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Crime

L’accès au porno en prison doit-il être un droit fondamental ?

Le mois dernier, la ministre du Québec de la Sécurité publique Lise Thériault a promis de réprimer l’accès des détenus aux films « érotiques » en installant le contrôle parental sur les chaînes de la prison.
Image via Flickr Creative Commons

Le mois dernier, la ministre du Québec de la Sécurité publique Lise Thériault a promis de réprimer l'accès des détenus aux films « érotiques » en installant le contrôle parental sur les chaînes de la prison. Cette interdiction vient en réponse à certains rapports faisant état du fait que les prisonniers du centre de détention d'Amos, au Québec, regardaient du porno tard la nuit.

L'idée que des personnes (hommes ou femmes) incarcérées puissent être autorisées à profiter un peu de films pornos rebute apparemment le gouvernement québécois.

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« J'étais horrifiée que cela existe, » a déclaré Theriault à des journalistes.

La sexualité en prison est un sujet controversé, et les rares études qui explorent le sujet se concentrent plutôt sur l'impact des visites conjugales ou sur les relations consenties entre personnes du même sexe qui se développent derrière les barreaux. Le consensus général qui en ressort reste toutefois qu'aider les détenus à soulager leurs pulsions sexuelles peut permettre une réduction des violences et des viols en prison. Malgré tout, beaucoup de gouvernements dans le monde refusent d'offrir aux prisonniers le "privilège" de regarder ce genre de vidéos.

La juge française Nina Califano, auteure de Sexualité incarcérée, Rapport à soi et rapport à l'autre dans l'enfermement (L'Harmattan, 2012), a écrit l'une des analyses les plus complètes sur le sujet et elle explique à VICE News que l'approche qu'on en a est erronée.

« La sexualité est un besoin basic qui ne s'en va pas lorsque vous êtes incarcéré, » dit-elle. « La prison peut être incroyablement frustrante : vous ne pouvez pas ouvrir les portes vous-même, vous ne pouvez pas voir ceux que vous aimez. Donc les conséquences de l'absence de sexualité sont considérables. »

Selon Nina Califano, permettre aux détenus d'assouvir leurs besoins — à travers une stimulation érotique visuelle et la masturbation — fait plus que calmer les prisonniers derrière les barreaux ; c'est aussi une manière importante d'assurer aux hommes et aux femmes une réintégration dans la société, une fois leur peine purgée. Elle dit que les détenus qui quittent la prison sont soutenus pour retrouver du travail et un logement, mais que très peu de choses sont faites pour les réhabiliter sur le front social.

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« Le manque émotionnel et le manque de relations sexuelles [en prison] sont vraiment problématiques lors de la réinsertion, » explique-t-elle. « C'est comme une bombe à retardement, si l'on prétend que cela n'existe pas. » Califano ajoute que si les supports pornographiques ne sont pas la panacée, « C'est le seul levier qui rend possible l'expression d'une sorte de sexualité en prison. »

L'hiver dernier, le détenu québécois Haris Naraine s'est battu contre la décision de la prison d'interdire deux chaînes de télévision qui diffusent du contenu sexuellement explicite. Le verdict souligne le fait que le commissaire du Service correctionnel du Canada (CSC) a interdit ce programme pour « maintenir un environnement sûr et sain. »

« Il a été considéré que du matériel sexuellement explicite sapait l'idée de dignité chez une personne, et dans le cas précis, particulièrement [la dignité] des officiers de l'administration pénitentiaires femmes, » dit le rapport.

Haris Naraine a porté son dossier devant une cour fédérale, expliquant qu'il avait payé pour ce contenu, et invoquant le droit constitutionnel à la liberté d'expression. Le juge est allé dans le sens du détenu, considérant que l'interdiction pouvait dans les faits s'apparenter à une entrave aux droits de Naraine définis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Son avocat Todd Sloan a dit que du point de vue des droits de l'homme, les prisonniers devraient pouvoir regarder les mêmes programmes que le reste de la société. « Les gens vont en prison parce que c'est là leur punition, ils ne vont pas en prison pour y être punis, » dit-il. « Ils entrent avec les droits qu'ils ont à l'extérieur, sauf dans les cas où ils sont restreints par nécessité. »

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Todd Sloan dit que la décision du CSC de dire non au porno n'est pas justifiée : « On a entendu que l'accès au [porno] conduirait à du harcèlement et à une atmosphère d'hostilité au sein du système pénitentiaire, mais on n'a pas relié ces différents points à des preuves logiques, » dit-il. « Ils n'ont pas présenté d'exemples, ils ont juste dit « Cela existe et voilà ce que cela produira d'après nous ». »

Lorsque nous avons demandé quelles études avaient motivé la décision de Thierault, sa porte-parole Émilie Simard nous a dit que la décision était « administrative. »

« Des personnes estiment que les coupables de crimes sexuels pourraient avoir accès [à du contenu pornographique] et que cela pourrait les affecter, » dit Sloan. « Personnellement, pour avoir suivi la question des prisons pendant 30 ans, il me semble que ce genre de disposition est quelque chose qui contribue à un environnement plus apaisé. »

Nina Califano explique que pour les élus, se lancer sur la question de la sexualité en prison est un pari risqué sur le plan politique. « La qualité de vie des prisonniers n'est pas quelque chose qui va influer positivement sur les sondages, » dit-elle. « Les gens ont un avis inquiet à propos de ce que la prison devrait être, ils ne veulent pas que cela soit l'hôtel. »

Selon elle, il est temps que médecins et psychiatres s'expriment. « Si vous demandez à des experts quelle est l'importance de la sexualité, en prison ou non, ils vous diront qu'elle est primordiale, » dit-elle.

Pour Todd Sloan, un bon début ce serait de mettre au point des lignes directrices. « Ils devraient s'asseoir et trouver un moyen de réguler ce genre de choses. Je ne parle pas de sanctionner ou d'interdire, mais des procédures devraient être mises en place. »

Suivez Brigitte Noël sur Twitter :@Brige_Noel

Image via Flickr user miss_millions