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Drogue

La Suisse pourrait bientôt fournir du cannabis à des mineurs pour les accompagner dans leur consommation

Cette mesure d’accompagnement fait partie d’un projet confidentiel examiné ce jeudi par les autorités de six villes suisses. Au coeur de cette initiative, la volonté d’amener les « jeunes en rupture » à maîtriser leur addiction.
Image via Flickr / Mark

Ce jeudi à Berne, des représentants de six villes suisses (Bâle, Berne, Genève, Thoune, Wintherthour et Zürich) se réunissaient pour examiner un projet confidentiel d'accompagnement des consommateurs de cannabis les plus « problématiques ». Parmi les mesures imaginées par certains experts, la fourniture d'une quantité quotidienne de cannabis — toujours illégal en Suisse — aux consommateurs mineurs, afin de les aider à maîtriser leur addiction.

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Les premiers détails de ce projet pilote ont été présentés par Sandro Cattacin, professeur de sociologie à l'Université de Genève, dans un entretien accordé au journal suisse Le Temps, publié ce jeudi matin.

Lui-même membre du groupe d'experts chargé de présenter différentes pistes aux autorités des villes partenaires, Sandro Cattacin a indiqué que ce projet repose pour l'instant sur l'accompagnement thérapeutique de consommateurs « volontaires » — soit 300 à 1 000 bénévoles qui devraient être suivis au sein d'associations créées pour l'occasion.

Nouveauté majeure dans les politiques d'assouplissement concernant le cannabis, ce projet vise à remplacer les dealers de drogue par les villes elles-mêmes, afin de perturber les marchés illégaux.

« D'un point de vue légal, c'est la seule possibilité qui existe en Suisse, car il s'agirait officiellement d'une expérience scientifique », nous explique Frank Zobel, directeur adjoint de la fondation privée Addiction Suisse, qui suit « de très près » ce projet pilote. Contacté par VICE News ce jeudi matin, Frank Zobel salue cette initiative qui pourrait, selon lui, notamment permettre d'accompagner les fumeurs de cannabis qui ont « perdu le contrôle ».

« Tout ce qui nous permet de sortir du statu quo et d'avancer vers une gestion intelligente de ce problème en Suisse est bon à prendre », nous dit-il.

Concrètement, ce projet permettrait à une équipe scientifique de suivre la consommation des habitants volontaires, tout en permettant à des associations de fournir une herbe plus saine, produite en Suisse, et dont le taux de THC — pour Tétrahydrocannabinol, la substance active du cannabis — serait strictement contrôlé.

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Dans un document de travail sur le cannabis datant de 2013 — auquel VICE News a pu avoir accès —, des responsables de plusieurs partis suisses proposaient « d'autoriser, pendant une période de trois ans, la culture, la distribution et la consommation de cannabis et de ses produits dérivés » dans le canton de Genève, sur le modèle des « clubs sociaux » qui existent en Espagne notamment.

« C'était la proposition initiale, il s'agissait de clubs fermés uniquement composés de producteurs et de consommateurs déclarés », nous explique Frank Zobel.

Toutefois, ce document de travail soulignait en conclusion que de telles « associations de consommateurs » réservées aux adultes auraient pour effet de voir « l'entièreté du marché noir se focaliser sur les mineurs et faire d'eux des spécialistes de commerce illicite ». L'adoption d'un âge minimum fixé à 16 ans, comme pour la consommation de bière et de vin en Suisse, faisait partie des propositions de ce groupe de discussion.

Pour l'heure, la culture de cannabis est strictement interdite en Suisse. Certains groupes en cultivent à des fins thérapeutiques même si cela reste illégal.

« Des discussions ont déjà eu lieu avec des agriculteurs suisses », nous indique Frank Zobel au sujet de la provenance de l'herbe qui pourrait être distribuée par ces associations. « Le cannabis n'est pas une plante très compliquée, elle pousse partout. Il y a des agriculteurs qui seraient intéressés par cette culture, c'est loin d'être le plus gros problème dans ce projet. »

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Dans son panorama des addictions 2016 publié le 8 février dernier, la fondation Addiction Suisse faisait état d'une consommation stable chez les jeunes Suisses, soit 6,9 pour cent des 15-34 ans qui déclaraient avoir consommé du cannabis durant le dernier mois. Elle s'inquiétait toutefois de la pureté en hausse des substances testées, ainsi que des fortes inégalités des amendes selon les cantons en Suisse.

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Bénéficiant d'un intérêt croissant de la part des collectivités locales, le projet pilote discuté ce jeudi à Berne comporte toutefois son lot d'incertitudes.

« Nous nous méfions des mesures qui pourraient déboucher sur un marché commercial, comme au Colorado [États-Unis] où la vente de cannabis a été légalisée », nous indique Frank Zobel, qui craint par ailleurs que des « groupes d'intérêt » ne se créent comme aux États-Unis « pour finalement demander moins de régulation, comme c'est le cas pour l'alcool et le tabac ».

Très active sur ce sujet au début des années 2000, la Suisse a connu une série de votes et de référendums qui ont à chaque fois vu s'exprimer le refus d'une quelconque légalisation du cannabis. Toutefois, depuis octobre 2013, la possession d'herbe ne fait plus l'objet de poursuites pénales dans ce pays, mais reste soumise à une amende de 100 francs suisses (environ 98 euros) tant que les quantités saisies ne dépassent pas 10 grammes.

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Ce jeudi en fin d'après-midi, les résultats de la réunion entre les six villes suisses et le groupe d'experts sur le cannabis n'avaient pas encore été communiqués.

L'examen de ce projet pilote à Berne intervient quelques semaines avant l'ouverture à New York d'une session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'ONU (UNGASS), lors de laquelle les pays membres et de nombreuses ONG devront se mettre d'accord sur la manière dont les Nations Unies traiteront les affaires liées à la drogue pour les trois années à venir.


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