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Crime

Le « comptable d'Auschwitz » demande pardon lors de son procès

Oskar Groening, 93 ans, est poursuivi non pas pour meurtre, mais pour complicité, ce qui témoigne de la récente évolution dans la manière dont l’Allemagne enquête et juge les crimes nazis.
Photo par Markus Schreiber/AP

Ce mardi, 70 ans après la libération d'Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale, a débuté en Allemagne le procès d'un ancien nazi âgé de 93 ans.

Oskar Groening est l'un des derniers SS nazi encore en vie. Il comparaît pour faire face à des accusations portant sur son rôle dans la Shoah. Il a parlé au début du procès, reconnaissant une culpabilité morale, mais ajoutant que c'était aux procureurs de déterminer sa culpabilité sur un plan légal.

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"Je demande pardon," dit-il aux juges. "Je partage une culpabilité morale, mais concernant la question de la responsabilité pénale, ce sera à vous de décider."

Groening est connu pour avoir été le "comptable d'Auschwitz", il est accusé de complicité de meurtre aggravé de 300 000 personnes. Cet ancien responsable de l'administration du camp est apparu en 2005 dans un documentaire de la BBC « Auschwitz : les Nazis et la solution finale ». Dans ce documentaire, il reconnaissait avoir assisté au massacre systématique et aux mauvais traitements des prisonniers d'Auschwitz, où son travail était de collecter l'argent qu'ils avaient emmené avec eux.

« J'ai vu les chambres à gaz. J'ai vu les fours crématoires. J'ai vu les fosses où l'on brulait les corps. J'étais sur la rampe où les sélections [pour les chambres à gaz] s'effectuaient, » déclarait M. Groening dans le documentaire, appelant au rejet du négationnisme. « J'aimerais que vous croyiez que ces atrocités ont eu lieu, car j'étais là. »

Quatorze survivants sont attendus pour témoigner dans ce qui pourrait être un procès de plusieurs mois, au cours duquel M. Groening sera appelé à s'expliquer sur son rôle dans la Shoah.

Le fait que M. Groening ne soit pas accusé d'avoir tué qui que ce soit, mais qu'il soit poursuivi pour complicité, est dû à une évolution récente de la manière dont l'Allemagne enquête et juge les crimes de la guerre, selon Lawrence Douglas, professeur de droit au Amherst College, contacté par VICE News. Il est également l'auteur d'un livre à paraître sur les dernières poursuites judiciaires concernant un ancien nazi, The Right Wrong Man : John Demjanjuk and the Last Great Nazi War Crimes Trial.

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« Pendant longtemps, le système judiciaire allemand n'était même pas en mesure de juger des personnes comme Oskar Groening, » explique M. Douglas. « Mais cela a changé avec la condamnation de Demjanjuk, qui a rendu possible une nouvelle théorie juridique permettant de juger des protagonistes aux responsabilités relativement inférieures. »

John Demjanjuk vivait aux États-Unis quand il a été extradé vers Israël dans les années 1980 pour son procès, alors qu'il avait été identifié comme un garde assoiffé de sang, surnommé « Ivan le Terrible », qui a travaillé au camp d'extermination de Treblinka, en Pologne. Bien que déclaré coupable, la Cour suprême israélienne l'a acquitté en 1993, après l'apparition de nouvelles pièces à conviction.

M. Demjanjuk a passé le plus clair de la décennie suivante dans des tribunaux pour ne pas être extradé en Allemagne, après l'apparition de nouveaux chefs d'inculpation attestant de son rôle comme garde du camp d'extermination de Sobibor. Finalement, en 2011, il a été extradé et reconnu coupable de complicité de meurtre sur 28 000 personnes, à 91 ans. Durant les 18 mois de son procès, il est souvent apparu en chaise roulante et parfois alité. M. Demjanjuk a été condamné à cinq ans de prison et est mort en attendant l'arrêt de la cour d'appel, qui l'a bizarrement innocenté.

Après que l'affaire Demjanjuk a permis de juger d'autres participants de moindre importance à la Shoah, les procureurs se sont mis à poursuivre des responsables présumés pendant qu'ils étaient encore vivants. Une trentaine de dossiers ont été rouverts, mais seulement trois ont pu être menés à terme, explique Lawrence Douglas. L'un de ces trois dossiers concerne Oskar Groening.

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« C'est la 23eme heure, » explique à VICE News Deborah E. Lipstadt, une universitaire spécialiste de l'Holocauste de l'université d'Emory. « Il y a ceux qui disent que c'est un vieil homme — laissez le tranquille, ne l'embêtez pas — mais c'est important de se souvenir qu'ils se sont attaqués à des vieilles personnes et à des bébés, et à des personnes qui ne pouvaient pas se défendre. C'est la justice. »

Groening a « ouvertement reconnu avoir servi en tant qu'officier SS, » remarque-t-elle. « Sa franchise sera probablement prise en compte par la cour. »

Le prévenu a été salué pour pour avoir reconnu son rôle. Il prouve ainsi aux négationnistes qu'ils ont tort. Douglas comme Lipstadt estiment que ça fera une différence dans son procès.

« Oskar Groening va témoigner, » dit Douglas. « Il y a une célèbre citation, d'un juif allemand, des années soixante, qui a dit, durant un procès [de l'Holocauste] qu'il avait attendu que le prévenu prononce un seul mot humain, et que ce mot aurait tout changé. Ce sera très intéressant de voir si Groening, qui est très honnête sur son implication, a une réflexion émouvante et réfléchie. »

Le procès sera dirigé par trois juges et deux « assesseurs » qui se comportent comme des jurés mais qui auront un rôle moins important quand il s'agira de prononcer la culpabilité, nous explique Douglas. Il remarque que c'est le dernier d'une petite série de procès des membres du partis Nazi depuis que la guerre a pris fin il y a 70 ans.

« Dans la période d'après-guerre, l'Allemagne était réticente à faire le procès d'anciens Nazis, » explique Douglas. « Sans vouloir donner d'explication simpliste, le fait est que dans les années 1970, le système judiciaire allemand était plein d'anciens Nazis, et très peu de gens voulaient que ces affaires avancent. »

Entre temps, des milliers d'enquêtes ont été lancées par l'office central, le corps d'enquêtes de l'Allemagne, mais elles n'ont aboutit que sur « un très petit nombre de procès, et un nombre encore plus petit de condamnations, » dit Douglas. « Que [l'Allemagne] continue de faire des procès 70 ans après les faits nous rappelle à quel point l'histoire est semée d'embuches, et à quel point c'est difficile d'accepter son histoire. »

Suivez Colleen Curry sur Twitter: @currycolleen