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Crime

À la rencontre des « Pork-Knockers », les chercheurs d’or du Guyana

Les mineurs illégaux sont chassés par le gouvernement, mais ce qui les inquiète c'est surtout la malaria, l'empoisonnement au mercure, et les voleurs.
Photo Alasdair Baverstock

Quand j'ai rencontré Darwin McDonald, chercheur d'or dans les terres guyaniennes, un troisième combat contre la malaria en deux ans ravageait son corps. Darwin, avachi à l'arrêt du bus et l'air gravement malade avait pourtant de plus gros problèmes que ses articulations douloureuses et les frissons qui parcouraient son corps.

Pour éviter de devoir retourner passer trois mois dans les mines d'or de la forêt tropicale, il devait absolument retrouver la prostituée qu'il accusait d'avoir volé tout son argent la veille.

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Darwin fait partie de ceux qu'on appelle les « pork-knockers », les chercheurs d'or illégaux qui sont de plus en plus nombreux. Ce drôle de nom vient de leur régime alimentaire, à base de de viande marinée ou salée. Ils sont à présent visés par une série de mesures répressives de la part du gouvernement guyanien. À la suite de plaintes de la part des propriétaires et des exploitants légaux des mines, les fonctionnaires ont commencé à mettre en place des mesures pour réduire cette pratique sur un terrain où les licences de prospection ont été accordées, mais où l'exploitation minière n'a pas encore été approuvée.

En dépit des mesures qui restreignent leur activité, ces mineurs autodidactes jouent un rôle important au Guyana.

« Ils contribuent de façon vitale à l'économie du Guyana, » a déclaré à VICE News Pavaan Persaud, porte-parole du ministère des ressources naturelles et de l'environnement (NRE) à Georgetown.

On rapporte qu'en 2013, le Guyana aurait exporté plus d'un milliard d'or en dollars - une part importante d'un PIB de 2,8 milliards de dollars. L'existence de plus de 850 000 kilos d'or en plus a également été prouvée par un groupement de companies minières internationales.

Cette richesse fantastique a entraîné une ruée vers l'or moderne, capitalisée par des intérêts miniers étrangers, suivie aussi par des chercheurs d'or à la batée qui sont indépendants et non réglementés.

* * *

La travailleuse du sexe que Darwin a rencontré dans la région du centre du Guyana avait apparemment repéré le mineur de retour de son travail comme une cible potentiellement rentable. Il s'était vanté en rentrant en ville avec 150 grammes d'or de 18 carats dans sa poche, fruit de nombreux mois passés seul dans la jungle. Il a peut-être un peu trop fanfaronné au sujet des 5 800 dollars qu'il avait obtenu en échange.

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Darwin raconte qu'il s'est réveillé le matin avec un violent mal de tête, découvrant que le salaire gagné en un an qu'il avait caché dans son sac à dos avait disparu.

Sa nuit de beuverie, de drogues, de bagarres et de sexe a épuisé un peu plus encore son système immunitaire. Son corps entier lui fait mal, et malgré la chaleur de la mi-journée, il tremble de façon incontrôlée tandis que la malaria regagne du terrain, en plus de la gueule de bois.

La situation de Darwin est plutôt courante pour un pork-knocker.

L'avant-poste d'un pork-knocker au Guyana depuis lequel les mineurs partent en expédition dans la forêt tropicale. Photo Alasdair Baverstock

D'après les chiffres les plus récents publiés par la commission de géologie et des mines au Guyana, en 2010, plus de 11 000 mineurs travaillaient dans cette branche. Ce rapport ne tient toutefois pas en compte le nombre de « mineurs artisanaux » - le terme officiel employé pour désigner les pork-knockers - qui travaillent pour de petites organisations illégales.

« On estime que cette année, plus de 25 000 mineurs indépendants travaillent dans plus de 3 000 endroits différents, » a expliqué Pavaan Persaud à VICE News.

Après avoir ouvert la voie aux sociétés minières internationales, américaines, canadiennes ou chinoises, le gouvernement guyanien tire encore une quantité importante de ses revenus des mines artisanales. En 2006, le conseil d'administration de l'or du pays a acheté 5700 kilos d'or à des marchands qui ne traitent qu'avec des mineurs non-licenciés. Ce chiffre a maintenant plus que doublé. En 2012,11 765 kilos d'or venus des mines des pork-knockers auraient été vendus au gouvernement guyanien par le biais d'intermédiaires.

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L'or extrait illégalement ne peut être vendu directement sur le marché de l'or, ce qui pousse les mineurs non-autorisées à en vendre à des revendeurs pour environ 10% de moins que le prix du marché. Ces distributeurs font à leur tour profit en vendant l'or directement au gouvernement à sa valeur réelle.

« Tant que l'or des pork-knockers reste au Guyana, il arrive sur le marché de l'or, » a raconté à VICE News Frank Singh, pork-knocker pendant plus de 30 ans. Il dirige à présent une agence de voyage à Georgetown. « Tant qu'il passe par le trésor public de Georgetown, les autorités ne cherchent pas à savoir comment il est arrivé là. »

Quatre pork-knockers et leur batelier, en route pour trois mois d'exploitation minière dans la région 8 du Guyana. Photo Alasdair Baverstock

Actuellement, l'activité dans les mines d'or du Guyana est une véritable foire d'empoigne. Les grandes sociétés minières internationales, les locations de terres par le gouvernement, ont charcuté des pans entiers de brousse pour permettre la recherche de l'or qui se trouve en dessous.

« C'est très facile de faire du commerce dans ce pays, » a confirmé à VICE News Jacqueline Wagenaar de Guyana Goldfields Inc., une compagnie minière canadienne qui opère au Guyana depuis le milieu des années 1990. « C'est un pays de langue anglaise, avec un gouvernement démocratiquement élu, qui gouverne selon les lois du Commonwealth. »

Guyana Goldfields Inc. va mettre en place un nouveau projet d'exploitation minière en roche dure dans la région 1 en 2015 dont elle prévoit d'extraire 5700 kilos d'or tous les ans pour les 20 années à venir. « On a un formidable soutien de la part du gouvernement » dit-elle.

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C'est dans les vieilles pierres que l'on trouve le plus abondamment de l'or. Il est déposé par l'activité volcanique, le métal fond dans les défauts de la croûte terrestre, formant des fillets d'or que l'on appelle des « veines ». L'érosion se produit sur des centaines de millions d'années tandis que les ruisseaux et les rivières coulent au-dessus des veines. Cette érosion est appelée « gisement alluvial », le matériel s'érode depuis la « veine mère », c'est ce que les pork-knockers recherchent. Comme le cours des rivières change, l'or peut se déposer sur une très grande zone.

Les pork-knockers partent souvent à la recherche de la veine mère, la source de l'or alluvionnaire érodé. De telles découvertes sont à l'origine de rendements très importants mais sont extrêmement difficiles à trouver, étant donné la densité de cette jungle inexplorée.

Un dragage de surface. Photo Alasdair Baverstock

Exploitation minière en surface

Les pork-knockers qui n'ont pas les engins de forte puissance dont disposent les companies minières utilisent des méthodes plus rudimentaires pour extraire l'or, comme le dragage en surface.

Cette activité requiert de travailler en équipe pour creuser jusqu'à la couche d'argile, un procédé qui détruit par ailleurs la forêt tropicale. L'argile qui peut contenir de l'or est ensuite sablé à part avec un jet d'eau à forte pression. Ensuite, l'eau est pompée dans un bac à travers un tamis, et l'or, la matière la plus dense, se dépose au fond, tandis que les déchets s'écoulent.

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Puis, le mercure est remué avec ce qui reste, s'accrochant à l'or et l'extrayant du mélange. Le mercure est alors chauffé à 357°C, ce qui conduit à l'évaporation du mercure pour ne laisser que l'or.

La plupart des pork-knockers ne portent ni gants ni masques pendant cette manipulation très toxique. Les empoisonnements au mercure sont courants.

La dernière étape du dragage de surface, au cours de laquelle l'or se dépose au fond du plateau. Photo Alasdair Baverstock

Les pork-knockers travaillent du lever au coucher du soleil, faisant une pause d'environ une heure vers midi, quand la température frôle les 35°C. L'alcool et la marijuana sont consommés tout au long de la journée pour rompre la monotonie du dragage.

Une récolte abondante ne représente que 2 grammes d'or pour une tonne d'argile, qui vaut environ 100 dollars sur le marché noir. En une journée de travail de douze heures, environ une tonne et demie sont extraites grâce à ce processus. C'est là que se nichent les pépites d'or.

« Il m'est arrivé de trouver une pépite de 56 grammes », raconte à VICE News Roy Mendonca, un pork-knocker de 29 ans qui a commencé à travailler dans la jungle guyanienne depuis qu'il a 17 ans. « C'était après avoir passé quatre mois à travailler sans arrêt. Dès que je l'ai trouvée je suis parti à Georgetown. J'ai dit à tout le monde que j'avais la malaria, et plus tard j'ai raconté la vérité. »

Roy a des origines noires et amérindiennes, il est petit et costaud. Habitué à la vie de la jungle, il dit qu'il est plus à l'aise dans ce monde sauvage qu'à Georgetown, où il passe moins de quatre mois dans l'année avec sa femme et sa fille de six ans.

