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Russie

La Russie est « déçue » que l’Union européenne prenne mal cette histoire de liste noire

La Russie a diffusé une « liste noire » de personnalités politiques européennes interdites de territoire russe. Elles se seraient rendues coupables de « soutenir activement un coup d'État [en Ukraine] » selon le ministre des Affaires étrangères russe.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Wikimedia Commons / Alex Beltyukov

Ce lundi, la Russie — par la voix de son vice-ministre des Affaires étrangères, Alexeï Mechkov — a dit être « déçue » de la réaction de l'Union Européenne suite à la publication d'une liste noire de 89 personnalités politiques européennes interdites de séjour en Russie. Pour l'UE cette liste est « arbitraire et injustifiée ». Ces interdictions de territoire seraient une réaction aux sanctions de l'UE imposées à la Russie, suite à l'implication de celle-ci dans la crise ukrainienne qui court depuis novembre 2013. Pour le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, les personnes visées dans la liste auraient « soutenu activement un coup d'État [en Ukraine]. »

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La publication de cette liste est « à contretemps, » estime Pierre Verluise, contacté ce lundi après-midi par VICE News. Le chercheur, associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique et directeur du site diploweb.com, note que l'on semblait observer ces derniers temps « une désescalade, » notamment sur le terrain ukrainien avec une baisse du nombre de morts. En réalité, avec cette liste, on pourrait avoir franchi « un cliquet de plus dans la montée des tensions, » estime Pierre Verluise.

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De nombreuses rumeurs circulaient ces derniers mois quant à l'existence d'une telle liste, puisque des personnalités européennes s'étaient vues refuser l'entrée en Russie. Le dernier en date, le député allemand Karl-Georg Wellmann, avait reçu dimanche 24 mai une interdiction de rentrer en Russie jusqu'en juin 2019. À peine arrivé à l'aéroport moscovite de Sheremetyevo, le chef du groupe germano-ukrainien au Bundestag, avait dû reprendre le prochain vol vers Berlin.

Vendredi dernier, le Premier ministre hollandais, Mark Rutte, avait d'abord confirmé les suspicions évoquant l'existence d'une « liste de personnes qui ne peuvent plus entrer sur le territoire russe ». L'ambassadeur russe auprès de l'UE, Vladimir Tchijov, avait par la suite précisé l'existence de la liste et ajoutant que « personne n'y a été placé par hasard. »

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Si cette « liste noire » ne va pas changer grand-chose selon Pierre Verluise, « C'est néanmoins symboliquement important. Cela permet de montrer que la Russie n'est pas une victime, mais une puissance, » selon le spécialiste. Ce type de mesure fait office de « compensation symbolique » pour un peuple russe qui fait face à des difficultés économiques, explique Verluise. Les motivations qui préexistent à cette liste sont donc à la fois du ressort de la politique intérieure et extérieure.

Après l'annonce du Premier ministre néerlandais de vendredi, la Russie avait fait savoir, par la voix de Vladimir Tchijov, que rien ne les obligeait à « rendre la liste publique » craignant entre autres une « escalade des tensions » avec l'Ukraine. Mais, rapidement la liste a fuité dans la presse dans la journée de samedi. Le journal français Libération l'a entre autres publié sur son site.

La liste noire de Moscou contre l'UE publié par Liberation.fr

La Pologne est le pays qui compte le plus de représentants sur la « liste noire » avec 18 personnalités. Les pays baltes sont aussi massivement représentés, si bien qu'avec la Pologne, le triptyque Estonie, Lituanie, Lettonie comptent pour 50 pour cent des noms cités. Le Financial Times note que les pays les plus représentés ont eu une « attitude offensive avec la Russie pendant la crise ukrainienne. »

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Parmi les noms en vue sur la liste, on trouve aussi le patron des services de renseignements britanniques (MI5), Andrew Parker ou l'ancien vice-premier ministre du Royaume-Uni, Nick Clegg. Le président des eurodéputés, le belge Guy Verhofstadt, est lui aussi interdit de séjour par le Kremlin. Côté français, Daniel Cohn-Bendit est accompagné par l'intellectuel Bernard Henri-Lévy, le chef des députés socialistes à l'Assemblée, Bruno Le Roux, et le président du Comité économique et social européen, Henri Malosse.

Apprenant tour à tour leur présence sur la liste, des « blacklistés » se sont réjouis sur Twitter d'être en si bonne compagnie et certains ont réagi avec ironie comme, Guy Verhofstadt.

Sepp — Guy Verhofstadt (@GuyVerhofstadt)May 29, 2015

L'ex-eurodéputé Daniel Cohn-Bendit était quant à lui inquiet de ne pouvoir assister à la Coupe du monde, prévue en Russie en 2018, mais a trouvé la parade : sa carte de journaliste. Cohn-Bendit est aussi journaliste sportif. La Russie ayant reçu l'obligation d'accueillir tous les journalistes accrédités pour le tournoi international, l'ancien leader de mai 68 pourrait accéder au territoire russe par ce biais.

Bruno Le Roux, chef de file du PS à l'Assemblée nationale, estimait lui que l'ouverture d'une commission d'enquête sur le financement du Front National par une banque russe, pourrait lui avoir valu sa présence sur la liste. Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a prévu d'emmener Le Roux en Russie, le 18 juin prochain, pour une rencontre avec des homologues russes, risquant de se faire refouler à la frontière et d'annuler la rencontre.

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Lors d'une conférence de presse tenue ce lundi, le Ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a indiqué que ces interdictions étaient « proportionnées et même de moindre mesure par rapport aux sanctions unilatérales de l'UE. »

En juillet 2014, l'UE a imposé plusieurs types de sanctions à la Russie suite à l'implication russe dans la crise ukrainienne, notamment des sanctions économiques pénalisant les banques russes, et des interdictions de territoire européen pour des proches de Vladimir Poutine. Un embargo sur l'import et l'export d'armes avec la Russie avait aussi été mis en place, si bien que la France a finalement décidé, en mai, de refuser de livrer à la Russie deux Mistral (navires porte-hélicoptères) commandés en 2011.

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Pour le chercheur Pierre Verluise, cette liste « rend compliquée la désescalade des sanctions ». Le spécialiste estime néanmoins que l'UE ne devrait sans doute pas muscler les sanctions déjà imposées à la Russie. « Cela ne fait pas partie de l'ADN de l'UE. L'UE est un outil pour faire la paix et trouver des compromis, en faisant parfois des compromissions, » explique Verluise.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray 

Image via Wikimedia Commons / Alex Beltyukov