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FRANCE

La police a allumé des fumigènes et fait hurler ses gyrophares sous les fenêtres du ministère de la Justice

Près de 7 500 policiers se sont rassemblés ce mercredi devant le Ministère de la Justice pour manifester contre une justice française « incohérente » selon les syndicats de police, qui ne leur permet pas de travailler dans de bonnes conditions.
Pierre Longeray
Paris, FR
Des manifestants sur la place Vendôme ont allumé un fumigène. (Pierre Longeray / VICE News)

La place Vendôme est surtout connue des Parisiens et des touristes pour accueillir les plus grands joailliers du monde et l'hôtel du Ritz. Mais ce mercredi sur les coups de midi, fumigènes, pétards et sirènes hurlantes sont venus gêner la quiétude habituelle des lieux.

Rassemblés autour de cris comme « Qui ne saute pas n'est pas poulet », près de 7 500 policiers s'étaient rassemblés devant le Ministère de la Justice, coincés entre les boutiques de luxe. Les policiers manifestaient contre une justice française « incohérente » selon les syndicats de police, qui ne leur permet pas de travailler dans de bonnes conditions.

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(Pierre Longeray / VICE News)

« Le problème, c'est le suivi de la justice, » nous explique Philippe, brassard la police sur le bras gauche, veste de moto et 20 ans de service dans la police — nationale puis municipale. « Les délinquants n'effectuent pas leur peine de prison ou sont relâchés bien avant. Ils se sentent totalement impunis et n'ont plus peur de la police ou de la justice. »

L'élément déclencheur de cette grogne est une fusillade, déclenchée le 5 octobre en Seine-Saint-Denis, entre la BAC (Brigade anti-criminalité) et un détenu en fuite, qui n'avait pas réintégré sa cellule après une permission — illustration, selon les policiers venus manifester, d'une justice défaillante. Ce violent échange de coups de feu a laissé un policier, Yann, entre la vie et la mort.

La réponse du gouvernement à ce drame n'a pas vraiment permis d'apaiser les tensions. Christiane Taubira, ministre de la Justice et cible des huées des policiers rassemblés ce mercredi sous ses fenêtres, avait proposé dans la foulée de mettre en place une escorte pour certains détenus. Pour des syndicats, la ministre proposait donc de donner plus de travail à la police, déjà surmenée depuis les attentats parisiens de janvier contre la rédaction de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher.

(Pierre Longeray / VICE News)

De nombreuses pancartes réclamaient la démission de la ministre de la Justice, comme Philippe pour qui, « Christiane Taubira est un symbole du monde bisounours qui considère le délinquant comme une victime à réinsérer et un policier comme suspect a priori. Nous, on veut l'inverse. »

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Certains policiers rencontrés sur l'élégante place parisienne désamorcent cette opposition entre police et justice. « Ce n'est pas une manifestation contre la magistrature — ce sont nos partenaires de travail quotidiennement, » tempère Alexis, un jeune commissaire de police parisien. « Nous voulons simplement réunir tous les partenaires — police et justice — autour de la même table pour pourquoi pas discuter d'une réforme de la procédure pénale. »

(Pierre Longeray / VICE News)

Si la tension entre police et justice concentre une bonne partie des conversations de ce mercredi, entre deux Marseillaises entonnées sous une fine pluie parisienne, les policiers ont aussi souhaité lancer un appel au secours quant au manque de moyens. C'est ce que nous explique Emmanuel, parka bleu électrique du syndicat Alliance sur les épaules, qui porte généralement son uniforme de major de la Police Nationale, et ce depuis 25 ans.

Pour le commissaire, Alexis, la question des moyens est primordiale. « J'ai la responsabilité morale et juridique de protéger mes hommes, il faut qu'ils soient équipés en fonction des menaces. Lors de Charlie Hebdo, les assaillants avaient des Kalachnikovs. Les balles de ces fusils de guerre transpercent les gilets pare-balles. On voudrait être à armes égales avec ceux à qui on a parfois à faire. »

(Pierre Longeray / VICE News)

Les conditions de travail des policiers se « détériorent un peu plus chaque jour, » explique Emmanuel, évoquant justement la difficulté d'avoir des gilets pare-balles dignes de ce nom. Mais ce n'est pas simple pour les policiers de faire entendre leur voix, puisqu'ils sont contraints de manifester sans faire grève. Mais en ce début d'automne, ils ne pouvaient plus attendre.

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« On nous avait pourtant promis une grande réunion après les attentats de janvier, mais on n'a rien vu venir, » se désole Philippe. « Comme disait Georges Clémenceau, si vous voulez enterrer un problème, créez une commission. C'est exactement ce qu'ils ont fait. »

Les policiers ne sont pas dans la rue uniquement pour leur propre condition de travail, nous confie Emmanuel. « Si on est là aussi aujourd'hui, c'est pour les citoyens français qu'on veut protéger. On est là au nom de tous les Français qui veulent qu'il y ait un minimum de sécurité dans le pays. Avec les moyens actuels, on arrive à peine à assurer notre propre sécurité… »

(Pierre Longeray / VICE News)

Sur les coups de 13 heures 30, la pluie s'invite et rapidement le rassemblement touche à sa fin — des policiers retournent à leur service. C'est à ce moment, que Manuel Valls, le Premier ministre français, annonce une série de mesures, depuis Matignon, pour répondre à la colère des policiers.

Premièrement, Valls a annoncé une réforme par décret — donc rapide — des autorisations de sorties des prisonniers. Il s'agira d'éviter les sorties de détenus « sans nécessité avérée ». A aussi été annoncé, une simplification de la procédure pénale, notamment pour alléger la charge de travail des policiers. Le Premier ministre a enfin précisé que la lutte contre les armes à feu allait s'intensifier avec notamment le passage de 3 à 5 ans d'emprisonnement pour acquisition, détention ou cession d'armes de catégorie A et B, c'est-à-dire les plus lourdes.

Rien n'a en revanche été précisé sur les moyens alloués aux policiers, un sujet qui sera peut-être abordé avec le président de la République, François Hollande, que les syndicats policiers vont rencontrer dès la semaine prochaine. En manifestant devant le ministère de la Justice, les policiers souhaitaient alerter tout l'exécutif sur leurs conditions de travail — c'est désormais chose faite.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray