par Reda, étudiant en science politique à Lille 2. Il a publié au début du mois de février une tribune dans Le Monde qui dénonçait les conditions des étudiants algériens.

Originaire d'Alger, Reda nous expliquait ce dimanche par téléphone que « Tout est fait pour nous compliquer la vie. » Le jeune homme évoque par exemple le cas de la monnaie algérienne, le dinar, qui n'est pas convertible librement. « Les Algériens ont le droit à une allocation touristique de 130 euros par an [en clair, le droit de convertir pour 130 euros par an]. » Ainsi les gens se tournent vers le marché noir pour se procurer des devises européennes.

Tous les étudiants que nous avons interrogés nous ont aussi donné l'exemple de la maison de l'Algérie à la Cité internationale universitaire de Paris.

Située dans le XIVe arrondissement, la « Cité U » est composée de 40 « maisons » (financées par divers pays) pour accueillir quelque 6 000 étudiants et chercheurs du monde entier.

En 2005, l'Algérie s'engage à créer une maison de l'Algérie dans la Cité U, pour accueillir 250 étudiants et chercheurs. Un projet à hauteur de 23 millions d'euros. Mais ce qui pourrait permettre de loger une petite partie des étudiants algériens à Paris n'a toujours pas vu le jour — plus de 10 ans plus tard.

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Contactés par VICE News, le ministère de l'Enseignement supérieur algérien et l'ambassade d'Algérie en France n'ont pas été en mesure pour le moment de répondre à nos questions sur ce sujet.

De son côté, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche français nous a indiqué devoir recueillir des éléments avant de pouvoir répondre à nos demandes de réactions.

Les étudiants algériens que nous avons rencontrés souhaitent dans un premier temps avoir un peu plus d'informations et d'aides sur les démarches administratives à remplir pour étudier en France — que ce soit à leur arrivée mais aussi en Algérie, au moment où ils postulent dans les facultés françaises.

Pour sa part, la branche algérienne de Campus France (l'agence française pour la promotion de l'enseignement supérieur, l'accueil et la mobilité internationale) met en place depuis l'année dernière des séances de préparation au départ pour les étudiants algériens qui se destinent à aller étudier en France. « Il s'agit de visioconférences entre des étudiants algériens installés en France et d'autres qui vont partir d'Algérie, » explique Flora Stienne, la responsable de Campus France Algérie. Elle ajoute que « Rien ne vaut la sensibilisation. »

Si le pays et les parents leur manquent, ils ne regrettent pas être venus en France pour leurs études, malgré toutes les galères passées et celles qu'ils vont encore devoir affronter. La France s'est en quelque sorte imposée à eux, en raison de l'histoire ou de la langue commune, ou encore du coût peu élevée des études.

« C'est comme si la France et l'Algérie ne s'étaient jamais vraiment séparées, » explique Kosseila en souriant. « Ça vaut le coup de venir ici, c'est de l'expérience qu'on acquiert — maintenant on sait apprivoiser les galères. »


Cet article a été mis à jour le jeudi 25 février à 17h30 avec les commentaires de Campus France.


Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray