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Crime

Le mec de Jacqui était un policier infiltré chargé de l'espionner. Il lui a fait un bébé.

VICE News a rencontré Jacqui, séduite et surveillée pour ses activités militantes de défense des droits des animaux.
Bob Lambert à une manifestation devant le Dorchester Hotel en 1984. Photo via London Greenpeace.

« Jacqui » a une écharpe rose vif autour du cou. Ses cheveux longs sont teints en noir. Elle vient tout juste d'obtenir 539 000 euros de la part de la police londonienne. Une compensation pour le traumatisme qu'elle a vécu en découvrant que le père de son enfant était un policier infiltré chargé de l'espionner.

VICE News a rencontré Jacqui dans le bureau de son avocat à King's Cross, à Londres. Elle dit se sentir soulagée, mais attend toujours des réponses.

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« Pourquoi étais-je visée ? Comment ? Quelles informations avaient-ils sur moi, et pourquoi ? » demande-t-elle. « Et je veux savoir ce qu'il s'est vraiment passé. Par exemple, quand j'étais en train d'accoucher, pendant 14 heures, est-ce que ça comptait comme des heures supplémentaires pour lui ? Est-ce qu'il faisait un rapport sur la moindre de mes contractions ? Qu'est-ce qu'ils savaient sur moi ? »

Elle a rencontré Bob Lambert - qui travaillait à l'époque sous le nom de Bob Robinson - en 1983. Jacqui avait 22 ans, et elle était très engagée pour les droits des animaux. Lambert était nettement plus vieux, mais il lui a fait la cour, au départ en lui proposant de la déposer à la maison après les manifestations.

Après quelques réticences, Jacqui est tombée amoureuse de Lambert, et ils sont restés plusieurs années ensemble.

« C'était mon premier amour, ma première grossesse, la première fois que je donnais la vie, et il est resté à mes côtés jusqu'à ce que notre fils ait deux ans, » raconte-t-elle. « Il était investi dans son rôle de père, et je sais que c'est un drôle de détail, mais on avait même un chat, on avait un vrai foyer. »

Jacqui raconte qu'elle a appris depuis que l'unité de police de Lambert fonctionnait selon la méthode des « nageurs profonds », ce qui veut dire qu'il n'était libéré de sa mission que très rarement pour quelques jours.

« Il disparaissait beaucoup, mais c'est une époque où l'on n'avait pas de téléphones portables, où l'on ne pouvait pas suivre les gens comme on le fait aujourd'hui. Il disait qu'il partait sur des actions pour les animaux, » se souvient Jacqui. « Une fois que le bébé est né, j'étais submergée par la maternité… Il partait pour des "actions", comme il disait, où il lui aurait été impossible de prendre le bébé. »

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Lambert a rejoint les forces de police en 1977 à l'âge de 25 ans. Trois ans plus tard, on l'a muté dans une branche d'élite, puis il a été embauché par la brigade spéciale manifestations, une unité top-secrete qui espionnait des militants.

À l'époque, Jacqui raconte que le mouvement pour les droits des animaux provoquait des désordres depuis un certain moment.

« On était dans les 50 000 à se rassembler et on emmerdait l'ordre établi, mais personne n'a jamais été blessé, on n'a jamais été violents, » dit-elle. « En revanche, on a fait des dégâts sur le plan économique. »

À mesure que le mouvement gagnait de nouveaux militants et progressait sur le terrain, l'État s'y intéressait de plus en plus. À la question de savoir dans quelle mesure elle était au courant de la présence de policiers infiltrés, Jacqui a répondu : « Bob était celui qui en parlait tout le temps. Une fois, il a écrit un papier pour notre bulletin d'information… Il a écrit un article intitulé « Comment repérer un agent infiltré ». Et il me répétait tout le temps que je devais être plus prudente, que je devais faire attention à ce que je disais, que je ne pouvais pas faire confiance à un tel, que j'étais trop ouverte… Il a désigné une personne en particulier comme étant un informateur de la police, et m'a fait le répéter à tout le monde. Nous avons tous ostracisé cette personne. Mais c'était Bob qui était l'ennemi intérieur. »

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Jacqui soutient que l'État n'est pas le seul a avoir surveillé leurs rassemblements, et que des sociétés comme McDonald embauchaient des « espions industriels » pour les infiltrer aussi. Elle affirme qu'il y avait, à certains moments, plus d'espions industriels et de taupes de la police que de militants durant les rassemblements.

En 1987, les militants ont pris pour cible trois magasins Debenham après que la chaîne de supermarché a refusé d'arrêter de vendre de la fourrure. L'attaque d'un magasin de Harrow en banlieue londonienne avait causé près de 430 000 euros de dégâts, d'après le Guardian. Geoff Sheppard et Andrew Clarke furent envoyés en prison pour leur participation à l'action grâce au témoignage de Lambert. Il a ensuite dit à Jacqui qu'il devait partir en cavale pour ne pas se faire arrêter.

« Il disait toujours qu'il me contacterait dès qu'il le pourrait, que jamais il n'abandonnerait son propre fils. Et c'est exactement ce qu'il a fait » témoigne Jacqui.

Jacqui a essayé de retrouver la trace de Lambert, mais ses recherches n'ont pas abouti. Elle a finalement abandonné tout espoir de son retour. Elle s'est remariée et a eu un autre enfant, son second mari est mort brutalement lorsqu'elle avait 31 ans.

Abattue, elle est retournée à l'université. Elle dit « avoir adoré ça, et y être restée huit ans. » Jacqui est aujourd'hui conférencière.

En juin 2012, Jacqui a ouvert le journal Daily Mail pour tomber nez à nez avec Lambert. L'article racontait clairement qu'il était un ancien agent infiltré, qui travaillait dans les années 1980. Il admettait avoir eu un enfant avec une militante. Après presque 25 ans sans nouvelles, elle a eu l'impression que son monde s'effondrait.

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« Ce dont je me rends compte à présent c'est que le temps qu'il passait avec moi, c'était son travail. Quand je pensais qu'il était au travail, il n'était pas au travail, puisque son travail, c'était notre vie quotidienne, » raconte-t-elle. « Mes parents le traitaient comme leur beau-fils. Ma soeur comme son beau-frère. Il était sur nos photos de famille, et en fait, c'est un fantôme. Il s'avère qu'il n'est rien. »

À présent, Lambert est un expert en islamophobie. Entre 2002 et 2007, il dirigeait l'unité de Scotland Yard en charge des contacts avec les Musulmans. Depuis 2006, il enseigne dans les universités de St. Andrews et d'Exeter. Après que son passé a été mis à jour en 2011, il s'est mis à parler avec des journalistes. Dans l'émission Dispatches, sur la chaîne anglaise Channel 4,il a déclaré : « Le travail d'un officier infiltré est complexe, dangereux et sensible. Cela prenait un temps considérable et il fallait toute la coopération de la police, mes anciens employeurs, pour obtenir tout le contexte et les détails nécessaires à mes missions. »

Dans une autre interview, il dit : « Avec le recul, tout ce que je peux dire c'est que je regrette sincèrement mes actions. Je m'excuse auprès des femmes touchées… Ma réputation restera la même pour de nombreuses personnes, et je ne pense pas qu'il devrait en être autrement. J'ai fait de graves erreurs que je regrette, et la seule consolation que j'ai vis-à-vis de ma carrière dans la police, c'est d'avoir appris de mes erreurs. »

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Il a été arrêté au moins quatre fois quand il vivait sous une fausse identité, a-t-il confié à Channel 4. 

Quelle part de sa relation avec Jacqui a été contrainte, jouée par cet homme ? Jacqui dit qu'elle et d'autres femmes dans le même cas se sont retrouvées pour en parler, se rendant compte qu'elles avaient toutes été séduites de la même manière. « La façon dont on s'est rencontré : ils avaient des vans, ils offraient de nous déposer, leurs cartes de Saint Valentin, leur façon de disparaître tout à coup puis de vous poursuivre encore et encore, » explique-t-elle.

Elle dit avoir essayé d'obtenir des réponses de Lambert, mais il ne lui a donné aucune explication.

« Était-ce parce que j'étais vulnérable ? » se demande-t-elle. « Je suis partie de la maison à 17 ans. J'étais jeune. J'étais complètement seule. »

Pendant tout le temps où il était avec Jacqui, Lambert était marié et avait deux enfants. Quand elle a accouché, il était dans sa chambre d'hôpital. Il était auprès d'elle pendant les 14 heures qu'ont duré le travail. « Je pensais que ce mec avait eu une enfance terrible et que je lui donnais cette jolie vie de famille bien réelle. Je voulais construire un foyer agréable pour nous deux. »

Depuis 2012, son fils et Lambert ont commencé à renouer contact avec succès.

« Contrairement aux autres femmes qui n'ont pas eu d'enfants, Bob Lambert sera dans ma vie pour toujours. On partagera nos petits-enfants, les mariages, les choses comme ça, » remarque-t-elle. « Je dois gérer le fait que ce fantôme est revenu. »

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La vie personnelle de Lambert a également été touchée par un drame. Les deux enfants qu'il a eus avec sa première femme sont morts d'une maladie génétique rare. D'après Jacqui, la relation de Lambert avec son fils lui redonne « la chance d'être un grand-père. » Elle ajoute : « Vous remarquerez que je ne suis pas là à dire du mal de lui. Je ne ferais pas ça au père de mon fils. »

Hollywood voudrait faire un film à partir de cette histoire, mais Jacqui ne sait pas quoi en penser. « Je reçois beaucoup d'offres. Certaines dans lesquelles je pourrais prendre part, raconter mon histoire sous un angle politique par exemple. Et on m'a proposé de simplement racheter les droits de mon histoire. »

Après la révélation de la véritable identité de Lambert en 2012, Jacqui a fait une dépression. « J'ai été vraiment malade, et mon psychiatre me dit que je devrais juste prendre l'argent et les laisser faire ce qu'ils veulent, parce que comme ça, je pourrais mettre fin à tout ça et aller de l'avant. »

Tourner la page, ça viendra « grâce à la thérapie, aux docteurs, aux avocats et à mes amis. Je n'aurai pas d'aide des officiels. »

L'Inspection générale de la police de Sa Majesté (HMIC), l'organisme de surveillance de la police britannique, a révélé plus tôt dans le mois que 1 229 agents infiltrés opéraient dans 43 unités en Angleterre et au pays de Galles. La police n'approuve pas le fait que des officiers de police aient des relations sexuelles avec leurs cibles, mais elle ne dit pas non plus que c'est mal dans tous les cas. Dans un jugement rendu en juillet de cette année, l'avocat de la police Carss-Frisk a plaidé : « Ne jamais dire jamais. Cela peut être légitime pour un officier de coucher avec quelqu'un une fois dans le but d'obtenir des informations au sujet d'un acte terroriste imminent. » Les avocats des droits de l'homme ont commencé à parler de ce manque de désapprobation comme de « la règle d'Austin Powers ».

L'avocat de Jacqui, Jules Carey, défend quatre autres femmes dans des cas similaires. Harriet Wistrich, du cabinet Birnberg Pierce & Partners, en a huit.

Il y a plusieurs choses que Jacqui dit ne pas pouvoir pardonner. D'abord, Lambert et les autres ont réussi à diminuer l'impact du mouvement pour le droits des animaux. Ensuite, c'est le rôle de l'État dans sa vie. « L'État, à qui on paie des impôts, » dit-elle.

Malgré tout, le message qu'elle veut faire passer n'est pas adressé au gouvernement, pas plus qu'à Lambert ou à d'autres activistes.

« Je veux apprendre des choses aux jeunes, particulièrement aux jeunes femmes, des choses sur leur corps, sur la façon dont elles sont dépeintes. Je pense que c'est un message que je veux adresser aux jeunes femmes : ne laissez pas ce genre de choses vous arriver. »

Suivez Sally Hayden sur Twitter: @sallyhayd