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Crime

Le Canada traque les sextos d'ados qui vont trop loin

Le premier mineur jugé pour pédo-pornographie dans le cadre d'une affaire de sexto vient de recevoir sa condamnation.
Image via Pro Juventute

Quand une fille de 16 ans originaire de Saanuch, en Colombie Britannique, a regardé le téléphone de son petit copain en 2013 et a vu que son ancienne petite amie lui envoyait des photos d'elle nue par texto — on parle alors de sexto —, elle s'est énervée et est devenue jalouse. Puis elle a envoyé les images de l'ex-petite amie nue à une connaissance par texto et Facebook.

Cette décision a eu des conséquences dévastatrices, transformant une jeune fille brillante et ambitieuse en paria, considérée comme pédophile par toute la ville.

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Après avoir arrêté la jeune fille avec ses photos, la police les a saisies et l'a poursuivie pour possession et distribution de contenus pédopornographiques, car l'ancienne petite copine prise en photo était mineure quand ces photos ont été prises.

En janvier 2014, la jeune fille poursuivie, dont le nom ne peut être divulgué car elle était également mineure au moment où elle a commis les faits, est devenue le premier mineur coupable de pédopornographie au Canada. Quand elle attendait encore la sentence, cette jeune fille était sous le coup de plusieurs contraintes judiciaires, comme l'interdiction d'utiliser Internet sans la supervision d'un adulte désigné responsable.

La semaine dernière, soit deux ans après sa première inculpation, elle a finalement reçu sa condamnation : six mois de prison avec sursis. Lors de l'audience du lundi 27 avril, le juge a déclaré que l'adolescente évitera la prison si elle continue de se présenter à son conseiller de probation, si elle ne va pas sur Internet sans surveillance et si elle rédige une lettre d'excuses à la victime.

Alors que la jeune fille, maintenant âgée de 18 ans, et sa mère sont soulagées du fait qu'elle n'aille pas en prison, elles sont encore sous le choc de cette épreuve qui a bouleversé leurs vies. « Elle était une jeune fille très active, extravertie et forte, » témoigne sa mère Rebecca, jointe par VICE News après que la condamnation a été prononcée. Elle est passée du statut d'élève populaire, avec de nombreux amis et une passion pour le sport et la photo, à une situation d'échec scolaire où elle a failli ne pas avoir son année, en plus d'être harcelée à l'école.

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Bien que son identité ne devait pas être révélée lors de la procédure criminelle, vu qu'elle était mineure, quelqu'un a ébruité l'affaire sur les réseaux sociaux. Les élèves de son lycée ont commencé à se moquer d'elle, raconte sa mère. Ils la traitaient de pornographe et de pédophile. Quand elle ne pouvait plus supporter la situation, elle a été transférée d'école en école et essayait de faire profil bas.

Son histoire fait partie des cas, de plus en plus nombreux dans le monde, qui illustrent la tension entre les lois destinées à protéger les enfants d'abus sexuels et les nouvelles réalités de l'expression sexuelle adolescente.

Les mesures instaurées par la nouvelle loi anti-harcèlement en ligne (le projet C-13), entrée en application le mois dernier, interdisent le partage « d'images intimes » de personnes sans leur consentement. Cette nouvelle loi intervient bien après la condamnation de l'adolescente de Saanuch et fait suite à une autre affaire très médiatisée qui concernait Rehtaeh Parsons, une adolescente de Nouvelle Écosse qui s'est suicidée en 2013 après que des images sexuellement explicites d'elle ont circulé dans son entourage. À l'époque, les autorités canadiennes s'efforçaient de répondre au plus vite à l'avènement des sextos.

Depuis 2009 environ, des dizaines d'adolescents canadiens — dont certains âgés de 13 ans — ont été cités dans des affaires de pédopornographie après avoir reçu ou envoyé des sextos contenant des photos dénudées d'autres personnes ou d'eux-mêmes. L'année dernière, dans la province de l'Ontario, cinq ados ont été arrêtés pour des sextos (trois dans le comté de Norfolk et deux dans la région de Woodstock) et poursuivis pour possession et distribution de contenus pédopornographiques.

