FYI.

This story is over 5 years old.

Société

Le casse-tête du financement des nouvelles mosquées de France

La France, pays qui sépare strictement l’Église et l’État, voudrait pourtant avoir un droit de contrôle sur les sources de financement des lieux de prière musulmans.
Image via Wikimedia Commons / Jebulon

Le recteur de la Grande Mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Dalil Boubakeur voudrait doubler le nombre de mosquées en France d'ici deux ans. S'exprimant à la tribune du Rassemblement annuel des musulmans de France, organisé ce week-end au Bourget, en région parisienne, par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), Dalil Boubakeur a déclaré : « Il y a beaucoup de salles de prières, de mosquées inachevées, et il y a beaucoup de mosquées qui ne sont pas construites, je pense qu'il faut le double de mosquées. » La déclaration du président du CFCM a fait l'objet de réactions épidermiques de la part du Front National (FN). Elle pose également la question du financement des lieux de cultes dans un pays régit par une stricte séparation de l'Église et de l'État.

Publicité

La proposition de Dalil Boubakeur, qui évalue à 7 millions le nombre de musulmans en France et à 2 200 le nombre de mosquées sur le territoire français a été appuyée par le président de l'UOIF, qui voudrait que « le nombre de mosquées reflète le nombre de musulmans. » Cette revendication est difficile à chiffrer, la France n'autorisant pas les statistiques ethniques et religieuses. D'après un récent rapport du Sénat sur Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, qui se base sur des études de chercheurs, entre 2,1 millions et 5 millions de la population française se réclamerait de l'islam. Selon des estimations chiffrées du ministère de l'Intérieur (qui n'en fait donc pas une statistique officielle), il y aurait environ 2 millions de pratiquants musulmans qui auraient à leur disposition 2 450 lieux de culte inégalement répartis sur le territoire.

Certaines mosquées, comme le dit Dalil Boubakeur, restent « inachevées », souvent faute d'investissements. La construction de la Grande Mosquée de Marseille par exemple, promise en 2001 par le maire de la ville, et dont le terrain a été alloué en 2006, est au point mort depuis cinq ans. Il manque 2millions d'euros à l'association la Mosquée de Marseille, en charge de la construction de l'édifice. Abderrahmane Ghoul, le président de l'association expliquait mi-mars à Libération sa réticence à accepter des financements étrangers, pour ne pas perdre son indépendance.

Publicité

Le financement étranger des mosquées

Au lendemain de l'attentat du musée du Bardo à Tunis, Marine Le Pen, présidente du FN, a demandé que la construction de toutes les mosquées soit gelée en France, jusqu'à ce que l'origine de leurs financements soit établie, avait-elle argué. Ce lundi, son vice-président Florian Philippot a réagi à la demande de Dalil Boubakeur d'augmenter le nombre de lieux de culte musulmans. « Je crois que ce n'est pas motivé par le besoin de mosquées mais par les règles internes du CFCM, […] plus vous avez de mètres carrés de mosquées, plus vous avez d'influence", a-t-il déclaré sur I-Télé. « On sait qu'il y a un jeu d'influence entre les pays étrangers qui financent les mosquées, l'Algérie, le Maroc, l'Egypte, l'Arabie saoudite, » selon Florian Philippot, qui a même été jusqu'à déclarer que « Toutes les mosquées ne sont pas des lieux de radicalisation mais 100 % des lieux de radicalisation sont des mosquées. »

La question des financements étrangers des mosquées n'a pas échappé au gouvernement français. Le 3 mars dernier, en déplacement à la Grande mosquée de Strasbourg, le Premier ministre a déclaré vouloir mettre fin à cette pratique. « Nous souhaitons que des solutions existent en France lorsque des responsables cultuels cherchent un soutien et des moyens pour construire un lieu de culte ou un centre culturel. Je souhaite que ce réflexe consistant à demander le soutien d'États étrangers se perde, » avait alors dit Manuel Valls.

Publicité

Dans son discours de samedi, Dalil Boubakeur n'a pas abordé la question, centrale, du financement de ces mosquées qu'il appelle de ses voeux. Contacté par VICE News sur ce sujet, il n'était pas disponible pour nous répondre. En vertu de la loi de séparation des Églises et de l'État - qui assoit le principe de la laïcité à la Française, c'est à dire le fait que la République ne doit privilégier ni ses citoyens croyants, ni ses citoyens athées - la France ne peut pas financer de lieu de culte : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, » ordonne la loi de 1905.

Les lieux de culte musulmans prennent différentes formes, depuis des édifices religieux traditionnels jusqu'à des gymnases mis à disposition par les autorités locales. Les maires doivent souvent faire preuve d'imagination pour faire des entorses à cette loi, comme à Sarcelles par exemple, où le maire de la ville François Pupponi a vendu un terrain pour un euro symbolique pour permettre la construction d'une mosquée.

Pour pallier le manque de sources d'argent alloué à la construction d'édifices religieux, les associations font souvent appel à des donations étrangères pour financer des mosquées en France. Le chantier de la mosquée de Roissy-en-Brie, en Seine-et-Marne, a par exemple pu avancer grâce à un don de 1,8 million d'euros de la part du sultan d'Oman à l'association en charge du projet. Depuis une dizaine d'années le Maroc finance également des mosquées en région parisienne.

Publicité

La France n'est pas le seul pays d'Europe à interroger ces investissements étrangers. En Autriche, au nom de la lutte contre la radicalisation musulmane, le parlement a voté une loi interdisant le financement étranger des imams et des lieux de cultes musulmans. Sans aller aussi loin, le rapport du Sénat cité plus haut préconise plus de transparence à cet égard.

« Le pari de la laïcité c'est l'universel »

D'après ce même rapport du Sénat, 97 pour cent des maires de France ne voient pas la construction de nouveaux lieux de culte comme une « nécessité ». Pour le philosophe Henri Pena-Ruiz, auteur du Dictionnaire amoureux de la Laïcité, il n'y a pas d'argument qui tienne pour justifier que l'État fasse une entorse à la loi de 1905 pour financer des mosquées.

« La laïcité part d'un constat, que parmi les hommes il y a des croyants des diverses religions, des humanistes athées qui croient dans l'humanité sous un ciel vide, et des agnostiques, qui ne se prononcent pas sur l'existence de Dieu, » explique à VICE News le philosophe, qui explique qu'en vertu de ce principe, la République ne doit pas privilégier ni la religion, ni l'athéisme : « Le pari de la laïcité c'est l'universel, c'est de dire la République répond aux besoins de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions grâce à des services publiques gratuits. »

À l'automne prochain, le financement des lieux de culte fera l'objet d'un débat parlementaire et d'une proposition de loi.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Image via Wikimedia Commons / Jebulon