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Ukraine

La guerre des réseaux sociaux entre l'Ukraine et la Russie

L'Ukraine a bloqué l'accès à deux réseaux sociaux russes, très utilisés dans le pays, afin de tempérer l'influence russe.

L'Ukraine a bloqué l'accès à deux réseaux sociaux populaires la semaine dernière, afin de tempérer l'influence russe dans le pays. Bloquer ces deux sites russes est une extension des sanctions imposées à la Russie suite à l'annexion de la Crimée en 2014.

Cette nouvelle interdiction a suscité l'indignation dans ce pays de 42 millions d'habitants, où 12 millions d'Ukrainiens utilisent le Facebook russe, Vkontakte (VK) – le deuxième site le plus consulté en Ukraine. Cinq millions de personnes de plus sont inscrites sur Odnoklassniki (sorte de Copains d'avant russe). Si l'organisation de défense des droits de l'homme Freedom House estime actuellement que la liberté d'expression sur le Net est « partiellement libre » en Ukraine, cette interdiction risque de faire chuter la note de l'Ukraine. Mercredi dernier, le ministère des Affaires étrangères allemand s'est inquiété de ces sanctions, ajoutant que la chancelière Angela Merkel allait les évoquer avec le président ukrainien Petro Poroshenko.

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En plus de bloquer des réseaux sociaux, le décret ukrainien cible un site d'hébergement d'e-mails utilisé par des millions d'Ukrainiens – mail.ru – mais aussi le moteur de recherche Yandex, et un logiciel produit par le géant de la cybersécurité russe, Kaspersky, qui a déjà été pointé du doigt pour ses liens avec les services de sécurité russes.

Cette dernière action survient après trois ans de conflit ouvert entre la Russie et l'Ukraine, qui a commencé début 2014, quand la Russie a annexé la péninsule ukrainienne de la Crimée, avant d'envoyer discrètement des soldats et de l'équipement militaire sur le territoire ukrainien. Les violences ont coûté la vie à près de 10 000 personnes, d'après les chiffres des Nations unies. Plus de 1,8 million d'autres ont été déplacées.

L'interdiction serait une mesure de sécurité préventive prise dans le cadre de la guerre de propagande qui oppose la Russie et l'Ukraine. Mais elle va sans doute mettre un terme aux efforts vitaux de collecte de renseignements en « open source ». Les sites visés ont notamment permis de prouver que la Russie était engagée militairement dans l'est de l'Ukraine. Ces sites ont été indispensables à VICE News, afin de réaliser un reportage visant à prouver la présence de soldats russes dans l'est du pays en utilisant les selfies de soldats.

Le blog OdessaTalks, populaire parmi les experts et analystes ukrainiens, indiquait la semaine dernière que le blocage de VK en Ukraine n'altérait en rien les donnés qui existent déjà sur le site – qui peuvent être facilement récoltées par les renseignements russes. De plus, les Ukrainiens qui vivent en dehors du pays peuvent toujours y avoir accès, ce qui est important sachant que l'Union européenne a récemment accordé une dispense de visa pour les Ukrainiens.

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Cependant, tout le monde ne s'oppose pas au blocage. « C'est exactement pourquoi les gens manifestaient à Maïdan – pour avoir un gouvernement responsable qui peut garantir la sécurité et l'intégrité de l'État, protéger ses citoyens et éviter que leurs données personnelles ne soient récupérées par les Russes pour des missions d'espionnage ou de déstabilisation, » explique Yevhen Fedchenko, un professeur de journalisme à la Kyiv-Mohyla Academy.

Parmi les tentatives de déstabilisation observées sur les sites visés, Fedchenko évoque le cas d'une récente vague de manifestations anti-Polonais en Ukraine, qui aurait été coordonnée sur VK avec l'aide des services de renseignement russes.

Malgré le discours ferme de Poroshenko, le gouvernement va peut-être peiner à bloquer entièrement les réseaux sociaux. « Des jeunes m'ont dit qu'ils allaient simplement utiliser des VPN, » indique la journaliste d'investigation ukrainienne, Kristina Berdynskykh, et « Vkontakte a déjà fait passer des consignes détaillées pour contourner l'interdiction. »

Les Ukrainiens ont pris d'assaut les réseaux sociaux avec de nombreux memes pour se moquer de la décision prise par le gouvernement. Selon un sondage en ligne, mené la semaine dernière sur 11 000 personnes, 66 pour cent étaient « catégoriquement contre » le blocage des réseaux sociaux russes. 11 pour cent indiquaient qu'il serait plus simple « de censurer tout l'Internet, comme en Corée du Nord. »

Ces nouvelles risquent de déstabiliser davantage les relations entre la Russe et l'Ukraine. Malgré leur silence sur les tentatives de censure menées par le Kremlin, les médias russes ont rapidement accusé les autorités de censurer son peuple. Interrogé sur ces sanctions, le porte-parole du président russe Vladimir Poutine a indiqué aux journalistes que la Russie n'avait pas « oublié le principe de réciprocité ».


Christian Borys est un journaliste canadien installé en Ukraine. Suivez-le sur Twitter : @itsborys