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En avril, un groupe d'enfants d'une école primaire a fait l'objet d'une enquête de police. Ils auraient partagé des photos d'eux dénudés sur leurs téléphones portables et leurs Nintendo DS. Un porte-parole de la police a déclaré qu'aucune accusation n'a été retenue contre ces enfants, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient.

Aux États-Unis, ces dernières années, un nombre incalculable de jeunes a été poursuivi et condamnés pour des faits liés à la pédopornographie après avoir « sexté », même quand ils prenaient des photos d'eux-mêmes.

L'Australie est l'un des premiers pays à avoir porté des accusations de pédopornographie à l'encontre des adolescents qui s'adonnaient aux sextos. 32 ados ont été poursuivis pour cela en 2007. En août dernier, l'état de Victoria a déposé une nouvelle loi qui rendrait illégal le partage d'image sexuellement explicite de quelqu'un sans son consentement, tout comme la loi canadienne contre le harcèlement en ligne. Si cette loi était adoptée, aucun mineur de l'état de Victoria ne pourra être condamné pour pédopornographie dans une affaire de sextos.

Mary Anne Franks, est professeure de droit à l'université de Miami, spécialisée dans les affaires de harcèlement en ligne. Contactée par VICE News, elle estime que la nouvelle loi adoptée au Canada est meilleure que la plupart des lois sur le harcèlement en ligne et le sexting adoptées dans 17 des états américains, et qu'elle est préférable aux poursuites pour des crimes pédopornographiques. Le New Jersey, par exemple, a amendé sa loi pour que les adolescents pris en flagrant délit de « sexting » ne soient pas poursuivis pour pédopornographie la première fois. Les adolescents de Virginie pourront, eux, être envoyés, dans un programme alternatif pour leur première infraction.

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« Les clauses [canadiennes] qui évoquent le partage non-désiré définissent bien le crime et sont claires sur ce qui est interdit, » estime Mary Anne Franks. La nouvelle loi stipule que toute personne, y compris les adultes, qui partage une « image intime » (définie comme un « enregistrement photographique, sur film, ou vidéo dans lequel une personne est entièrement ou partiellement nue) sans le consentement du créateur peut être condamné à cinq ans de prison.

« Quand un adolescent transfère une image d'un autre adolescent sans son consentement, c'est faux de qualifier cela de pédopornographie. Le problème n'est pas là. Le problème c'est le fait que ce comportement ne soit pas consensuel, » poursuit Mary Anne Franks. Elle ajoute qu'il est encore difficile d'affirmer que cette nouvelle loi n'engendrera pas de poursuites pour pédopornographie contre des adolescents, mais que c'est une étape dans al bonne voie.

Pour elle cependant, le simple fait que les forces de l'ordre soient impliquées dans ces affaires est le signe que les parents et les professeurs n'ont pas fait leur travail d'éducation pour que les plus jeunes aient des relations saines. « La formation et l'éducation doivent commencer le plus tôt possible, pour les garçons et les filles, afin d'insister sur le fait que cette activité de nature sexuelle est le genre de choses où un consentement sans ambiguïté est nécessaire, » estime-t-elle.

Rebecca, la mère de l'adolescente de Colombie Britannique condamnée, a déclaré que sa fille ferait appel de sa condamnation car elle pense également que les poursuites pour pédopornographie étaient inappropriées dans son cas, et parce qu'elle veut fixer un précédent juridique.

Rebecca espère qu'un appel de la condamnation de sa fille débouchera sur une décision qui empêchera les autres adolescents canadiens d'être poursuivis pour des faits de pédopornographie dans des affaires de sexting. « Il y a des dégats qui viennent automatiquement avec le fait d'être qualifié de pédopornographie, » explique Rebecca. « Ce n'était pas une affaire de gratification sexuelle. Nos lois sur la pédopornographie sont faites pour protéger les enfants contre les prédateurs sexuels et ma fille n'est pas un prédateur. »

Suivez Rachel Browne sur Twitter: @rp_browne

Photo via Flickr