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FRANCE

La police a manifesté à Paris, ses opposants aussi

Avant le début du rassemblement place de la République, une contre-manifestation s’est improvisée pour « dénoncer les violences policières ».
Pierre Longeray
Paris, FR
Des contre-manifestants place de la République (Etienne Rouillon/VICE News)

Excédés notamment par les violences dont ils sont parfois la cible depuis le début de la mobilisation contre la loi Travail, plusieurs centaines de policiers se sont donnés rendez-vous ce mercredi, à midi, place de la République pour dénoncer « la haine anti-flics ». D'autres rassemblements ont eu lieu devant des commissariats dans le reste de la France.

Mais avant même le début de la manifestation organisée sous l'égide d'Alliance, le syndicat majoritaire chez les policiers, une contre-manifestation dénonçant les violences policières s'improvise en marge de la parcelle de la place réservée aux policiers et bien gardée.

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Deux heures plus tôt, la contre-manifestation du collectif « Urgence, notre police assassine » avait été interdite par la Préfecture de police de Paris, ce qui n'a pas empêché environ 200 personnes de se rassembler au son des « Police partout, justice nulle part ».

Derrière les barrières, les policiers manifestaient à l'appel du syndicat Alliance (Toutes les photos sont d'Etienne Rouillon/VICE News).

Contre-manifestation et voiture brûlée

Maintenus par des gendarmes à plusieurs dizaines de mètres du rassemblement des policiers qui commence à s'épaissir sur les coups de 11 heures 30, des manifestants brandissent des pancartes dénonçant les violences policières.

On y évoque notamment les cas de Zyed et Bouna — deux adolescents morts en 2005 à Clichy-sous-Bois dans un transformateur électrique après une course-poursuite avec la police — ou de Rémi Fraisse — un militant écologiste mort à Sivens en 2014 après l'explosion d'une grenade lancée par un gendarme.

« Dans les cortèges, les policiers ont une utilisation de la violence qui n'est pas toujours maîtrisée, » nous explique Jérôme, lycéen parisien, qui a participé à plusieurs manifestations contre la loi Travail. « On commence à s'habituer aux violences des policiers, mais on ne devrait pas, » nous dit le jeune manifestant.

Pour le jeune homme venu manifester avec quelques amis, le choix de la place de la République par les syndicats policiers est une « provocation ». La place est en effet le point de ralliement du mouvement « Nuit debout » qui se rassemble ici chaque soir depuis le 31 mars pour s'opposer, entre autres, à la loi Travail et au gouvernement actuel. Ici même, des violences policières ont été dénoncées.

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Des policiers procèdent à l'arrestation d'un manifestant pendant une manifestation de lycéens contre la loi Travail en avril.

Vers midi, une petite échauffourée éclate et les gendarmes usent de gaz lacrymogènes pour faire reculer les contre-manifestants, qui sont vite repoussés dans une rue menant à la place de la République. Une demi-heure plus tard, les 200 manifestants partent en « manif' sauvage » en se dirigeant vers le canal Saint-Martin, où une voiture de police a été incendiée.

Une voiture de police brûle dans les rues de Paris alors que se tient le rassemblement des policiers.

Deux agents de la paix qui étaient présents dans la voiture, ont été légèrement blessés d'après les autorités. Des témoins parlent d'un fumigène jeté dans la voiture qui a ensuite pris feu. Le véhicule a ensuite été éteint par les pompiers. Le parquet de Paris a depuis ouvert une enquête pour « tentative d'homicide volontaire sur personne dépositaire de l'autorité publique » et « destruction par incendie ».

Mise à jour jeudi 19 mai (10h21) Au moins quatre personnes ont été arrêtées depuis l'attaque de la voiture, filmée par une personne présente au moment des faits. D'après les informations données par Le Parisien, trois des personnes placées en garde à vue auraient fait l'objet d'une interdiction de manifester mardi dernier.

Des policiers peu bavards

Au même moment place de la République, la nouvelle de la voiture incendiée commence à circuler parmi les policiers qui se font passer des clichés de la voiture calcinée, alors que de timides fumigènes orange et bleu (aux couleurs d'Alliance) font tousser quelques policiers qui reprennent en coeur « Policiers en colère » au son de Highway to Hell d'AC/DC.