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« Je chercherai de l'or jusqu'à ce que ma condition physique m'en empêche », affirme-t-il, un grand sourire au lèvres tandis qu'il tire une latte de son troisième joint de la matinée.

La terre est pompée du sol par un outil de batée. Photo Alasdair Baverstock

Un gramme et demi

Plutôt que de parler d'argents en dollars et en cents, les pork-knockers parlent en termes de poids d'or. Un gramme et demi vaut environ soixante dollars.

Brian Crerar, ingénieur minier, ancien consultant chez BP Minerals estime au micro de VICE News que « le mineur indépendant vit au jour le jour. » « En général ce qu'ils extraient leur permet de vivre une journée. C'est rare qu'ils trouvent des veines mères et qu'ils fassent des profits. »

« On est tous copains quand personne ne trouve rien, » dit Roy, « mais si un pork knocker pénètre dans un bar et commence à acheter des bières, on sait qu'il a trouvé de l'or. C'est chacun pour soi. Il sera suivi jusqu'à son nouveau filon et s'il est plein d'or, il sera envahi en quelque jours, dès que ce sera connu. L'or, ça se cache pas. »

Il y a un prix pour lequel les marchands d'or révèleront ce que chaque pork-knocker leur a vendu. Si l'un d'entre eux n'a pas été vu depuis un moment, soit il est mort, soit il a trouvé un filon.

D'autres vont voir le batelier qui indique le bord de la rivière sur lequel le mineur chanceux a été vu pour la dernière fois.

Un pork-knocker marche à travers la dense forêt tropicale, à travers un site minier informel. Photo Alasdair Baverstock

La santé est un gros problème à l'intérieur des terres et en dépit de leur rivalité, les pork-knockers vivent selon un code. Un nouveau pork-knocker a le droit à la nourriture, à l'eau et à l'abri d'un autre groupe pendant trois jours. S'il est malade, les autres doivent le soigner.

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La malaria est monnaie courante, à cause des méthodes de dragage qui laissent des piscines d'eau stagnate : idéal pour les moustiques. « J'ai vu la malaria tuer un homme par jour, » raconte Roy.

Un collègue de Roy, après avoir travaillé tous les jours de la semaine, 12 heures par jour bien que présentant les symptômes de la malaria s'est présenté un matin en disant qu'il avait besoin d'être soigné. Les premiers soins étaient à un jour de voyage ; Roy a escorté son ami à travers la brousse, appelant un bateau par talkie-walkie pour qu'on vienne les chercher à la rivière la plus proche.

« Il est mort à une heure de la ville, » se souvient Roy, qui n'avait pas l'air troublé par ce souvenir. « La malaria est très forte, il faut connaître son corps. Il faut savoir s'arrêter quand on lui en demande trop. »

Une fois qu'on est infecté, la malaria reste dans le sang à vie.

« Si vous travaillez trop dans la brousse, vous attrapez la malaria, » dit Roy, qui a contracté la malaria cinq fois. « Si vous avez la grippe, vous attraperez sans doute la malaria en plus. Si vous faites trop la fête, parfois vous attrapez la malaria. »

En plus de la malaria, la fièvre typhoïde et la dengue sont aussi des dangers. Les pork-knockers qui prévoient des expéditions dans la brousse purgent leurs corps pendant des semaines avant, préfèrent les tisanes et l'exercice à l'alcool et à la marijuana, les vices qui les attendent dans la jungle.

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Les chutes Kaiteur, dans le parc national de Kaiteur  — une zone dévastée par l'exploitation minière. Photo Alasdair Baverstock

La tentation des mines est particulièrement forte pour les indigènes guyaniens. Les Amérindiens représentent moins de 10 pour cent des 750 000 habitants du Guyana et sont les seuls à pouvoir exploiter les mines des 627 km2 du parc national Kaiteur, qui abrite les chutes Kaiteur.

« Nos parents ne sont pas intéressés par l'exploitation minière, » me raconte George Yzami, un Amérindien de 23 ans de Chenapou. « Mais la jeune génération est très bien placée pour ce job. On connaît cette terre mieux que n'importe quel pork-knocker et on peut légalement creuser dans des coins auxquels ils n'ont pas accès. »

La plupart de l'or qui reste au Guyana finit derrière les barreaux des vitrines des bijoutiers dans le marché de Stabroek à Georgetown. Jerry Peters, qui nettoie les sols ici, m'a parlé de son propre trafic.

Après avoir passé le balai pendant cinq heures dans le marché, il embarque la poussière avec lui et la verse dans sa baignoire. Ainsi, il gagne environ 6 grammes et demi d'or par semaine, qu'il revend au marché.

« Je gagne 350 dollars de plus par semaine comme ça », me dit-il avec un sourire entendu. L'or, ça se cache pas. »

Suivez Alasdair Baverstock sur Twitter: @alibaverstock