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Pour mettre un peu d'ambiance dans cette manifestation particulièrement bien gardée (il faut être policier ou titulaire d'une carte de presse pour y accéder), les organisateurs font hurler les sirènes et demandent d'applaudir les gendarmes qui assurent la sécurité de la place.

De nombreux policiers présents sur la place ne souhaitent pas parler à la presse — certains évoquant leur « devoir de réserve pendant le service, mais aussi en dehors ». Ceux qui sont un peu plus bavards, ce sont les policiers syndiqués comme David, de l'UNSA Police.

« Il y a un vrai ras-le-bol quant aux violences corporelles que subissent les policiers, » nous explique David, qui estime que les événements liés aux manifestations contre la loi Travail ne sont que « l'élément déclencheur » de cette grogne collective. « Hier encore des collègues CRS, ont reçu des projectiles pendant la manifestation parisienne et certains ont été blessés. »

Des gendarmes pris pour cible par un projectile enflammé lors de la manifestation du 17 mai.

Interrogé sur les violences policières, David estime que « les manifestants ne sont pas habitués à notre travail. Certaines interpellations peuvent paraître violentes, mais on est des professionnels, on est habitués à faire ça. » Quant aux tirs de grenades assourdissantes, qui ont blessé plusieurs manifestants et journalistes, David rappelle que les policiers répondent aux ordres et n'ont pas d'initiatives personnelles.

La drôle de vidéo d'Alliance

Alors que les principaux représentants syndicaux se pressent à la tribune, une vidéo de quelques minutes produite par Alliance est diffusée sur un écran géant. Une musique digne du Seigneur des Anneaux se lance alors, accompagnée d'images de manifestants masqués qui jettent des pierres, des pétards et des cocktails Molotov sur des compagnies de CRS. S'ensuivent des photos de rues jonchées de poubelles et d'éclats de verres après le passage des cortèges.

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Le spot diffusé par le syndicat Alliance lors du rassemblement.

Puis la musique épique s'arrête et laisse la place à de puissants battements de coeur illustrés par des photos de policiers blessés. La musique reprend et sont diffusées des images de la manifestation du 11 janvier 2015, suite aux attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, au cours desquelles les policiers avaient été applaudis par la foule.

Un message s'inscrit ensuite sur l'écran, entrecoupé d'images de l'Assemblée nationale ou encore de la Déclaration des Droits de l'Homme : « Notre politique n'a qu'une seule couleur, le bleu, qu'une seule religion, la démocratie, qu'une mission, votre protection. »

Dans la dernière partie de la vidéo, des images des attaques terroristes qu'a connue la France en 2015 entrecoupent un autre message : « Face au terrorisme, nous sommes le dernier rempart. Nous payons le prix ultime, celui du sang. » Puis, la vidéo s'achève sur un message final : « Force doit rester à la loi. Fiers d'être policiers. »

« Un sentiment d'impunité »

Les policiers applaudissent puis les représentants syndicaux se succèdent à la tribune. Pendant ce temps, Alban (son prénom a été changé à sa demande) membre de la police nationale parisienne nous explique que chaque jour il a des collègues blessés dans le cadre de leur métier, que ce soit pendant une manifestation ou un simple contrôle.

Un commissariat cible de projectiles lors d'une manifestation sauvage dans le XIXe arrondissement, après qu'un policier a été filmé frappant un lycéen au visage en marge d'une manifestation contre la loi Travail, en mars.

« Le souci c'est le sentiment d'impunité des délinquants, » estime Alban. « Par exemple, quand un commissariat est attaqué, on nous demande de ne pas sortir, de ne rien faire — apparemment pour éviter que ça déborde, » regrette le policier d'une trentaine d'années. « Leurs actes ne sont pas suivis de sanction au niveau juridique, donc ils se sentent en confiance. »

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1 300 interpellations ont eu lieu depuis le début des manifestations contre la loi Travail selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Sur ce total, 51 personnes ont été condamnées en comparution immédiate.

Vers 13 heures 30, la place de la République commence à se vider, alors que le rassemblement était censé durer jusqu'à 14 heures, mais les policiers semblent fatigués. Dès ce jeudi, de nouvelles manifestations contre la loi Travail sont prévues dans toute la France et notamment à Paris à partir de 14 heures au départ de la place de la Nation.


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